Les bisous.(1)

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Extrait de: "La fracture était si proche du coude, que le plâtre empêchait l'articulation."

Je suis matinée Pakistanaise de par mon père et, dit-on, aussi belle et intelligente que ma mère. Je connais très peu mon pays paternel pour n'y être jamais allée, mais je connais bien celui de ma mère, le pays des hommes, de la vodka et des sapins de noël. J'ai soi-disant été conçue sur un vol Emirates entre Islamabad et Moscou, sur un première classe.

Mon père faisait de nombreux voyages d'affaires. Il transportait depuis Karachi, des valises de chaussettes pour la filiale Kindy de Vladimir.

Les chaussettes Kindy ont fait vivre mon père et culbuter ma mère plusieurs fois dans des longs-courriers; comme quoi un travail à la con peut faire initier de belles rencontres et fabriquer de belles choses.

Quand sur le fauteuil de l'avion ma mère a écarté ses cuisses la toute première fois, il y avait -selon elle- un grand moment de solitude et de peur aussi:  - Comme une sorte de trou d'air ma chérie, une sorte de moment où dans le doute de perdre la vie dans un mauvais nuage, tu t'aperçois qu'en fin de compte, celui-ci peu à peu se dissipe avec les sentiments !

'Le trou d'air' était selon ma mère, une dépression sur laquelle il valait mieux fermer la porte avant de se prendre un mauvais vent dans la gueule:

- Tu comprends ma chérie, les avions d'avant ta naissance, c'était sur les écrans à bord, du Van Damme ou du Belmondo en boucle, histoire de faire oublier le bruit des moteurs et l'angoisse d'être suspendu... le reste c'était de la vodka et du plaisir à volonté ! Plus ton père buvait, plus l'avion lui semblait sûr et aller vite ! Quand il voyait sortir par le hublot le train d'atterrissage, il n'avait plus qu'une envie, c'était de prendre un bain au Sofitel de Vladimir avec deux coupes du meilleur champagne pour fêter ça ! Au Boeing et au petit seigneur, disait-il.

Mon père -et toujours selon ma mère- était un excellent buveur, un homme qui avait tout le temps la soif, que si la planète devait à manquer un jour de boisson blanche et fraîche, qu'elle devrait se tourner vers lui pour un peu plus de renseignements, que la pomme de terre fermentée avait plus d'avenir que l'eau plate, tant les patates ça pouvait pousser n'importe où et n'importe quand, et que si la vie le voulait bien, qu'il était plus rentable et écologique d'avoir de la vodka en bouteilles que des sources de Volvic en plastique  !

- Pour ton père, les chaussettes n'étaient qu'un prétexte à le faire travailler et prendre du fric chez les autres, puisque lui-même n'en portait jamais ! Il disait qu'elles étaient de façon généralement inutiles et moches, qu'elles faisaient puer des pieds, et qu'après l'amour il fallait toujours les chercher quelque part, alors qu'un chien devant une porte c'était plus facile à trouver !

Quand ma mère discute ou mange, elle a toujours des trucs autour de la bouche qui trainent en commissures. Quand c'est pas du chocolat,  c'est de la mauvaise salive sur la vie et le reste. Peut-être est-elle aujourd'hui en manque de bisous ?

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