Les Cassoces (9)

arthur-roubignolle

Les Cassoces (9)


Des optimistes...


Voilà près de trente ans que la famille Duraton habite la même maison.

Emile et Marguerite Duraton s'étaient installés dans cette demeure juste après leurs fiançailles. Pour un jeune couple qui débutait dans la vie c'était l'idéal, la maison était vraiment donnée.

Quand ils avaient vue l'annonce chez l'agent immobilier (un certain Stephane Razzia) ils n'en revenaient pas, six pièces, deux salles de bains, un jacuzzi, une salle de jeux, deux garages et trois mille mètres carrés de terrain pour 6850 euros frais d'agence inclus !

Ils avaient signés tout de suite, ne remarquèrent pas le soupir de soulagement du commercial et son front en sueur qu'il épongeait constamment. L'agent immobilier bizarrement ferma boutique dès le lendemain, d'ailleurs pas mal de commerces fermaient dans ce village situé à dix kilomètres de leur maison.

Deux mois plus tard, alors qu'ils venaient juste d'emménager ils virent débarquer les grues, les camions et tout le bazar d'un immense chantier.

Ils ne comprirent le fin mot de l'histoire qu'à l'épicerie du village lorsque l'épicière leur dit : « Ah c'est vous les cons qui avez achetés la maison juste en face de la future centrale nucléaire? Bon courage ! Moi je déménage demain, je fais une promo sur les boites de petits pois, profitez-en ! ».


Mais les Duraton étaient optimistes et prirent la chose à la bonne. Le chantier de la centrale leur apporta de l'animation, des norias de camions chargés de béton passaient chaque jour devant chez eux, madame Duraton monta même une petite baraque à frites pour les ouvriers du chantier et se fit pas mal d'argent durant les cinq années de construction de la centrale. Et finalement les Duraton se dirent : « Au moins on est pas isolés en pleine campagne, ici y a de l'ambiance ! ».

De surcroît on leur fit des tarifs spéciaux sur l'électricité, vu que depuis la mise en service de la centrale, tous leurs appareils se déclenchaient à n'importe quel moment, la télé s'allumait en pleine nuit, les lampes du salon clignotaient soudain, le sèche-linge se mettait en route brusquement. Le soir, ils n'avaient pas vraiment besoin d'allumer la lumière car un halo lumineux permanent entourait leur charmante demeure. Le seul inconvénient dans cette histoire, c'est que leurs amis refusaient catégoriquement de venir lorsqu'ils organisaient un barbecue dans le jardin, jardin qui, il faut le dire quand même avait été un peu défiguré par les pylônes hautes-tensions qui le traversait et qui émettaient un grésillement permanent.

Mais là aussi les Duraton y virent un avantage, ils avaient souvent à manger du pigeon, en effet, ces oiseaux tombaient tout cuits sur leur pelouse après s'être posés sur les fils  haute-tension.

Que demander de mieux à la vie ? Electricité quasi-gratuite, viande abondante gratuite aussi, et l'assurance de n'être jamais dérangé par aucun voisin puisque la zone avait été classée à Haut-Risque Majeur. La terre n'étant vraiment pas chère les Duraton achetèrent dix mille mètre carrés de plus pour y planter carottes et pommes de terres bio. (Monsieur Duraton était en effet devenu un fervent jardinier bio converti à la permaculture). Sa devise était : « Pour vivre longtemps mangeons sainement ! ».

Quand les Duraton eurent leur première fille et que le docteur leur annonça qu'elle avait trois bras ils bondirent de joie : « Mais tant mieux, elle n'en sera que plus habile aux travaux manuels ou en sport, au tennis ou au ping-pong elle fera un malheur ! ».

A la naissance de leur premier fils, le même docteur consterné vint leur dire que celui-ci avait des yeux rouges phosphorescents qui lançaient des éclairs qui brûlaient tout sur leur passage. Les Duraton enthousiasmés s'exclamèrent: « Tant mieux, il n'aura jamais besoin de briquet avec lui, et à l'école les autres gosses le feront pas chier ! ».

Leurs huit enfants successifs grandirent et s'épanouirent dans ce climat familial fait de joie et d'optimisme.

Leur second fils, Jimmy, était un garçon attachant, si attachant qu'il laissait des morceaux de lui collés un peu partout dans la maison, sa mère rouspétait gentiment en lui disant : « T'as encore laissé traîner un doigt de pied dans le salon, je te prierai de le ramasser, je ne suis pas ta bonne ! ».

L'avant dernière, la petite Laura étant née avec six tentacules était gardée à la maison dans un aquarium (On ne la sortait que lorsque c'était jour de piscine obligatoire).

Leur second fils, Paul était employé à la centrale, il était chargé de déboucher les tuyaux du réacteur. Comme il faisait sauter les compteurs Geiger tellement il était irradié, il le faisait sans aucune protection spéciale, son corps flasque et mou recouvert d'écailles se prêtait admirablement aux contorsions dans les tuyaux...


Julien, le benjamin était un garçon paisible qui passait son temps à ruminer dans les champs. Il est vrai qu'avec sa queue de vache, ses oreilles d'âne et ses pieds de bouc, c'était un troupeau à lui tout seul... Il avait cependant le défaut de braire à n'importe quel moment...

Leur fille Adeline était un peu spéciale, c'était une surdouée en sport, à l'école en gymnastique elle battait tout le monde, elle sautait dix mètres en hauteur, parcourait le cent mètres en 0,5 secondes et montait à la corde lisse d'une seule main. Malgré ses prouesses elle n'était guère appréciée par ses petits camarades à cause de ses cheveux qui grésillaient en permanence et de sa tendance à déclencher toutes les alarmes incendies de l'école quand elle passait devant...

La naissance de leur deux derniers enfants se passa à la maison, Marguerite Duraton accoucha aidée seulement par son mari, en effet le docteur et la sage-femme qui avaient assistés les premiers accouchements étaient morts de mystérieux cancers généralisés foudroyants. Les deux derniers petits étaient adorables, c'étaient des jumeaux siamois, avec d'ailleurs des têtes de chats siamois. On leur donna des croquettes qu'ils adorèrent tout de suite en miaulant de joie...


Les Duraton, très à cheval sur la santé, adeptes de l'hygiénisme et de nourritures saines élevèrent leurs enfants selon les préceptes les plus exigeants de la naturopathie de la bio-dynamie et de l'agro-écologie. Ils appliquaient également les principes anthroposophiques inventés par Rudolf Steiner, qui préconisait de mettre de la bouse dans une corne de vache en lune croissante dans la terre pour mieux la fertiliser et de faire ensuite des rituels ésotériques autour des carottes pour mieux les voir pousser. Certains soirs l'on voyaient les Duraton dansant autour de leurs carottes en psalmodiant des phrases mystérieuses. Le mieux c'était que tout ça marchait à merveille, ils avaient des carottes géantes lumineuses, des haricots avec des yeux bleus, des tomates grosses comme des citrouilles, des radis phosphorescents et des patates qui marchaient parfois toutes seules...

Ils vivaient aussi selon les principes de Pierre Rabhi, dans une « sobriété heureuse  » faite de simplicité joyeuse arrosée de jus de fruits bio et d'amour sincère pour notre « Terre-Mère nourricière », (la fameuse déesse « Gaïa »).

Quand ils étaient malades ils se soignaient à l'homéopathie et grâce aussi au chamanisme sibérien, réputé pour ses guérisons miraculeuses à base de chants sacrés, de champignons hallucinogènes et de tambours rituels. Cette famille, certes irradiée était cependant radieuse...


Aussi, quand la centrale nucléaire explosa, ils moururent tous en excellente santé et parfaitement heureux !



PS : pour la petite histoire, après la catastrophe, l'agent immobilier Stephane Razzia est revenu et propose la maison à 2200 euros frais d'agence et notaire inclus. Une affaire ! (pour les visites, les combinaisons anti-radiations sont fournies gracieusement par l'agence...)




  • Ces effets je ne sais pas mais l'installation de réacteurs à Chinon a créé des générations de constipés !

    · Il y a presque 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • M'en doutais, à chaque fois que je passe là bas, j'les trouve bizarres les chinonais...

      · Il y a presque 5 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

  • J'ai un petit cabanon sur Martigues les pieds dans l'eau... pas emmerdé par personne, site classé Seveso. Les chats y ont 3 pattes, les chiens 2 queues et moi...

    · Il y a presque 5 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • Ah d'accord, je m'disais aussi en lisant tes textes...

      · Il y a presque 5 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

  • Franchement quelle inventivité, tu m'as bien fait sourire en tous cas...Merci Arthur

    · Il y a presque 5 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci à toi, bonne journée, ya du soleil

      · Il y a presque 5 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

    • Oui, toujours cela de pris :)

      · Il y a presque 5 ans ·
      W

      marielesmots

  • Je suis heureux qu’enfin une personne ose dédramatiser la psychose surfaite sur les centrales nucléaires. J’ai effectivement travaillé toute ma vie active, en tant qu’ingénieur thermicien pour les centrales nucléaires et je peux prétendre sans excès que certains de mes collègues ne sont morts que dans des accidents de la circulation. :o))

    · Il y a presque 5 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Merci de confirmer par ton vécu le peu de dangerosité des centrales, sauf celles qui explosent mais ça peut arriver à tout l'monde et uniquement en Russie. Pas chez nous bien sur, on est moins cons...Chez nous même les nuages radioactifs s’arrêtent aux frontières en disant "Attention, c'est des français, pas touche!"

      · Il y a presque 5 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

    • Si le français fait peur à la radioactivité ? C’est parce qu’elle ne nous connait pas bien, c’est une histoire de mauvaise réputation, autrement je crois qu’elle nous tuerait comme tous les autres. :o))

      · Il y a presque 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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