Les chanteuses de messes

divina-bonitas

Pensée

La première chanteuse de messe que je connus s'appelait Mademoiselle M. C'était une demoiselle sans âge qui le resta en vieillissant. Une blonde, une vraie, mince à la limite de la maigreur, sèche du corps et de la voix. Elle nous attendait à chaque office, ni dans la nef ni sur le parvis, ni à côté de l'autel. Sur les trois marches qui y menaient, elle se postait sur la seconde. Ni réduite au rang de paroissien lambda, ni à la hauteur tout de même de Monsieur le Curé. Elle se tenait là, tendant son cou frêle pour vérifier qui entrait, qui se plaçait où, qui bavardait, qui faisait grincer les bancs ou malmenait les prie-dieu, qui ne savait pas son Crédo ou son Pater, qui reniflait ou toussait. Alors elle pinçait les lèvres et désignait le coupable de son menton pointu, lequel malheureux serait bon à la sortie pour quelques remontrances bien senties. Son heure de gloire arrivait au moment des chants. Elle gravissait une marche et montait même sur le socle en chêne permettant l'accès au pupitre dédié aux lectures. Son châle jaune pâle crocheté mains en bobines Phildar se mettait à trembler. Signe qu'elle prenait sa respiration. Nous enfoncions nos têtes simultanément dans nos pardessus, tentant de mettre nos osselets de l'oreille interne à l'abri de ses hululements, de ses trilles fausses, de ses cascades de fa dièse et de la bémol du haut du clavier. L'hiver nos couvre-chefs nous protégeaient un peu de ces tentatives de soprano. L'été nous subissions en silence, mâchoires crispées, essayant de nous abstraire dans la contemplation des retables et des voûtes. Seul le bedeau profitait de ces logorrhées chantées pour somnoler au fond du chœur. Etait-il résigné ou sourd?


Hier encore. C'est du travail pour les prêtres cette messe de Pâques! Le nôtre, un passionné, avait été porter la bonne parole dans une première paroisse et avait du retard. La chanteuse du jour entreprit pour nous faire patienter de répéter les chants inscrits au calendrier, une fois puis une autre. Le drame des technologies avancées est de fournir un micro aux envolées lyriques des passionarias et des baffles accrochées au-dessus de la tête des fidèles. Il est important que rien ne se perde. Le temps n'étant plus au port de toques fourrées, les étriers de l'assemblée s'entrechoquèrent avec les marteaux et les enclumes. La petite dame enjouée, toute gaie d'être là et de tenir une place de choix, jouait aussi de la guitare, la table collée sous l'aisselle droite, tandis qu'une jeune fille s'essayait au djembé, les deux s'en s'écouter, pour une cacophonie rythmique inédite. L'un dans l'autre, les fausses notes mêlées aux croches décrochées, plus personne ne chanta. Seuls quelques petits enfants se mirent à crier. D'autant que les mélodies des chants étaient nouvelles aussi. Le magnifique Gloria devint un monotone in excelsis Déo  oscillant entre un sol et un sol dièse pour un résultat déprimant. Je ne sais pas qui a décidé "pour faire moderne" sans doute de réécrire les partitions des chants traditionnels sans les fournir de surcroit aux adeptes. Bref, après la communion, l'église se vida de moitié au son du tambour et de quelques envolées vocales insoutenables.


Je sais bien qu'il faut être charitable, que chacun a la voix qu'il peut, que c'est bien beau encore de trouver quelques chanteuses pour animer les offices, que tous les offices ne peuvent accueillir de chorales expérimentées, mais mes tympans fragiles avouent leur souffrance en ce genre d'occurrence. Je finis par redouter de m'y rendre, à l'office, juste à cause de ça, me demandant chaque fois pourquoi les alti se croient obligées de se forcer les cordes vocales en nous servant des notes suraigües qu'elles sont manifestement incapables d'atteindre.  Je trouve dommage d'oublier que la musique, quand elle se veut sacrée, nécessite un vibrato harmonieux pour que l'âme s'élève en douceur.

  • quel beau morceau d'ethnologie de la France profonde
    je retiens particulièrement "Le drame des technologies avancées est de fournir un micro aux envolées lyriques des passionarias et des baffles accrochées au-dessus de la tête des fidèles." Bravo ! Mais je ne veux pas dénigrer pas tel ou tel courant religieux ; simplement, par "la force des choses" les rites sont devenus des mascarades. Il faut changer la voilure.

    · Il y a environ 6 ans ·
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    Gabriel Meunier

    • Merci pour votre commentaire. Les rituels ne me gênent pas et je peux parfois les apprécier vraiment, mais c'est juste cette histoire de chant...quand c'est ultra faux et ultra fort...je peine à me concentrer sur l'essentiel. J'ai le tort de faire partie de ces gens aux oreilles ultra sensibles...en plus j'entends à mon corps défendant la moindre note fausse, sursaute alors, mon cerveau se crispe! Mais je garde le souvenir merveilleux du chœur d'enfants où chantait un de mes fils, dans une Basilique...magnifique et émouvant!

      · Il y a environ 6 ans ·
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      divina-bonitas

    • les rituels étaient (et seront, peut-être ?) une façon de réenchanter le monde...

      · Il y a environ 6 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

    • Espérons le!

      · Il y a environ 6 ans ·
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      divina-bonitas

  • Pas connu les messes mais je comprends...

    · Il y a environ 6 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

  • L'église, lieu de danger pour les oreilles sensibles (et, si elles sont absolues, là, c'est trop pénible !).
    Le protestant que je suis ne se rappelle pas avoir souffert de voix malvenues et agressives dans les temples... Mais peut-être en ai-je effacé le souvenir. Ah ! Une question basique , dont j'ai honte, Divina, de ne pas avoir la réponse: Qu'est-ce que la table, dans la guitare ?

    · Il y a environ 6 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Merci Astrov d'être passé par là...
      Je n'ai pas non plus de souvenirs de ce type au Temple nîmois où je me rendais enfant; de très bons en revanche dans les églises Orthodoxes et les Synagogues où je me rendis quelques fois et où souvent il y a de belles voix d'hommes chaudes; je reconnais avoir les tympans très très sensibles...adaptés sans doute à mon passé de harpiste amateur.
      La table est la partie plate du dessus de la guitare, enfin je crois.

      · Il y a environ 6 ans ·
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      divina-bonitas

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