Les courges
nyckie-alause
Le 30 octobre, Maria considère que les préparatifs de la fête sont achevés. Avec ses frères, comme figurants, elle a même fait une répétition. Aucune de ses amies n'est allée jusque là mais dans une série américaine elle a vu une répétition et elle s'est dit « Pourquoi pas moi ? ». Il s'agissait, dans le film bien entendu, il s'agissait d'un mariage et de sa répétition mais que lui importe.
Maria ne sait pas si elle pourra se marier un jour. Antonio, qu'elle guette depuis son plus jeune âge, depuis le jour où, comment ça s'est passé déjà ? doit convoler bientôt.
Elle se souvient. Il pleuvait et des torrents de boue dévalaient les rues de la ville. La mère de Maria était alitée attendant patiemment son sixième enfant. Ses quatre frères étaient au collège et elle venait d'entrer dans la classe de madame Jofre. Elle venait d'avoir sept ans et apprenait à lire et à écrire. Donc, ce jour où la boue envahissait la ville, tant que l'on aurait pu croire qu'elle tombait directement du ciel, la meilleure amie de sa mère était venue chercher Maria. Elle n'était pas venue seule, son fils Antonio l'accompagnait et portait comme un trophée un parapluie blanc au-dessus de leur deux têtes. C'était un parapluie magique qui, capturant on ne sait où une lumière dorée illuminait leurs visages comme en un jour de printemps : la carnation des lèvres, la brillance des yeux, le perle de la peau, et les cheveux, oui les cheveux d'un noir qui miraculeusement se teintait d'une lumière mauve. L'amie se nommait Maria et la petite fille croit que c'est en hommage à cette femme si belle que ses parents ont choisi son prénom. Quand Maria tenait sa main dans celle de Maria, l'enfant se sentait belle aussi. Revenons à la journée de la boue. Elle glissait comme vivante dans les caniveaux dont elle débordait à la moindre occasion, pour un caillou qui venait d'on ne sait où, pour ce chou pourri tombé d'un étalage et que personne n'allait ramasser, pour ces détritus que la boue elle-même abandonnait sur son trajet.
Antonio lui prit son cartable et Maria ses sandales. De jolies sandales presque neuves et qui devraient le rester avant d'être cédées à la prochaine sur la liste. Les sandales d'une cousine qui iraient pour l'année prochaine à une autre cousine. Des cousines Maria en a beaucoup, des plus vieilles qu'elle mais surtout des plus jeunes. Beaucoup, disons une dizaine pour ne pas dire onze. La onzième on ne la compte plus car elle est partie avec un homme marié quand elle a eu seize ans, c'est un peu comme si elle était morte dit leur commune grand-mère.
Imaginez Antonio, si beau, si grand, qui porte d'une main un parapluie magique et sur son épaule puissante un minuscule cartable en plastique rose qui n'a jamais appartenu à personne d'autre qu'à elle. Maria sent la boue faire une caresse entre ses orteils qu'elle traverse comme quand, gourmande elle suce un carré de chocolat et s'amuse à le pousser entre ses dents avec sa langue en se regardant dans le miroir de la cuisine. Elle trouve à cette boue une odeur sucrée et ses mains serrent les mains de Maria l'amie et de son fils comme si son futur devait en dépendre.
Pour la date de la fête, ses parents n'ont pas choisi le jour de son anniversaire. « Souviens-toi du mois de juin l'année de tes sept ans. Il a tellement plu ! ». Maria a quinze ans passés de quatre mois, presque et demi.
Demain en Amérique ce sera Halloween, Maria a vu aussi un film américain dans lequel de jeunes gens assistaient à une série de crimes épouvantables. Il n'y avait pas de répétition, ça arrivait cruellement comme des cataclysmes, des tempêtes, des coups de tonnerre, accompagnés d'une musique terrifiante. Comme elle aurait bientôt quinze ans et demi elle avait tenu à le regarder jusque qu'au bout et pendant des nuits elle avait guetté la lune. Il lui fallait bien se décider à grandir. Elle avait rêvé que l'une des victimes serait la fiancée d'Antonio. Qu'il en sortirait tellement désespéré qu'il aurait besoin d'une consolation et que… Elle en avait brodé des scénarios à l'infini, des histoires où sont double satanique s'occupait des exécutions. Pour les victimes elle avait une liste : Pédro qui la suivait quand elle rentrait chez elle en lui disant des choses qu'elle ne comprenait pas, monsieur Hernandez son prof de maths qui lui avait encore une fois donné une note honteuse, quelques élèves de sa classe, surtout des filles, belles et méchantes, son troisième petit frère (maintenant elle en avait sept). S'il fallait débarrasser la ville, elle en trouverait d'autres. Les voisins et tous les habitants la salueraient dans la rue. Et puisque Antonio ne voulait pas d'elle pour la raison futile qu'elle n'était qu'une gamine, elle épouserait le fils du maire. Il deviendrait maire à son tour et elle, Maria, ferait la pluie et le beau temps sur la cité.
Pour la fête, tout est prêt. Elle se repasse, encore une fois, la liste des invités. Elle révise son discours.
La robe qu'elle portera demain n'a jamais appartenue à personne. Elle est en dentelle et en tulle, avec une jupe en taffetas. On la croirait cousue sur sa peau tant elle est ajustée. Pour l'occasion maman lui a commandé des sous-vêtements dont elle n'avait même jamais rêvé. Les rideaux sont tirés dans la chambre elle se pavane, fait la princesse en tendant la main en signe de bénédiction sur des sujets en peluche. Elle s'essaie à quelques tourbillons et ces sandales qu'elles sont jolies avec leurs lanières dorées. Ce soir il n'y aura pas de torrents de boues, le ciel est clair et froid. « Je prendrai le parapluie » pense Maria.
Maria, la meilleure amie de maman, c'est elle qui a confectionné la robe. Sous les plis de la jupe elle a caché une poche dans laquelle se trouve un mouchoir. Cousu dans le mouchoir elle a mis un petit anneau. « C'est pour te porter bonheur ma chérie ».
Au bord de la terrasse Papa n'a pas mis de guirlande de papier comme le font les autres familles. Chacun des invités a apporté de son jardin la plus belle courge ou potiron ou coloquinte. Dans ce film américain pourri certaines des courges se transformaient en monstres, « Ce n'est qu'un film américain ! » a dit le père de Maria pour couper court. Comme si l'Amérique n'avait pas de réelle existence. Antonio, quand il sera marié, il ira en voyage à New York et moi, je serais toujours là ! Il n'en reviendra plus parce que ce qu'on dit de l'Amérique c'est la richesse pour tous…
Ces courges de toutes les couleurs son gaies comme des carrosses. Maria a beaucoup lu. C'était quand elle était plus jeune. Elle, un jour, quand elle se mariera, ou avant, elle ira à Hollywood, elle sera célèbre, héroïne de films américains projetés dans le monde entier. Les fans viendront faire la queue devant sa maison pour avoir des autographes et des selfies avec une telle vedette. Même Antonio voudra un autographe et ce jour-là elle fera exprès de le faire poireauter sous la pluie et quand elle ouvrira enfin sa porte elle lui demandera d'ôter ses chaussures pleine de boue. « Tu te rappelle du jour des torrents de boue quand ta mère et toi êtes venus me chercher à l'école ? ». Il regardera en l'air pour réfléchir et il dira « bien sûr ! ».
Maria répondra « Ta mère m'a donné le parapluie magique pour la fête de mes quinze ans ». Il la dévisagera comme s'il la voyait pour la première fois et ses yeux seront teintés d'un profond regret.
« Maria, viens me voir » dit le père. Elle s'assied sur ses genoux comme une enfant, demain elle ne pourra plus se le permettre. Il lui dit qu'il y aura une surprise ce 31 octobre : « Il y aura un vrai photographe, celui du journal. Tu seras la reine de la soirée et tu devras choisir la plus belle courge d'halloween — tant pis si c'est américain — et couronner le jardinier ».
Maria la petite fille est en route pour la célébrité.
on est déjà plus d'un à demander une suite !!!
· Il y a plus de 4 ans ·Gabriel Meunier
je vais essayer mais je ne promets rien
· Il y a plus de 4 ans ·nyckie-alause
· Il y a presque 3 ans ·La courge d'Halloween
c'était pour la cousine ...
moi qui me suis piquée à la quenouille,
je lui ai laissé le prince Charmant
- c'était juste avant
que je le change en citrouille ! -
( nous verrons bien qui sera la reine de la soirée ...
maintenant je prends mon pied
avec le jardinier
je partage son arrosoir - et l'humidité )
d'ailleurs nous avons élevé
et multiplié plein de cucurbitacées...
rechab
Le scenario est bien écrit et attend que tu imagines la suite...
· Il y a plus de 4 ans ·Sy Lou
Je ne suis pas trop championne des suites, biz
· Il y a plus de 4 ans ·nyckie-alause
bel équilibre entre les choses, les lieux et les êtres...! Je lirai la suite...
· Il y a plus de 4 ans ·Gabriel Meunier
Suite à la libre imagination du lecteur ;-))
· Il y a plus de 4 ans ·nyckie-alause
très belle histoire Kissous du matin...
· Il y a plus de 4 ans ·vividecateri