The Rolling Stones-Sticky fingers-1971

jeff-slalom

Les sixties, nous les avions vécues à fond et personne ne se rappelait plus de rien.

Le summer of love ne fut bientôt plus qu'un macchabée flottant dans la trouble piscine de nos souvenirs. Nous regardions du caniveau les étoiles s'éteindre. Ceux qui avaient réussi partaient se faire changer le sang dans des cliniques suisses.

La descente était rude pour tout le monde.

Le cuir trempé par une pluie grise et sale, les mecs erraient à la recherche de leur dose quotidienne. Ils s'affalaient chaque soir sur un matelas troué qui n'avait pas vu de fille depuis un bail. Ils croyaient vivre ensemble mais la solitude les aspirait et au réveil, ils n'osaient plus fixer le reflet renvoyé par une glace ébréchée.

Notre activité préférée -avec la dope- restait le son. Des enceintes Elipson et un diamant. Un voyage aussi lointain qu'instantané, tout ce qu'il nous restait pour échapper à notre quotidien. Coté évasion, les Stones avec Sticky fingers n'avaient pas loupé leur coup. Ce disque nous tint éveillé pour le reste de l'année 71.

Ces gars là n'avaient jamais aimé le Royaume, ils avaient toujours voulu s'en échapper. Y avait les Kinks pour raconter les couchers de soleil sur Waterloo et les promenades sur gazon frais. On s'en foutait pas mal de ces fils à papa. Mike et sa bande étaient de dangereux voyous. Voilà pourquoi nous les écoutions.

Réunion dans la pénombre d'une cave humide, un squat où la rouille rongeait la tuyauterie des chiottes. Fauteuils défoncés, cuillère encore chaude, seringue tournant de mains en mains. Le dernier garrot dénoué, le bras mécanique de la platine était rabaissé et nous regardions s'évanouir notre existence brumeuse dans le rétro de notre cadillac rose. Direction le Kentucky.

Têtes renversées, les paysages défilaient sous nos paupières closes. Nos cœurs emportés par les rythmes de batterie, notre sang glacé se réchauffant à mesure qu'il se déversait dans les profonds sillons creusés par le blues de Keith, nous suivions les traces laissées par les deux guitares.

Des chemins mêlant volupté instantanée de solos parfaits et convulsion démente de riffs maléfiques.

La musique défrichaient la route et nous rendaient plus forts, nous faisant oublier cette petite salope qui nous manquait déjà. Dans ces moments là, électrisés par un sax', nous, les clochards célestes étions très hauts. Alchimie puissante et parfaite.

Cet album, c'était le notre, celui des petits matins blêmes, celui des potes disparus, overdose ou suicide, ne laissant derrière eux que des draps sales, tachés de sang et d'urine, celui des filles à qui l'on pense la nuit, recroquevillé sur notre paillasse, celui de notre passé, emporté dans de fades volutes multicolores.

Aujourd'hui, Sticky fingers est passé à la postérité.

Mais c'est aussi le nom du restaurant Tex-mex de Bill Wyman. C'est peut être pour ça qu'un bassiste est condamné à courrir après la gloire.

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