Les enfants du siècle
Stéphan Mary
Qu'ai je dit ? qu'ai je fait ? Le saxo de Dizzi Gillespie se fait tantôt jazz, tantôt bossa nova et moi je cours comme un malade sur le clavier à taper dans le rythme de la musique, de la batterie sur_tout. Je rêve de toi, que je vais et je viens "entre tes reins" que ton plaisir me submerge et que tu m'avales dans un rythme effréné sans commune mesure avec le bon sens le clavier envoie ses notes comme une composition en cours d"écriture le clavier qui devient fou qui s'accélère au rythme de tes caresses subjugantes que la folie et la petite mort s'emparent de tous tes sens sensuelle que tu es écoutes ça comme ça balance ça jazz c'est ta chanson la chanson de ton corps de tes seins-sens de ton tempo qui me vrille le cerveau tu ralentis le saxo revient roulement de batterie le rythme est bon de la douceur rien que de la douceur
Bergam ne supporte plus l’absence de sa doucie moitié. Ils revenaient tous les deux de Paris où la neige était tombée. Paris ! Trois jours fabuleux à passer des heures à admirer les tableaux de Hopper, aller au théâtre, à lui faire connaître son ami le plus proche, leur balade à tous les trois aux Tuileries, au louvre. Deux soirées formidablement simples et chaleureuses chez son oncle. Trois jours d’amour fou, de confiance, de la conscience du bien être, bien vivre à deux, aimer pleinement, sans commune mesure avec le passé. Mais quarante huit heures plus tard, après lui avoir dit « je t’aime », elle rompt par un texto. Bergman ne comprend pas. Il s’accroche, ne quitte plus son portable. Le téléphone devient son nombril. Mais elle est désagréable. Les reproches tombent. Chaque phrase est inattendue, chaque mot est pesé pour faire mal. La mitraillette des lettres le saisit de plein fouet. Bergman est tombé de sa chaise mais n’a pas la force de se relever. Il est assis sur le sol, il pleure. Il n’est pas en colère, il n’y arrive pas. Plus les textos s’accumulent, plus l’envie de vomir le saisit. Avidement, malgré l’heure tardive de la nuit, il a besoin de musique. Très fort. Il saisit son casque, le branche au pc et met Nora Jones à fond. Ses larmes redoublent. Il est dans l’incompréhension la plus totale. Saisi d’un doute, il se précipite sur Facebook. Elle l’a sorti de sa liste d’amis. Il n’existe plus pourtant il sait qu’il lui faut garder le lien, surtout conserver le fil ténu qui le relie au grand amour de sa vie. Alors il textote, il est totalement perdu, il ne comprend pas mais il s’accroche. Sa vie se dilète au fur et à mesure de la correspondance. Elle lui dit qu’ils se verront lundi soit dans sept jours. Il la connait, il sait qu’elle a a parfois besoin de s’isoler mais il a peur. Il est malade. Il va vomir tous les excès verbeux des étrons qu’elle lui a balancé. Il est sonné, totalement en état de choc. Les jours et les nuits passent. Les reproches se font plus précis. Il commence à comprendre. Elle le veut pour elle seule. Il est d’accord. Il parle à sa meilleure amie, lui explique qu’ils se verront peut être un peu moins, différemment. Son amie sait que pour la première fois il aime. Jusqu’à présent c’était un éternel amoureux, aimant, sincère mais amoureux. Dès que le sentiment se modifiait, il tombait amoureux d’une autre et ainsi de suite mais Elle ! Oui la meilleure amie sait que Bergman est réellement en danger. Mais elle ne peut pas être auprès de lui tout le temps. Elle travaille, doit s’occuper de sa maison, voir des gens. Elle se connecte par webcam. Il passe des heures à pleurer devant l’écran puis se reprend, coupe le communication et regarde la caméra éteinte. Avec elle, lorsqu’il rentrait chez lui, il allumait la webcam et ils restaient tous les deux connectés, comme si c’était une façon de ne pas se quitter, jamais. Elle travaille de nuit alors il avait naturellement décalé son sommeil et dormait en trois huit. Ils textotaient la nuit, se retrouvaient très souvent dès le lendemain matin, buvaient un café, parfois faisaient l’amour puis ils s’endormaient toujours de la même façon. Elle en chien de fusil et lui derrière, bien calé dans son corps. Ils faisaient souvent l’amour, intensément, respectueusement.
Elle le quitte. Il ne peut pas y croire. La nuit s’épaissit. Il écoute Laura de Hawkins en boucle. Elle s’appelle Laura. Il aime Laura. Viscéral il ne peut pas concevoir que sa vie s’écroule. Elle refuse de lui parler, de le voir, de faire une webcam, qu’il vienne chez elle. Il respecte. Les jours passent. Elle accepte de continuer à garder le lien par texto. Il ne quitte plus son téléphone. C’est devenu son obsession. Ne pas tomber en panne d’alimentation. Alimentation ! Il ne mange plus, il n’a pas faim. Il maigrit vite, trop vite, son entourage le lui dit. Il s’en fout, il n’a plus faim que d’elle. Les jours sont passés, il la voit demain, il est presque heureux, peureux mais heureux. Texto ! il se précipite mais lit « Tes affaires sont devant ta porte, tes clés et une lettre dans ta boîte au lettre ». Il ouvre. Il y a un sac. Dans la boîte ses clés d’appartement. Il les prend et comprend qu’elle est sur le chemin du définitif. Quand il saisit la lettre, il tremble. Rentré chez lui il s’assied et lit. C’est une lettre de rupture. Elle lui en veut, son amour est épuisé. Au revoir. Ps : elle contactera ses propriétaires pour se retirer comme garante. C’était leur seul lien administratif. Elle rompt. Il va uriner du trop de café qu’il boit depuis des jours. Il se croise dans la glace en se lavant les mains. Il est sinistre. Ses traits sont fatigués, les cernes profondes, ses joues se sont creusées. Il se regarde longuement, prend sa décision. Il rentre dans la douche, se lave méthodiquement. Il se rase de près, se lave les dents pendant cinq minutes, s’hydrate le visage puis il va s’habiller. Dessous propres, jean et pull propres. Il s’assied devant son ordinateur et lui écrit un mail. Il prend chaque point important de la lettre et commente. Il sait pertinemment qu’il ne doit surtout pas tomber dans le larmoyant alors il positive. Il propose des solutions, il veut un dialogue, un vrai où elle lui expliquerait tout ça, toutes ces incohérences, ces non-dits surtout parce qu’il ne comprend toujours pas. Puis il se lève, se dirige vers sa pharmacie et prend tout ce qui s’apparente à des cachets. Il suit un traitement assez lourd. Il a de l’avance. Avec ses six boîtes neuves il retourne vers son bureau, s’empare d’une bouteille d’eau. Il est plus calme, trop calme. Méthodiquement il sort les petits cachets. La notice l’explique, pris à forte dose, risques cardiaques. Pendant qu’il finit son mail, il avale les dizaines de pilules. Il ne pleure plus. Il sait. Sa vie sans elle n’a pas de sens. Tout s’est écroulé. Le monde s’effondre. Puis il écrit un mail à son amie. Il lui dit qu’il sait qu’elle comprendra. Les médicaments font effet. Il se lève, a un malaise. Ses jambes se dérobent. Il va dans son lit et attend. Il n’a pas peur. Il est triste, très triste. Il a des impatiences dans les jambes, c’est un des effets indésirables. Il est malheureux. Il s’endort.
A dix heures son portable sone. Il se réveille, se saisit de l’appareil. C’est son amie, inquiète. Pâteux il lui demande d’annuler un rendez vous qu’il a dans l’après midi. Elle acquiesce. Elle passera après son travail. Il raccroche, prend conscience qu’il n’est pas mort. En souffrance, il se rendort. A seize hures son amie vient. Il l’a reçoit en peignoir. Elle lui dit d’aller prendre une douche ce dont il s’acquitte sur le champs. Quoiqu’il arrive, il sera un mort propre. Il ne raconte pas qu’il a voulu mourir, non il ne dit rien. Il pleure doucement. Les larmes parcourent ses joues pour finir sur son pull qui petit à petit s’humidifie. Tout à coup texto. C’est elle ! Il devient jean qui pleure jean qui rit. Son cœur s’emballe, sa tension remonte d’un coup, il est dans l’espoir. Il accroche la discussion qui durera quasi non stop pendant les trois jours qui suivent. Il s’adapte à ses humeurs, à ses pauses silences, à ses heures de sommeil. Il y croit jusqu’à ce qu’elle ne cesse de lui dire que c’est fini. Il ne comprend toujours pas. Il insiste pour la voir, pour parler. Elle est dans le refus catégorique mais elle accepte de le reprendre sur Facebook. Les échanges clavier sont plus rapides, il préfère. Il se sait sur la corde raide. Elle peut couper court à tout moment. Il est paniqué mais il tient. Chaque texto qu’elle lui envoie lui permet une respiration supplémentaire, chaque message est un sursaut contre son envie de mourir.
Ils sont les enfants du siècle. Incapables de rompre en tête à tête, les nouvelles technologies leur permettent de garder le fil ténu qui les relie l’un à l’autre. Si du mail ils passent aux textos puis à Facebook, alors, avec le temps, une webcam est-elle envisageable ? Propice pour une demande d’explication en tête à tête. Un verre au bar du dialogue, dans un lieu neutre si elle veut mais surtout la voir ! Il ne peut pas se contenter d’un texto puis d’une lettre, même manuscrite. Il aime son écriture. Lui aussi aime écrire. D’ailleurs une de ses nouvelles a été publiée cette année. Il attend pour une autre. Il sait que son texte est bon, il veut y croire. Il y tient d’autant plus que c’est le seul angle positif qu’il entraperçoit dans ce magma. S’il n’est pas sélectionné, c’est la descente mortelle du grand bleu.
Quand ils ne sont pas sur Facebook ils s’envoient des textos. Les heures passent. Le ton est badin. Il s’enquiert de sa santé. Elle a un rhume. Il lui demande ce qu’elle regarde comme DVD. Il garde un ton aussi léger que possible. Ne pas perdre le lien. Mais sur son clavier, ses larmes viennent former des petits pâtés d’eau translucide. Elle est plus légère, il y croit. Il voudrait juste lui parler.
Le lendemain elle a un an de plus. Il sait qu’il ne pourra pas la voir. Il regarde misérable les cadeaux emballés qu’il avait prévu de lui offrir. Il se connecte aussitôt réveillé, elle est en ligne. Il lui demande s’il peut passer. Elle refuse arguant d’un rendez vous à l’extérieur. D’ailleurs c’est l’heure du prétexte, à plus tard. Elle se déconnecte. Il se saisit alors de feuilles de papier blanc, d’un stylo et lui écrit. Il remplit trois pages recto verso d’une traite. Sa fierté il l’a ravalée depuis plusieurs jours alors il lâche. En général elle aime bien ce qu’il écrit, d’ailleurs elle l’encourageait encore tout récemment à persévérer. Mais là ce n’est pas une écriture travaillée. Les mots s’entrechoquent dans sa tête. Son stylo est trop lent pourtant il continue. Il explique, rentre dans certains détails personnels, accepte les reproches. Puis il finit par ces derniers mots « Je t’offre ma vie. Je t’aime ». Il met les paquets cadeaux dans un sac, prend sa voiture et se rend chez elle. Il sait qu’elle n’ouvrira pas alors il décide de déposer le sac sur le balcon. Il l’aperçoit par la fenêtre. Elle est de profil devant son ordinateur. Il la regarde et à une envie folle de la prendre dans ses bras. Perturbé, il manque de tomber, renverse un pot de fleurs. Intriguée elle se tourne et le voit. Très vite il lui fait signe qu’il dépose un sac et s’en va. Ce qu’il fait illico. Il est en voiture quand il reçoit un texto « Merci ». Il ne répond pas, il roule vite pour rentrer chez lui, renouer le contact. Il se connecte. A-t-elle aimé l’encadrement de la reproduction du Hopper qu’elle avait tant apprécié ? Apprécie t-elle le parfum ? Les enceintes pour le PC sont elles convenables ? Elle répond oui à tout, remercie à nouveau. Il met plusieurs minutes pour lui demander si elle a lu la lettre. Elle lui répond que c’est la première chose qu’elle a faite. Il a le cœur qui s’emballe. Ses doigts courent sur le clavier. La douche est glaciale quand elle le remet à sa place d’éconduit. Il s’effondre mais derrière l’écran cela ne se voit pas. Jamais elle ne l’insulte mais elle lui fait mal. Elle va jusqu’à être sadique, lui dit plusieurs fois qu’elle est passée à autre chose. Il écoute Miles Davis ou Barbara sur Youtube et partage les liens sur Facebook. Pourvu qu’elle écoute, qu’elle comprenne. Le soir il va à une scène ouverte de Slam. Il concoure, remporte le premier prix. Il a gagné avec un texte écrit pour elle, inspiré par elle, parce qu’il l’aime. Refuser de le voir, c’est ne lui laisser aucune chance de ne plus l’aimer C’est la mort d’un être cher que l’on vous apprend plus tard, quand les funérailles ont eu lieu. Mais c’est trop tard pour faire son deuil. On a pas franchit les étapes de l’admission de la rupture. Et même si le temps fait son effet, on ne peut évoquer la personne sans trémolos dans la voix, les yeux humides. Il y a absence, il n’y a pas eu mort. C’est ce qu’il voudrait lui expliquer mais elle ne veut rien entendre. Elle est sympa puis son ton change. Il a une envie désespérée de foncer chez elle mais il la connaît. Elle n’ouvrira jamais. Alors que là, entre Internet et le portable, même si elle le met plus bas que terre, il sait que c’est une ultime tentative de sa part pour qu’il se détache. Mais il se dit qu’elle a ses raisons, des fausses raisons puisque tout peut se faire autrement il en est absolument convaincu. Il peut aller jusqu’à s’effacer de sa vie sociale, familiale, professionnelle et devenir sa liaison secrète. Oui il peut faire ça aussi. Mais elle monte d’un cran « Tu es à pleurer ». Là elle lui fait mal alors il répond que oui il n’a plus de fierté, il n’a plus que son amour pour elle. Il n’a pas mangé depuis des jours, ne dort plus assez. Il est fin prêt pour un placement d’office en psychiatrie. Lorsqu’ elle lui dit qu’elle va dormir, il gamberge. Il pense à ces moyens qu’il a sa disposition pour continuer à être avec elle. Le lien est virtuel et alors ? Elle est à l’autre bout et c’est ce qui compte. Un doute l’assaille : s’il n’avait pas eu téléphone et ordinateur ? Comment se serait elle conduite ? Il l’aurait vue c’est sûr. Il serait allé à sa rencontre physiquement mais là par écrit ! Toutes les cinq minutes elle tente de mettre de la distance. Et puis le troisième jour silence radio. Elle n’est plus sur Facebook, ne réponds pas aux textos. Le silence. Les heures passent. Il décide de ne pas insister, ne pas la faire fuir définitivement. Laisser la porte ouverte. Et il l’attend. Les jours passent. Elle lui manque atrocement. Il n’a aucune nouvelle. Il est triste, toujours plus triste. Au bout de quelques jours il n’en peut plus et lui envoie un texto « dis moi viens je sombre j’ai peur ». Il ne saura jamais si elle lui avait répondu, il est mort avant. Suicide. Il ne concevait pas sa vie sans elle. Elle est passée à autre chose mais le regrette. Il lui manque. Plus de textos, de facebook, de webcam quand ils n’étaient pas ensemble, rivés l’un à l’autre. Elle s’en veut de sa mort mais c’est trop tard. Elle est passée à autre chose, c’est du moins ce dont elle essaie de se persuader. Elle sait qu’elle n’a aimé qu’une seule fois et c’était lui. Mais elle n’avait pas voulu le voir, l’entendre. Simplement ces fichus textes écrits à la va vite… Il lui avait dit nous sommes les enfants de ce début de siècle. Laisse nous le temps de grandir.
Merci Rafistoleuse. Les liens indiqués dans le commentaire de Paul collent à une certaine réalité, celle d'une musique que l'on n'oublie pas, jamais.
· Il y a plus de 11 ans ·Merci pour ton cdc, il ressuscite le personnage :)
Stéphan Mary
Alors là, ce texte, waow... D'abord il faut que je te dise, la façon dont tu écrit, les phrases longues sans presque de ponctuation, ou alors très courtes, saccadées.. Tout ça ajoute encore plus de force à ton texte, plus de vérité. Ca traduit si bien l'asphyxie que subit le personnage et on ressent textuellement sa descente aux enfers, les élans d'espoirs, et c'est vraiment fort. Chapeau.
· Il y a plus de 11 ans ·Coup de coeur.
rafistoleuse
Merci Paul, sincèrement
· Il y a plus de 11 ans ·Stéphan Mary
Bonjour Stephan Mary,
· Il y a plus de 11 ans ·Un texte douloureux et sensible que le vôtre, et qui me laisse pantois, tant il est fort ! Alors je veux vous répondre par une chanson, celle qui aurait pu être la sienne, la vôtre, mais qui actuellement est la mienne :
http://youtu.be/mknTVSRUlyw
http://youtu.be/F86_5kMFvLE
Une larme coule, le regard troublé vers le bleu du ciel, il vit, mais sans elle il est mort ! Il n'y a plus ni facebook, ni téléphone, ni mail, juste une immense souffrance, il est seul et il l'aime ! Il est mort dans sa vie, mais il respire le soleil quand il brille !
Je vous remercie de vous pour ce plus que troublant témoignage, qui me laisse sans voix !!
Je vous souhaite une belle fin de journée.
Paul Stendhal
Paul Stendhal