Les gougères
nyckie-alause
Ingrédients pour 4 personnes (23 à 49 gougères suivant la taille) :
• 251 ml d' eau
• 1 pincée de sel
• 78 g de beurre
• 153 g de farine
• 4 œufs + un jaune
• 147 g de fromage râpé ( Comté ou Gruyère Suisse)
• 1 pincée de muscade râpée, poivre du moulin
***
— Pour la recette, tu repasseras !
Mais pourquoi ai-je été aussi sèche avec elle ? Elle a fait l'effort de m'appeler, de demander de nos nouvelles et c'est tout à la fin, comme incidemment qu'elle m'a dévoilé l'objet réel de son appel, la recette de ma grand-mère, « tu sais celle de Noël, tu pourrais me la dire ? ».
Longtemps, ses parents et et elle ont été invités. Pas de manière conventionnelle, pas de carte, pas de bristol, rien de préparé, de l'impromptu. C'est en sortant de la messe que grand-père disait « mais venez donc manger un petit bout ! A la fortune du pot ! »
La fortune du pot, quand j'y pense, c'était notre pot, seulement le nôtre. Eux arrivaient toujours les mains vides pourtant, ils savaient bien que sur le parvis nous allions les saluer et les inviter à nous suivre.
Quelques clochards tendaient leurs mains tremblantes protégées de mitaines crasseuses. Pour ceux-là encore, ma grand-mère n'étaient pas venus les mains vides : une part de gâteau au chocolat comme elle savait si bien le faire, léger comme un souffle ; une poignée de noix et d'amandes ; des tranches d'un saucisson bien séché dans l'air froid de la cave accompagné de vigoureuses tranches de pain beurré ; des mandarines qui venaient occuper le creux d'une main d'une manière tellement naturelle que l'on aurait pu penser qu'elles avaient poussé là, des fruits magiques.
Mes grands parents nous disaient « soyez sages, c'est la veillée ! ». Nous n'allions pas au lit. C'était le seul jour, plutôt nuitamment, où nous nous rendions à l'église. Décembre, le seul mois de l'année où l'on envisageait la possibilité de Dieu. Louis, notre grand-père, ne manquait pas de nous expliquer le solstice, le symbole de la lumière, des jours qui allongent, des bourgeons qui sont en attente sous la terre gelée, et Grand-Mère en profitait pour nous instruire « en religion ».
Nos parents restaient à la maison, ne voulant surtout pas accréditer ces fariboles et balivernes. Quand ils disaient ces mots, ils se regardaient et éclataient de rire. Et nous, les enfants, nous jouissions de leur connivence. Nous attachions soigneusement nos manteaux et quittions la maison chaude aux odeurs sucrées, la main dans la main, comme en farandole. « Noël passera peut-être en notre absence » disait Grand-mère. Dupe de rien je faisais semblant d'y croire, un peu pour moi, un peu pour mes adultes, mais surtout pour mes frères. C'est ce que je disais, surtout pour mes frères…
Cette dernière année, quand nous nous sommes rendus à l'église, la neige tombait, le vent soufflait fort même pour la saison. Grand-père toussait, presque à chaque pas, et s'appuyait d'une main sur mon épaule. Ce soir-là, sa main était lourde.
Au sortir de l'office, comme à chaque fois, la famille de Coralie était devant la porte. Aucun de ses membres n'avait sorti les mains des poches pour une pièce ou un serrement de main. Ils attendaient, ils attendaient notre invitation de dernière minute.
Le père de Coralie a proposé son bras à mon grand-père qui ne proposait rien. Et sans que nous les ayons invités à nous suivre ils sont venus jusqu'à la maison. De la même manière cavalière ils sont entrés. Coralie a jeté son manteau sur le fauteuil et a couru à la cuisine pour regarder à travers la vitre du four. Un gigot parfaitement doré, répandait sa vapeur de miel, d'ail et d'épices. Coralie a dit « j'aime pas l'ail » et est ressorti illico non sans avoir chapardé un mendiant.
— Tu es plus forte pour voler un mendiant que pour lui donner quelque chose.
Je lui ai dit ça mais elle n'a pas compris. Elle a ri bêtement et elle n'a pas compris. J'ai rajouté « clochard, mendiant ». et elle a continué à ne pas comprendre. « C'est une allusion » ai-je précisé.
— C'est quoi des alluvions ?
Je pense que cette veillée est le soir où je suis devenue adulte. C'en serait fini du Père Noël et du reste. Il ne me reste que les impressions, les odeurs et les goût du dernier jour de mon enfance.
Pour l'apéritif, la mise en bouche (avant nous disions amuse-gueule et c'était bien plus drôle) nous avons eu des gougères. Un délice ! Des choux d'une pâte légère et croustillante, un intérieur moelleux, tendre, odorant. C'est simple. Tu fais ta pâte à choux mais sans le sucre ; ensuite tu mets le fromage râpé, le poivre moulu et la muscade, c'est le plus difficile, juste ce qu'il faut de muscade ; tu mélanges encore. Le résultat est une préparation élastique et brillante qu'il ne te reste plus qu'à façonner à l'aide de deux cuillères à dessert en petite boule qui ne présagent de rien, billes suantes éparpillées sur la plaque à gâteau. Arrive alors le plus compliqué : le four doit être à l'exacte température, le minuteur pourrait sembler indispensable mais non, ce qui est indispensable c'est le nez, celui du cuisinier. Et celui du goûteur ! Moi. Je suis une experte.
La table est parsemée de petites coupelles et raviers avec jambon, radis, crevettes, tellines., quartiers de fruits, etc. Je comprends aujourd'hui qu'il y avait pour chacun un mets préféré. Si l'un de nous avait dit que dans la vie ce qu'il préférait c'était les roudoudou ou les dragées il y en aurait eu aussi…
Ensuite mon père sortait le couteau, un très beau couteau au manche en argent orné de frises florales, sa fourchette assortie, d'une boîte de cuir vert intérieur satin. Le couteau, la fourchette, et la planche. C'était une planche spéciale qu'il glissait sous la pièce de viande et qui s'insérait parfaitement à l'intérieur du plat de service. Chacune des tranches tombait comme un copeau, sans autre bruit que l'éclaboussure dans le jus brun et sucré. Elles s'empilaient jusqu'à ce que Grand-père dise « Assez, ça va refroidir ». Le service était dévolu à Maman. Elle servait nos grands-parents, puis les enfants les plus petits, puis les invités de dernière minute, et enfin mon père et moi.
Coralie dit à nouveau « J'aime pas l'ail ! » et aussi « J'aime pas le cresson non plus ! ».
Chez nous en hiver, le gigot était toujours accompagné de cresson et de patates douces. Les couleurs s'assortissaient dans les assiettes à bordure dorée comme s'il s'était agi d'un tableau. Impressionniste, car de ces repas seulement l'impression persiste. Tant d'années se sont écoulées. La maison est à la même place mais d'autres que nous y vivent. De temps à autre je croise les nouveaux propriétaires « Passez, vous verrez ce que nous avons fait du jardin ». Je dis que je viendrai mais qu'aujourd'hui je suis attendue.
Aujourd'hui. Justement ce matin au supermarché j'ai rencontré Coralie. On a échangé des nouvelles qui n'avaient rien de bien nouveau. Elle faisait ses courses pour le réveillon. Moi aussi. On a échangé nos numéros de téléphone et comparé nos menus.
Autrefois, quand nous avions fini de manger, tous ensemble nous débarrassions les assiettes que nous portions avec beaucoup de précautions à la cuisine. Des assiettes plus petites étaient prêtes sur le meuble à crédence. Les adultes se rasseyaient et nous les enfants — pas Coralie — nous entrions en piste : « les porteurs de desserts ». Il y en avait treize : des noix, des biscuits, des mendiants, des florentins, des chocolats, des dattes, encore des chocolats, des guimauves, des mandarines… treize. Nous faisions le tour de la table pour que chacun se serve. Ce dernier Noël j'ai eu droit à une goutte de champagne. J'ai cogné ma coupe contre celles de mes grands-parents, de papa et de maman. Un son pur et cristallin comme un rire ou une larme.
Tout à l'heure Coralie m'a téléphoné pour demander si j'irai à la messe. Un nœud s'est formé dans ma gorge comme une bulle de nostalgie. « Je n'y suis plus jamais retournée… » et cette idiote a dit « Ma pauvre ».
— Je voulais te demander depuis longtemps la recette des gougères comme les préparait ta grand-mère. Et aussi du gigot au miel. Ce soir toute ma famille sera chez nous, je pourrais les surprendre.
Il est vrai qu'elle m'a demandé de nos nouvelles. Mais elle n'a pas cherché à savoir si nos enfants venaient ou si nous serions seuls. Elle n'a même pas parlé de ma grand-mère ni de mon grand-père. Tout ça, ce que nous avions vécu ce dernier Noël, c'était il y a quarante-cinq ans. Elle n'a pas été curieuse de savoir ce que mes parents étaient devenus. C'est alors que j'ai répondu « Pour la recette tu repasseras ! ». Mais je ne suis pas devenue méchante j'ai dit aussi « Joyeux Noël ».
Merci pour ce partage.
· Il y a presque 6 ans ·J'ai aimé les roudoudou et je sais faire la pâte à choux.
Je n'aime pas cette Coralie et ses semblables.
Joyeux Noel.
Lady Etaine Eire
Gorge serrée. Que tu écris bien. C'est miracle !
· Il y a presque 7 ans ·lyselotte
Je suis assez contente de l'histoire mais n'hésite pas à réaliser la recette. Biz
· Il y a presque 7 ans ·nyckie-alause
Ouais, enfin, un miracle pour Noël…
· Il y a presque 7 ans ·nyckie-alause
Je la note !
· Il y a presque 7 ans ·lyselotte
Un très beau texte, les descriptions sont détaillées et nous plongent vraiment dans une atmosphère de Noël un peu nostalgique et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Pour ma part je trouve que le personnage de Coralie est particulièrement bien réussi. C’est un personnage très humain : à la fois présentée comme sans-gêne, égoïste mais avec en même temps un côté vulnérable. Du beau travail d’écriture, bravo !
· Il y a presque 7 ans ·Zélie Bélanger
Quel beau texte, si attachant, si émouvant ! Et merci pour la recette. Bonne fin d'année !
· Il y a presque 7 ans ·Louve
Pour le temps de cuisson le mieux est de rester devant le four…
· Il y a presque 7 ans ·nyckie-alause
Texte plein de nostalgie, je ressens bien tout ce que tu racontes et Coralie n'a pas beaucoup changé depuis son enfance, a priori...
· Il y a presque 7 ans ·Sy Lou
La seule chose réelle de l'histoire reste la recette … Des "Coralie" et sa famille, j'en ai croisé, mais ne m'y suis pas arrêtée. Passe de bonne fêtes
· Il y a presque 7 ans ·nyckie-alause