LES HAIES MÉLANGÉES

Isabelle Revenu

Chez moi, il y a du grillage pour taire mes envies de liberté.

Et des haies mélangées pour me donner une idée vagabonde du monde d'après.

Le grillage n'a que des sorties sporadiques. Et aucun trou dans les végétaux alignés.

Une sorte de promesse sans trève mais sans porte vers ailleurs. 

Un tableau que l'on contemple bêtement assis sur la souche d'un vieux pommier.

Mon Louvre. 

Mon musée d'Orsay.

Plein d'oiseaux pépiants et de bourdons fredonnants.

D'escargots encloisonnés et de sautereaux élastiques.

Ce matin, les troènes embaument le miel. Je les respire depuis ma fenêtre là-haut sous les combles.

Ca fait deux longues semaines que je suis entortillée dans un semi isolement. Une retraite grise.

Paraitrait à ce qu'ils ont dit que le meilleur est à venir.

Alors, je pose la question qui tue : Mais quand ?

Je suis un rat de grenier. Une de ces mouches qui tape au carreau en voyant le ciel bleu.

Et quand j'en ai assez de me faire mal, je dors.

La rosée descend lentement le long de la vitre sale. Les fenêtres de toit c'est bien, mais ça ne donne jamais une vue d'ensemble.

C'est toujours une vision angulaire, coupante, fracassée. Une silhouette à deux balles dont on ne sait comment raccrocher les wagons.

Je me tiens avec peine sur la pointe des pieds, je tends le cou et les yeux pour voir plus loin que moi.

Ces satanées tuiles sont têtues. Moi aussi.

J'ouvre le Velux, passe mes bras et de toutes mes forces, je me soulève, athlète ponctuel et suant d'efforts.

Un petit rétablissement et me voilà preque toute entière dehors ...

J'incline mon bassin et hop, mes mains agrippent le chaineau.

Encore un peu. Encore juste un peu ....

Oh bon sang, l'air est si bon à pénétrer en moi !

Maintenant j'ai une vision élargie. Un panorama à cent quatre-vingt degrés.

Une frise, un vrai cliché.

C'est bon, j'ai vu.

Les haies mélangées de houx et de chèvrefeuille. Les embrassades des forsythias et des ronces.

Les élancements amoureux de la vigne et des laurières.

Et tout un monde qui grouille, qui vibre, qui vit enfin.

Je détends mes bras en cherchant le bord de la fenêtre.

Je repasse mon bassin de la même manière.

Heureusement que je ne suis pas large, je ne voudrais pas rester coincée entre ciel et terre.

Entre rire et pleurs.

Mes orteils touchent enfin la chaise en osier.

Mes mains se cramponnent où elles peuvent.

Je rentre ma tête et je referme derrière moi.

Me revoilà en dedans de moi. Mais ça ne fait rien, j'ai vu ce que je voulais voir.

Il ne me reste pas si longtemps à attendre finalement.

C'est bien vrai qu'il y a encore du soleil dehors....

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