Les jours élastiques vous claquent à la gueule la nuit.

flolacanau

titre long pour texte court

« L'insomnie est la seule forme d'héroïsme compatible avec le lit » écrivait Cioran. Partant de cette hypothèse, j'étais prêt à me confectionner un costume en accord avec mon don. Le hacheur de sommeil, avec une belle francisque sur fond noir et un bonnet de nuit à pompon, c'était ma première idée, mais la Francisque depuis Vichy est salement connotée et je me suis rabattu sur la seconde option. Phare man, Une lumière dans la nuit, vous voyez le topo ? Pour la cape, j'étais pas sûr. Risque d'accrochage, problème de repassage, et puis je ne comptais pas voler non plus, alors la cape, ça fait son petit effet en vol, mais au repos... Non, un costume sobre de héros solitaire avec un petit logo qui tape dans l'œil quand même. La troisième hypothèse était carrément ridicule et a avorté dans l'œuf : Le compteur de moutons, moumoute frisée, moustache Bovesque, gilet en peau de mouton retournée, et bâton de solitude… avec une paire d'échasses et un béret j'étais bon pour une fête folklorique dans les landes, mais très éloigné de mes aspirations héroïques.


Me voilà donc, phare dans la nuit, allégorie prétentieuse et phallique, prêt à affronter les monstres des ténèbres, ces flasques sangsues rampantes qui s'insinuent dans la moindre brèche pour l'accroître, et infecter ce qui peut l'être. Les plus malignes serpentent en volutes impalpables jusqu'au pavillon de l'oreille et leur immonde succion baveuse m'arrache sursauts et attitudes défensives. Mon jour défile à l'aune de leurs filtres et apparaît sans fard ni paravent, minable, improductif, vide de sens et de consistance. « Tu ne dormiras pas » me disent les ombres, « pas avant d'avoir expié. Le sommeil se mérite et ton existence engluée n'y aura accès que par intermittence. » Aussi, me voilà, pâle et creusé de fatigue à brasser l'air confiné, à secouer la tête de déni. Tour à tour accusé, juge et avocat. Un enfer à trois qui rend chaque cauchemar doux comme un sein sous la paume. Oh oui, croyez-moi, je lutte pour la survie d'une humanité, la mienne, et quand vient le jour, quand les sangsues se terrent pour observer le monde sous la lumière crue, je m'écroule, exsangue, incapable de m'adapter au rythme des hommes. Je me traîne quand même, je rampe à mon tour, je singe mes congénères, je pousse un caddie, j'évoque le temps qu'il fait, je marche vite dans les rues pour donner l'impression qu'il y a un but, mais en réalité c'est en somnambule que je traverse le jour. Des siestes improvisées et peu réparatrices me conduisent jusqu'à l'échafaud du crépuscule. Alors pour tromper l'angoisse, je m'installe devant un écran blanc, je conçois mes mondes, mes règles, en claviotant, pendant que les pousseurs de caddie dorment d'un sommeil qualifié de juste. Quand l'imaginaire fonctionne, le réel a moins d'emprise. je délaisse mon costume, je m'endors avant l'arrivée du jour, survivant discret, qui au réveil songera à une autre idée de Cioran : En vieillissant, on apprend à troquer ses terreurs contre ses ricanements.

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