Les loupiots

Blanche De Saint Cyr

C’est les vacances.

Selma, 3 ans, découvre les Loupiots – c’est le nom du centre aéré du quartier. Aujourd’hui c’est son 4ème jour. Je pense que c’est une secte.

Quand je vais la chercher, ma fille m’accueille avec une explosion de joie et file ensuite se cacher dans la maison des poupées. Je cours derrière elle, essaye qu’elle en ressorte grâce à un valeureux discours, très créatif, où s’enchainent le détachement « t’as mangé quoi à midi ? », le constat « sors de là, on est pressé », la supplication « alleeeez viens iciiiii », la corruption « on va passer devant la boulangerie » et la menace « je vais me fâcher ! », en vain. Un coup d’œil par-dessus mon épaule : personne. J’escalade la haie en plastique car je suis trop grande pour la petite porte bleue. Attrape ma fille par un bras, la tire, la soulève. Elle s’accroche à la cuisinière en bois, fait tomber les casseroles roses. Je détache ses mains doigt par doigt, la pousse pour lui faire franchir la porte tandis que j’enjambe la haie à nouveau. Elle se met en travers, se coince dans la porte et hurle à la mort. Arrive une monitrice. J’ai un sac en forme de coccinelle dans une main, le bras de Selma dans l’autre et, à califourchon sur la haie en plastique, je m’allonge pour essayer de décoincer son T-shirt pris dans la poignée de la porte quand mes lunettes de soleil se fracassent sur le sol. Hoooo mais tu fais la coquinette avec ta maman ! dit la jeune fille perspicace.

- wouuuuuuuuuu je veux pas rentrer à la maison-hon-hon-hon-hooooooooooon !

- D’habitude, c’est quand on nous les amène le matin qu’ils font ça.

- Hum, oui elle est… euh… très sociable. Voilà. Elle aime être avec d’autres enfants… dis-je en prenant dans mes bras ma fille qui hoquète, secouée par des spasmes de sanglots.

Je souris jaune et bravement, je tente l’ironie « non mais elle a raison héhé, chez nous, c’est vraiment le bagne ! ». Je sors et me dépêche d’aller mourir de honte dans la rue.

 Ma fille est enloupiotisée.

Signaler ce texte