Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 13eme Partie

Remi Campana

13 UN PETIT BOULOT EN TEMPS DE CRISE

La crise se trouvait bien implantée en ce début des années QUATRE-VINGT-DIX. La creativophobie se mettait inexorablement en place, par le biais du métissage culturel. Même dans notre profession, cela commençait à se faire ressentir. Ma lamentable fin parisienne, je l’avais rangée au vestiaire, et ne m’en vantais jamais. J’avais appris que la belle Louison Parmentier, avec mes économies ? Avait acheté une hacienda à la Barbade, et en avait profité pour agrandir sa propriété en épousant un riche propriétaire terrien, qu’elle avait anéanti d’amour.

Quant à Dupa Grave, je le soupçonnais de toujours m’en vouloir de ne pas avoir tenu mes engagements après l’histoire Louis Phillipette. Il faut dire à sa décharge qu’à cause de moi, il avait perdu quelques juteuses affaires… A présent, ma besace devenait de plus en plus plate, que même une limande à côté d’elle paraissait grasse. Je me devais donc de lui éviter une crise d’anorexie de peur de la voir mourir.

La chance arrive souvent de la façon la plus sournoise ; la mienne sortit d’une malle où je trouvai deux vieilles soutanes à moitiés mitées. Après les avoir lavées et repassées, elles me semblèrent encore bien convenables pour une petite farce, qui pourrait légèrement me renflouer. Pour l’affaire, Dupa accepta de me rejoindre, une bible dans sa main gauche et une grille à barbecue dans la droite ; et nous voilà partis sur les routes de Provence.

On les portait bien, nos guenilles ; grimés en corbeaux au col blanc, nous racolions sur la chaussée publique comme des femmes de petites vies. Avec délicatesse, nous apostrophions les passants, leur demandant s’il n’avait pas un petit péché à nous confesser. Malheureusement, la malhonnêteté chez les gens m’a toujours déprimé, comme s’ils n’avaient rien à révéler, ou n’avaient jamais fauté. C’est qu’ils essayaient, en plus, de se faufiler entre nos pattes en prétextant des abominations comme « aller au travail »… Bandes de menteurs ! Heureusement, le bon père Dupa ne lâchait jamais le morceau, interposant sa grille entre sa brebis et lui. Dans ce confessionnal improvisé, il avait trouvé l’astuce pour les obliger à rester, leur expliquant que dans ce monde en perpétuelle agitation, la désertion de ses fidèles inquiétait notre bon Pape, et qu’à travers  ce grave cas de conscience, il eut l’ingéniosité de ce nouveau concept : dorénavant, ses chevaliers noirs (en nos personnes) viendraient  au-devant de ses ouailles, pour ainsi sauver leurs âmes.

Cinq minutes après le début des hostilités, nos drôles de paroissiens se délattaient eux-mêmes. Pendant que Dupa les charcutait pour connaître leurs fautes, Scarabée leur récitait à haute voix son latin improbable :

- Dominux, boitux à maliciux, ouvriux le portux-moneyux, amen.

Certainement que pour un lettré, la chose paraîtrait douteuse mais, depuis la réforme du petit catéchisme, son latin en valait bien un autre. Quand, à la fin, nos candides faisaient preuve de pénitence, les deux associés leurs sortaient du ciborium, l’hostie « sacré ». En réalité, il s’agissait de fines feuilles de pain azyme, récupéré dans une fabrique de nougat et découpées en rondelles avec l’aide d’un verre. Une fois le corps du Christ ressuscité et de nouveau mangé, on les prenait par la main pour les amener à la chapelle de la réconciliation. Une règle sous les genoux, on les laissait à réciter quelques Ave Maria. Bien entendu, on les avait soulagés au passage de quelques billets pour payer le rachat de leur âme. Que voulez-vous, rendre service à un prix...

L’entreprise ne fut pas des plus désagréables : en une journée, on avait récolté quelques milliers de francs, et rapporté à la foi chrétienne quelques cœurs égarées, dont deux Mahométans, et une Israélite en vacances. Sur le parvis, un mendigot nous réclama l’aumône. La soutane créant le prêtre, nous n’en sommes pas moins des hommes. Pour une pièce qu’on lui a laissée, on lui a pris tout le reste. Preuve de notre bonne action, il aurait certainement bu sa maigre pitance. Grâce à nous, sa cirrhose était préservée, et nous allions faire souffrir la nôtre à sa santé.

Cette histoire vous semble bien vilaine, et vous avez raison. Pourtant, à bien y réfléchir, elle est pleine de morale : quand les hommes eurent pris conscience de leur passage très limité sur cette brave planète qu’on surnomme la Terre, ils ont commencé à enterrer leurs morts, faire de l’art, et à créer des divinités pour avoir une impression d’immortalité. Telle fut le début de la plus grande schizophrénie de tous les temps qu’on appelle l’humanité. Aux portes du XXIème siècle, avons-nous toujours besoin de ces chimères qu’on appelle les religions ? Pourquoi idolâtrer une puissance divine, si nous lui ressemblons ? Dans ce cas, il ne doit pas être très folichon, ce vieil Hypocrite, car combien de folies avons-nous pu commettre en son nom ? Et pour terminer cette épître, je vous ferai seul juge de l’angoisse métaphysique de cette question :

« D’après vous, qui de ce Dieu ou de l’Artiste a été le premier à créer l’autre ? »

 (A suivre)

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