Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 18eme Partie

19. LE MAGHREBIN

Faites une bonne action pour la société et elle vous le rend en cagant. Voilà comment, du jour au lendemain, vous vous retrouvez dans un train qui vous emmène bien loin de votre mère patrie, avec pour seuls compagnons un sac à dos et une petite chatte négroïde. Bien entendu, malgré l’épisode dramatique que j’avais vécu dans les pages précédentes, je ne regrettais rien, car je m’estimais dans mon bon droit ; et puis un prédateur vendeur de femmes et profiteur de petites filles, ce n’était pas un mal pour la société d’en être débarrassé.

Avant de m’exiler, je n’avais pus m’empêcher de gruger le système une dernière fois, et bourlinguer gratuitement comme à mon habitude. Que voulez-vous, on ne perd pas aussi facilement ses mauvaises travers. La larme l’œil je dois reconnaître que j’étais bien triste d’avoir laissé mes amis, ma ville et mes traditions. Me rappelant par la même occasion une partie de mes aventures qui ne se reproduiront plus, je me sentais devenir sédentaire et m’effrayai à cette idée. Juste avant de partir, j’avais demandé à Dupa un dernier service en transmettant une enveloppe a Lada, ma mauvaise inspiratrice, pour la sortir une dernière fois de sa mauvaise passe.

Mais le freinage du train coupa court au songe de Scarabée à  six heure trente du matin ; la première personne repassa à la troisième, et du « je » au « il » je vous narre la suite de son périple. Les cigales avaient abandonné leurs poésies pour céder la place aux cris triviaux des Goélands. Tout en laissant ses souvenirs aux portes de son wagon, avec un peu d’épouvante, il se confronta à l’une des plus hideuses villes au monde : Le Havre.

Dans ce patchwork d’architectures, tout était triste et terne, ici rien ne se visitait : on pouvait juste regarder et constater. Dorénavant chassé de son Eden, il devrait se confronter, non plus au paradis terrestre, mais au purgatoire de ce tiers-monde. Il prenait une vraie leçon de vie auprès des autochtones, dans leur façon de parler aussi bien que dans leur gestuelle, ou dans leurs coutumes vestimentaires ; c’est bien simple, ici, tout était moche. C’était à se demander si Darwin n’était pas passé par là pour écrire sa théorie de l’évolution. Scarabée l’avait bien compris, le chaînon manquant entre l’homme et le primate, c’était le havrais. Quant aux filles du pays, elles avaient mis dans leurs hanches tout ce qu’elles n’avaient jamais eu dans leurs  têtes.

Dans le troquet où il s’était installé, même l’expresso, par son goût, lui faisait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu. Dans ce pays  tout se trouvait être à contresens : les fous, au lieu d’être enfermés, se baladaient en toute liberté ; quant aux gens un peux moins triviaux, ils devaient vivre caché car on ne les voyait jamais. Vous me direz que les insensés étant bien apprivoisés, ils ne vous dérangeaient jamais, la seule chose qu’on pouvait leurs reprocher, c’était la bave qu’ils laissaient sur le plancher. Scarabée, qui espérait des vacances pour se faire oublier, était bien servi, et commençait à se demander si la meilleure des solutions pour arrêter ce supplice ne serait pas le suicide ?

Pour la peine il se recommanda une eau noire. A son accent,  un drôle de coco, affalé sur le comptoir, le regarda salement tout en biberonnant sa bière. Jurant de mille mots, des choses que la décence m’empêche de vous répéter. Il faut l’imaginer l’énergumène : une tête tout en longueur, un front bas sur une mâchoire anormalement longue, et pour accommoder ces disgrâces, une bouche vide de toutes ses dents, qui le faisait siffloter quand il parlait, bref il avait tout les stigmates d’un enfant de la région. Malgré tout, il fallait reconnaître une qualité à ce phénomène, il semblait savoir lire les grosses lignes d’un journal posé a coté de lui.

-          Vous voyez, madame Germaine, ce qu’on ne fait pas là pour un bougnoule, pffff… Tout ça pour un Beur qui a glissé accidentellement dans un bassin  (il faut dire qu’à l’époque, le mot « accidentel »  dans cette ville, voulait dire, « aidé par quelques crânes rasés »). Mais ces gens-là sont comme les lapins, pour un de disparu vous en avez mille sur les genoux, cette foule de fainéants et de voleurs, ça ne pense qu’à vous tapinez, pffff…, et je sais ce que je dis, j’en ai pour preuve d’avoir fait l’Algérie.

Scarabée fit semblant de ne pas le voir, ce blond pisseux au drôle d’accent ; mais bizarrement, dès qu’il y avait un ahuri dans les parages, c’était pour lui.

-          Au-dais, boujou chez vous » (cette drôle expression était le signe de ralliement des indigènes de la province, pour dire bonjour, au-revoir et encore bien d’autres choses), mais le monsieur, c’est-il qu’il ne serait pas du coin que ça me m’étonnerait pas !

Avec bienveillance, il lui répondit qu’il arrivait du sud.

-          Pffff… Le sud, belle région, pleins de cactus et de rats, il faut dire que chez vous, les arabes ça pullule, à deux heures de bateau de chez eux, c’est normal.

Avec ironie, Scarabée lui répliqua que la Méditerranée était un peu plus grande qu’il ne pouvait se l’imaginer. Le demeuré ne releva pas, et continua fixé sur sa lancée :

-          Mais dites-moi, j’ai ouï-dire qu’on en attend encore deux-cent mille, de ces cochons-là ?

Scarabée, qui avait trouvé une victime de choix, ne put s’empêcher d’ironiser ;

-          Non, mon cher Monsieur, plus de deux millions.

L’autre sursauta, tremblotant, à la limite de la crise cardiaque,  s’adressa de nouveau à la tenancière.

-          Mais vous vous rendez compte, pffff…, madame Germaine, « deux millions », mais on va en faire quoi, de toute cette racaille ? Il faut recréer les milices, monter les pavés et prôner la guerre civile pour leur foutre un bon coup de pied dans le cul, et leur faire bouffer leurs roubignolles à toutes ces moukères. Comme je vous le dis…, vous l’étranger, nous somme des descendants des vikings, et on ne va pas se laisser emmerder par des caramélisés ou des chocolatés, pffff… Dans le passé nous avions, pffff…, bien eu la couàne des saxons, avec le grand Guillaume, et on est prêt à  recommencer avec ces étrangers, c’est moi qui vous le dis !

Il écumait, furieux, tapant du poing et se contredisant à chaque moment, à le voir on se disait que la consanguinité c’est quelque chose de pas très beau.

-          Et de nos filles, le provençal, vous en pensez quoi ?

A vrai dire, Scarabée n’avait jamais été tenté par les relations sortant de l’ordinaire. Fataliste et ouvert d’esprit, puisqu’il était condamné anormalement à rester ici, pourquoi pas se laisser aller à de nouveaux marivaudages, avec les femelles du pays ?

-          Humm…, à vrai dire, je ne les ai pas encore bien regardées, mais je suis sûr que dans le lot il doit y en avoir de jolies !

Qu’avait-il dit ? L’autre le mitraillait du regard ! Le bégaiement aux lèvres, il lui demanda :

-          Et vous, vous faite quoi dans la  région, vous comptez vous y installer ?

Il était difficile de répondre à cette question, mais sa tranquillité d’esprit valait bien un petit mensonge ;

-          Oui, le pays est joli et pourquoi ne pas s’y installer.

Sans rien dire, le « viking » paya sa note, tout en toisant du regard notre exilé, et juste avant de sortir se retourna dans sa direction, pour lui crier :

- Un bicot de plus !

Ce jour-là, je compris qu’on était toujours le bouc émissaire de quelqu’un. Et moi qui me prenais pour un Indo-européen bien incolore ! A quelques kilomètres de chez moi, pour des questions bien bêtes et bien primaires, je n’étais plus qu’un nettoyeur de caniveau, un mulâtre délavé ayant perdu toute preuve de sa blancheur naturelle ; c’était probablement cela que l’on appelle l’ignorance.

Le plus drôle dans l’histoire fut que je revis l’individu, quelques mois plus tard par le plus grand des hasards… Je me baladais tranquillement boulevard de Strasbourg, le temps m’était agréable, quand dans mon dos, j’entendis crier :

-          Hé ! Mon ami de l’extrême droite !

Je sursautai car je reconnus tout de suite le farfelu. Il devait croire que j’adhérais à ses idées pour  m’appeler son ami (à sa défense malheureusement, ma ville de naissance pour diverses raisons était tombée à l’époque, dans les girons de l’extrémisme). J’avais beau essayer de lui faire comprendre que j’étais d’un caractère paisible et que je n’avais surtout pas envie de me faire caillassés par la population environnante pour ses beaux discours. Mais rien n’y faisait et il hurlait ses sornettes de plus en plus fortement, refusant de se taire. Continuant dans ses idées, qu’il fallait créer des ghettos pour enfermer tous ces immigrés, surtout si encore deux millions devaient arriver, et il poursuivait de plus belle ses tirades sur la pureté de la race etc. A bout d’argument et voulant rester diplomate, pour changer cet air qui devenait nauséabond,  je lui demandai ce qu’il faisait dans le quartier. Il me répondit qu’il attendait « sa femme » et son beau-fils qui revenaient du dentiste (à mon avis, il aurait mieux fait d’y aller aussi).

A partir de là, son caractère s’assagit, on voyait bien quant il parlait de l’enfant et de sa dame, qu’il avait le cœur tendre, c’en était même beau. Très vite, derrière moi, j’entrevis une ombre ; me retournant je vis une noiraude qui parlait mal la langue de Descartes, et un garçon d’une douzaine d’années tout aussi noir. Il était fier de me les montrer, ces deux petits amours du nom exotique de Mouloud et Karima.  

Très surpris, je ne m’attendais pas à lui trouver cela dans les bras, mais plutôt une grosse teutonne et son prussien, comme quoi… ? Le plus drôle, c’est qu’il fut le premier d’une longue série de types un peu bizarres que j’ai rencontrés tout au long de ma vie dans cette région. A première vue, totalement  intolérant. Quand on se penche un peu et que l’on prend le temps de gratté la crasse on se rend compte qu’ils sont certainement les moins enragés, et les plus tolérants dans leurs bêtises aux contradictions ; pas comme beaucoup de ces macaques qui prônent la différence, et dès que vous émettez un doute sur leur bonne parole, vous crachent au visage car vous leur êtes forcement inférieur, ne pensant pas dans leurs directions.

Mais n’anticipons pas car ces loustics, il n’est pas besoin d’en parler, ci-vous êtes comme moi, vous devez aussi en connaître : ils pullulent à travers le monde et, faites-moi confiance, ces imbéciles-la ne sont pas non plus en voie de disparition.  Car les petits cochons sont sympathiques le temps qu’ils apprennent à devenir comme tout le monde de grands méchants loups.

 (A suivre.)