Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 25eme partie

Remi Campana

20. La finale remportée.

25. La finale remportée.

L’histoire est un consensus d’hallucinations, disait un personnage célèbre et c’est vrai. Comme toujours, en vous attendant j’avais repris l’improbable lecture de mon journal et ces litotes de la vie me rendaient tout chose. En première page, la mauvaise gestion de l’État : laissez-moi rire! D’après vous, quelles sont les différences entre un pétroleur de gauche et celui de droite? Le premier de ces messieurs a tellement peu confiance en ses idées qu’il n’a de cesse de nous les imposer par des lois sournoises et amorales, aidé en cela par des associations vassales, belliqueuses et tiers-mondistes qui vous castrent de la plus basique des libertés, celle de penser. Ce petit détail peut paraître insignifiant mais ce n’est pas peu dire : même les nazis n’ont pas fait pire en sournoiserie que ces aliénés des causes justes. Alors que la seconde catégorie est tellement nombriliste et sûre de ses fadaises, repliée sur son petit capital qu’elle se contente de s’écouter parler. Comme je suis trop peu agressif, malheur aidant, radotant à tous vents, vous devez penser, qu’étant droitier, je me sens plus en osmose avec le second de ces imbéciles. C’est faux, ma diagonale se trouvant trop éloignée de mon horizontale, de ce fait bon égalitariste, le racisme à l’envers badiné de compassion perpétuelle des «guigneurs» de gauche me donne des nausées accompagnées d’envies de les tuer. Quant à l’immoralité et à la petitesse des «blasonnés» de droite, elle m’énerve si fortement que je n’ai qu’une envie, les griller au chalumeau faute de pouvoir les décrasser au karcher. Mais restons casher, la philosophie de boudoir que je pratique en cachette, n’est pas de celles qu’on achète. De plus, elle ne me contredit jamais. D’ailleurs cela me rappelle les paroles d’un bourgeois de la haute, qui pouvait endosser les costumes tantôt de l’un, tantôt de l’autre suivant les fluctuations boursières, car n’oubliez pas une chose, seuls ceux qui ont les poches vides ont des principes ; pour les autres ils s’adaptent. La preuve, comme le Christ, je n’ai pas grand-chose dans le fond de mes tiroirs. Histoire de vous amuser, je blablate en beauté en vous répétant mot pour mot ce qui me fut expliqué sur la préséance due aux personnages de haut rang, de la bouche même de mon notable.

-Mais, mon pauvre ami, si des gens comme moi n’avaient pas le droit de picorer les avantages de miséreux comme vous, quel intérêt aurait-t-on à assister une République? Quand je me sers, en vous écartant les fesses ce sont les intérêts de la France que je redore! Heureusement que nous avons des privilèges, sinon les grands de ma race partiraient batifoler publiquement avec les plus forts au lieu de le faire sournoisement en cachette. Savez-vous ce qui nous en coûte de devoir vous donner l’impression d’aimer cette crasse qu’on appelle la masse?

Avec un peu d’imagination, je comprenais très bien ce qu’il me disait…..!!! De quoi, encore une fois je vous vois venir : ça y est, il en remet une couche, à chaque début de chapitre il nous refait le coup, il embrouille et nous égare avec ses calembredaines qu’on n’arrive pas à comprendre, etcétéra, etcétéra.….!!! Mais dites-moi, de quoi je me mêle c’est mon histoire, et comme tout grand enfant n’imaginez tout de même pas que je doive me mettre au niveau de la populace pour qu’elle me discerne. Non, je mon frotte les mains sous l’eau d'une AQUAMANILLE car c’est à la tourbe de faire l’effort de me déchiffrer : en bon radoteur j’aime à faire prétentieux. Mais arrêtons- nous ici, reprenons la suite de notre arlequinade, Maître Scarabée nous attend. Il vous expliquera mieux que personne mes colères et mes tourments. Que le clap de cette nouvelle séquence commence, un, deux, trois, c’est parti, action.

A peine avait-il posé le pied dans la salle de classe, qu’un regard inquisiteur le fixa. «L’has-been» Maître, rouge de honte, rampant d’un pas hésitant, se plaça à l’endroit du matin. À peine assis, au lieu de se détendre, il scrutât de haut en bas ce professeur au style loufoque, ses jolis iris cachés derrière des miroirs. Les élèves n’avaient pas perdu au change : celle qui avait remplacé monsieur le directeur Riche-Cœur était plutôt charmante. Une démarche élégante posée sur de hauts escarpins lui durcissait les mollets, faisant ainsi agréablement ressortir ses hanches au galbe de son arrière train et dans lequel se perdait le nicolaïsme primal de quelques envieux des deux sexes. Quant à son parfum assorti à la qualité de ses vêtements, il démontrait quelle ne devait pas connaître les travaux pénibles. La seule touche de grossièreté était due à un rouge à lèvres couleur japon, trop violent pour la pâleur de sa peau. Pour conclure elle avait encore un maintien de vestale pour son grand âge : il est vrai quelle louchait vers la quarantaine.

Cinq minutes étant passées, la rêverie laissa pointer le fleuret de la lame rappelant à Scarabée la dure réalité de ses obligations. L’asphyxie érotique se terminant, l’hygromètre devait être déréglé car une chaleur insupportable le brûlait. Dégoulinant de sueur, il aurait dû être séduit par un tel spectacle mais il n’en fut rien au moment où elle ouvrit la bouche. On sentit un effluve d’arrivisme poivré discordant avec cette assemblée. Maître se demandait ce qui le dérangeait, la réverbération du soleil sur le verre des fenêtres ou cette bondieuserie d’athéisme qu’elle lui imposait. Mademoiselle Blumenthal-Halévy-de-Gramont avait le cœur à disserter sur l’épreuve du matin. Il faut signaler à sa décharge qu’elle était le professeur d’histoire de l’art. L’ignardise de ces futurs artistes l’indignait : deux personnes sur quarante-trois avaient bien répondu sur le décorticage des œuvres de la matinée, Scarabée et son voisin de table, encore que…, celui-ci ayant copié sur notre narrateur. Les autres confondaient première guerre mondiale et seconde, l’image du Kaiser Guillaume devenant celle du maréchal Pétain. Cette allégorie teutonne sur les enfants envoyés à la mort se transformant en vainqueur de Verdun regardant défiler les jeunesses hitlériennes, il fallait le faire, ils ont réussi à le faire, amalgamer casque à pointe et Français moyens, c’était l’Europe avant l’heure.

Ce petit brin d’humour, totalement véridique, aurait pu se terminer ici. Il n’en fut rien. Ne voyez-vous pas qu’elle aussi se mit à pratiquer la confusion mentale très à la mode de nos jours, mélangeant le petit corse dans la tambouille allemande, tout cela pour terminer sur la Shoah. Maître aussi avait dans sa famille quelques spécimens qui avaient mal tourné dans des circonstances analogues, terminant en graisse à godasses. Ce n’était pas une raison pour militer «son improbable vérité», et puis cinquante ans étaient passés dans le sablier. Jugeant qu’il y avait prescription, Scarabée relâcha sa concentration, par un soupire de mécontentement. Ce manque à la plus élémentaire prudence n’échappa pas à la cheftaine qui avait l’ouïe fine. S’approchant à quelques centimètres de son nez, lunette contre lunette, elle lui sortit ces balivernes:
-Dites-moi, jeune homme, vous n’êtes pas un peu raciste, voire pire, antisémite? Que vous vous en preniez en cachette à de nouveaux Français passe encore, mais pas à un polymorphisme génétique aussi noble que le mien.
Dire cela à un croisé comme Scarabée, voilà qui ne manquait pas de picaresque. Surtout qu’a voir les traits vulgaires de son visage, ils ne dissimulaient en rien les stigmates d’un arien pur-race.
- Ma chère dame, vous foncez comme un taureau devant un chiffon rouge, mais à ce sport la pauvre bête est rarement vainqueur, terminant à l’abattoir. De mon coté, je ne confonds rien, mon nez retroussé, mon front haut et ma graisse large, ainsi que l’ébène de mes cheveux et de ma barbe, plaident pour moi. Même avec des lentilles bleutées et une teinture bon marché, je ne passerais pas pour ce que je ne suis pas. Maintenant, à contrario, je n’oublie pas d’où je viens ni qui je suis. Par principe je n’idéalise rien, ne pratique pas l’angélisme de pacotille ou le dénigrement de soi, de ma culture, ou de mon pays. Cependant, si vous avez le désir d’imposer vos fantasmes, libre à vous. Même si cela doit me coûter ma place, j‘ai encore la liberté de ne pas aimer vos sarcasmes. Oui, je n’adhère en rien à vos idées, ni hier, ni aujourd‘hui, ni jamais. Vous qui idolâtrez la différence, à trop vouloir diluer, vous exhalez haine et division en tuant tout sur votre passage. Plutôt que de devoir aimer par obligation ou par procuration, je préfère commencer par me méfier pour éviter de mépriser. Quant à vous, j’ai un doute.
Mademoiselle Rachel (j’utilise juste son prénom, son nom de famille étant trop long à réécrire) bondit d’un trait aux arguments du malandrin. Un «crétin» si petit, presque imperceptible s’échappa de la bouche de la prêtresse que seul l’intéressé reçut à la face. En bon philosophe, Scarabée ce dit que tout-un-chacun se devant de porter son étoile de David, celle-ci ou une autre ferait aussi bien l’affaire pour l’occasion. Ainsi fait, l’élégante colérique avec ses douces manières quitta la salle, d’une démarche d’éléphant témoignant que l’énervement ne sert jamais la beauté.

La place cédée, la dernière épreuve commença et s’en trouva pour l’occasion plus légère. Jean-Noël Vermillion, un dandy comique, prétendument professeur de peinture et de composition, entra en scène tout de blanc vêtu, cigarette au bec, voix et manières de tantouse.

- Bonjour amis futurs artistes.

Rajustant sa fleur de lys à sa boutonnière fleurie, le malandrin s’empêtrait les doigts sur le revers de sa veste... A bout d’argument, pour ne pas perdre la face il prit un tabouret et le déposa sur une table.

-Voyez-vous, si je vous montre cet objet, vous allez me dire qu’il à une fonction pratique et non artistique. Or je m’élève en faux, car si je le décide celui-ci devient œuvre d’art grâce à une seule chose, mon génie créatif. Votre regard ainsi modifié par ma déduction ingénieuse vous oblige à faire évoluer vos limites intellectuelles, grâce à la seule conceptualisation, idéalisant de la sorte l’œil du spectateur par un arrêt forcé sur ce design; de cette manière à son tour il devient partie intégrante de l’œuvre d’art.

Un post-Duchamp, de l’avis de Scarabée, qui était un peu comme le prophète Mahomet, moins croyant que marchand, voilà qui promettait… Bref à peine avait-il terminé avec sa théorie du «repose-cul» qu’il délira sur le cercle chromatique.

Avec un ventilateur hélicoïdal dont l’hélice avait été remplacée par un carton représentant son fameux cercle, il s’amusait à le faire tournoyer à l’aide de sa turbine, celle-ci donnant ainsi l’impression d’un blanc pur. En bon théoricien, le triste personnage assurait à l’assemblée qu’un mélange savant des trois couleurs primaires donnait justement cette pureté. Je veux bien croire qu’avec du rouge, du bleu et du jaune on réalise un gris plus ou moins clair. Mais de là à réussir ce qu’il assurait, par expérience je peux vous le dire, même un Léonard de Vinci devrait se lever de bonne heure pour réussir ce prodige. Sa vérité dite, je passerai sur les grandes phrases pompeuses et démesurées du ouistiti surtout qu’on pouvait résumer son «blablatage» en une seule ligne: «Il était professeur de quoi au juste, vu qu’il avait l’air de ne savoir rien faire?»

Après ce «terrible» exploit, il trouva deux disciplinés pour lui ranger son barda, ce qui octroyait à ce mou un répit pour la préparation de l’épreuve de l’après-midi. Elle consistait non pas à reproduire son anti-couleur mais à réaliser à notre tour une «Vulgate Khromatikos*».

Continuant sur sa lancée, il passa à la première étape, fixer sur une planche de bois un papier humidifié. Voila qui était bien pensé mais prendre un contreplaqué de même format que la feuille non trempée n’était pas forcement la bonne solution. Le maladroit avait oublié un détail d’importance : une fois mouillée, celle-ci se détend. Le pauvre bougre ne savait que faire. Il s’embrouillait, scrutait l’assemblée, il déchira la feuille sans le vouloir, recommença, s’énerva, pleura. Trouvant cette perte de bon sens pesante et surtout enquiquinante, Scarabée lui vint en aide. Découpant en quatre un «format raisin» au sec, l’humectant en croix, de son centre vers l’extérieur, il réitéra recto-verso l’opération, attendit dix minutes et renouvela l’expérience. Pour finir il la fixa délicatement sur son support à l’aide d’un papier kraft. Le «Vermillon» n’apprécia que moyennement cette aide, n’ayant aucune envie qu’on sape son autorité. D’un geste réprobateur il envoya valdinguer le bon Maître. Intimant à l’assemblée de prendre un papier canson de fort grammage (cela régla le précédent drame de la pâte à chiffons), il demanda aux «concoureux» présents de dessiner trente-six petits carreaux de cinq centimètres sur cinq, de déposer dans la première case un «bleu azur», au centre un «jaune citron» et dans la dernière le «rouge de garance». A partir de là j’imagine que vous avez compris ce qui allait se dérouler! La ligne devait passer d’une couleur à l’autre par des mélanges savants, un jeu d’enfant pour Scarabée. Maître simplifia son travail en le compliquant, entourant une case sur deux de ruban adhésif, passé au préalable sur la manche de sa chemise (ce qui évite en le retirant des déchirures au papier). Les couleurs, de cette manière, furent déposées avec simplicité sans se mélanger les unes aux autres. Une fois sèches il recommença le même stratagème pour faire les suivantes.

Le premier à avoir terminé vous vous en doutez fut votre narrateur et à quinze heures passées de quelques minutes, il retrouvait sa liberté. A peine rentré chez lui, il se remettrait au seul sport qu'il pratiquait avec plaisir «la douce paresse»

Il faut dire pour l’excuser qu'il n'était pas habitué au travail obligatoire. Laissons-le maintenant se reposer et reprenons à mon compte la suite des évènements.

Le lendemain matin, je revins pour l’ultime épreuve, «l’entretien personnel». Cela devait dévoiler mes motivations au métier d'étudiant. Bref pour faire simple, il fallait exceller une fois de plus, dans une discipline que je maîtrisais:«le mensonge».

À peine rentré, j’y retrouvais Mademoiselle Blumenthal-Halévy-de-Gramont, escortée de deux autres professeurs qui m’étaient alors inconnus. A leur vue, je doutais que la tournure de cette histoire soit à mon avantage. La charmante discution de la veille était sans doute aussi cauchemardesque qu’une mauvaise assiette de poisson dont l'arrête principale serait restée coincée dans les chairs de votre gorge. Mais advienne que pourra, comprenne qui pourra, avec étonnement je dois reconnaître à ma grande surprise que ce ne fut pas le cas : elle n’était pas rancunière. L’originalité paya, elle me félicita sur l'analyse de mon travail ainsi que mes répliques spéciales, critiquant seulement mes fautes d’orthographe qu'elle sermonna (que voulez-vous personne n’est parfait). J’avais réussi là où j'aurais dû échouer. Le cœur radieux et la larme perlant, je partis joyeux, tranquillisé pour l'havresac de ma cagnotte ; grâce aux bourses pour les trois années d'étude à venir, elle resterait remplie.

De quoi, vous êtes choqué ? Après avoir déblatéré sur la physionomie déformée de tous ces gens, voici je m’encanaille à leurs côtés. Mais que voulez-vous, je ne vais pas attendre pour plaire aux déontologies dominantes de mourir dans la pauvreté, ou de me suicider pour avoir l'apparence d'un héros. Je suis comme vous, incapable de renoncer à mon petit confort.

En plus, profiter du système est une manière pour moi de faire résistance, en vengeant vos ancêtres, je leur rends hommage. Pour terminer, je pousse le paroxysme à un niveau schizophrénique pour vous expliquer cette déduction par mon rêve du chapitre précédent:


-1870: désastre pour l’Empire, celui-ci est mort, reproche est fait que les petits Français n’étaient pas suffisamment unifiés pour s’engager dans la bataille.
-187: La commune ébranle les idées reçues.

-27 juillet 1872: Le service national devient une servitude pour tous les hommes de ce pays.
-1882 L'obligation d’instruction (et plus tard de scolarisation) pour tous les enfants des départements, grâce au «grand humaniste» Jules Ferry. Pour l'occasion, trois comptines enfantines sont apprises aux mouflets , «Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine» écrite en 1871 en hommage aux provinces à reconquérir, «La Marseillaise» qui sera déclarée au premier rang national en 1879 et pour finir «Le chant du départ» l'hymne le mieux écrit.

-1913: le Service national est porté de deux à trois ans.

-1914 La première guerre mondiale, et ses désastres aux séquelles perceptibles jusqu'à aujourd’hui.

Après avoir radoté cela, trouvez-vous que le génie du grand Jules est toujours aussi angélique? Quoi de mieux pour faire la sale besogne que de créer une génération de soldats ? N'oubliez pas qu’on considère que trente ans font une génération et qu’entre 1882 et 1914, trente-deux ans se sont écoulés. Le plus drôle, c'est qu’on admire dans tous nos manuels d'histoire, l'un des pires criminels comme un héros national. Après tout, nos annales sont écrites par des républicains et non par les monarchistes. C'est donc de bonne guerre s'ils ont le droit d'avoir du sang sur les doigts.

Mais excusez-moi, remarquant onze heures à la pendule de la cafétéria, je vous laisse donc seuls juges de la conclusion. Il est grand temps pour moi de vous quitter car mon cours de composition de neuf heures va commencer dans cinq minutes : j'ai vu mon professeur qui vient d'arriver pour le donner.

*Note: Le cercle chromatique, est une représentation circulaire des couleurs primaires et complémentaires (Rouge, orange, Jaune, Vert, Bleu, Violet) elles sont ordonnées à la manière d’un arc-en-ciel.

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