Les nuits égarées D’Archibald Naught #1 prologue
maddie-perkins
Fermer la porte — trois tours.
Poser les clefs.
Régler le chauffage sur Confort. Enrouler les écouteurs. Allumer la lumière. Nourrir le chat. Oter le manteau. Sortir le thé. Ouvrir le gaz. Attendre.
Cinquante-quatre goûters servis aujourd'hui. Trois vomissements. Onze caprices. Quatorze couches pleines. Neuf changées. Deux tétines sales. Un ours perdu. Vingt garçons. Trente-quatre filles. Huit heure/Dix-huit heure quinze. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi. Et on recommence. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi…
La bouilloire siffle dans la cuisine, un torchon protège sa main, il remplit sa tasse favorite, une tasse blanche, en porcelaine, sans aspérité, sans identité. Trois fois, il souffle — la fumée se dissipe — où va-t-elle ? Il se rend dans le salon, s'assoit sur le fauteuil, cinq mois de salaire, observe l'ancien poste de télévision, soixante et un ans d'ancienneté, et parfaitement, le silence. Il prend ce livre posé hier soir à la même heure, sur cette petite table à sa gauche. Il cherche le marque-page, le tord entre ses doigts, intègre les premiers mots. Sartre. Huis clos. Edition de dix neuf cent quarante sept. Page cinquante-trois. Ligne dix-neuf. Martyre.
Lorsque Archie lit, les personnages apparaissent. Il les voit, vivre dans son salon, rejouer la pièce. Il voit Estelle, Garcin et Inès, faire mine de ne pas comprendre l'Enfer, ce lieu amical. Ils parlent entre les murs, une tapisserie orange, et s'échangent tour à tour, leur place sur le sofa émeraude. Ils sont là, ils existent. Le silence se meurt.
Vingt heures neuf, dîner dans la salle à manger adjacente. De la dinde, des haricots, de l'eau plate. Toujours la même marque. Vingt heures vingt-quatre, se brosser les dents. Dentifrice, cent vingt-cinq millilitres, code barre — deux, zéro, zéro, zéro, six, huit, neuf, un. Vingt heures vingt-sept, toilettes, numéro de série devenu indéchiffrable, urine claire. Vingt heures trente, la chambre, se coucher, deux verres d'eau, fermer la porte. Tirer la couverture, lisser les draps, fermer les yeux, ouvrir les yeux. Attendre.
Ca a commencé comme ça. Dans l'obscurité, l'inconscient en éveil, le regard morne, les traits inexpressifs, l'esprit rôdeur et désoeuvré, les phrases qui circulent, les moqueries instantanées, les souvenirs perdus, les immondes regrets, les remords et les quiproquos, les images défaites, les débuts d'apocalypse et les fins naissantes. Ca a commencé comme ça.
Au matin Archibald n'avait pas dormi, pas une minute et pas une seconde. Alors à six heures quinze, la douche, le petit déjeuner, les dents, le chat, partir. Ensuite, prendre le bus, le numéro cent cinquante-deux, cinq arrêts. Lire. Puis prendre le métro, huit stations. Seize pages. Et marcher, quinze minutes. Le soleil n'apparaît pas, la nuit demeure, les passants sont frigorifiés. Archie aussi. Entrer dans la garderie, dire bonjour. Attendre que la journée passe.
Quarante-trois goûters. Soixante dessins. Quatre histoires. Six livres. Treize siestes. Vingt-huit filles. Quinze garçons. Neufs tétines. Douze biberons. Deux hochets. Un mort-vivant.
Dix-huit heures quinze. Marcher. Métro. Huit stations. Bus. Cinq arrêts. Lire. Ne pas lire. Mourir. Epicerie. Dire bonsoir. Acheter. Payer. Remercier. Saluer. Sortir. Marcher. Rentrer.
Fermer la porte — trois tours.
Poser les clefs.
Je prends enfin le temps de lire et j'ai hâte de lire la suite. Beaucoup de rythme, un style qui me plait beaucoup !
· Il y a plus de 9 ans ·ade
Merci Ade ! Les parties suivantes sont en ligne si tu veux :)
· Il y a plus de 9 ans ·maddie-perkins
Oui j'ai vu et j'ai déjà commencé les autres parties :)
· Il y a plus de 9 ans ·ade
Eh bah ! Ça démarre sur les chapeaux de roue ! On se demande où tu vas nous emmener.
· Il y a plus de 9 ans ·Un bon prologue
ladyquiet14
Merci à toi. Les trois parties suivantes sont en ligne si la curiosité t'en dit...
· Il y a plus de 9 ans ·maddie-perkins
Merci à vous deux!
· Il y a plus de 11 ans ·maddie-perkins
Intriguant, c'est précisément ce que je ressens aussi. Et pareil que Raf', les phrases courtes donnant ce rythme me conviennent parfaitement. A suivre, donc.
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
J'accroche totalement à ce prologue ! Les phrases courtes, l'énumération, tout ça, c'est un style que j'apprécie beaucoup ! Et puis ça donne une impression de routine, d'oppression, c'est vraiment efficace !
· Il y a plus de 11 ans ·rafistoleuse
Merci beaucoup, heureuse de t'intriguer...
· Il y a plus de 11 ans ·Je posterai la suite petit à petit, c'est une nouvelle de 50 pages.
Merci encore!
maddie-perkins
Ouh c'est très intriguant ça ! L'aspect clinique de ce prologue a quelque chose de captivant et donne envie d'en savoir plus !
· Il y a plus de 11 ans ·octobell