les p'tits bistrots

Thierry Soria

C'était beau un zingue la nuit dans un café pas très clean.

 Que sont-ils devenus ces petits bistrots où l'on refaisait le monde, rythmé par les godets que l'on vidait ? Ici pas de statut, prolo, nanti, flics, putes, gangsters, paumés,  tous au même endroit. Une sorte de no-man’s-land où l'on accrochait les vestons au portemanteau comme on suspendrait sa vie. Un décors à la polar, d’la verve à la Audiard… Quoi de plus normal, chacun faisant son cinoch’. Le Gino toujours à vouloir te fourguer des tocantes qu’il ramenait de Vintimille ou de Gènes, des imits cartier aussi clinquant que la quincaillerie d’une baronne de machin chose… Le même Gino qui voulait d’ailleurs à Rome nous faire dormir dans une bâtisse type monastère aussi lugubre qu’une chambre de bonne dans un hôtel bourgeois…  Quand on a dix huit  piges on n’a pas le sang chaud pour faire des prières dans une pension d’famille, on n’était pas des bruyants mais les belles romaines nous donnaient des envies d’aventures amoureuses. Gino ! Même les poulets fermaient les yeux,  « S’il fallait foutre au gnouf tous les branques ! »… et l’Albert dit « la sueur » les yeux rougis par une partie de poker très tardive et qui cherchait du regard celui qui allait payer sont café, vu qu’il n’avait plus un radis en poche, com’ d’hab ! Il se faisait toujours lessiver il n’avait pas plus de chance en tapant le carton qu’avec les bourrins du reste ! « La sueur », dés que que’qu’ chose le tracassait, il dégoulinait. Et ouai, c’était mes gueules de la nuit pendant pas mal d’années et je les aimais bien sans trop savoir pourquoi.

 Que sont-elles devenues ces gueules de la nuit, gueule cassé, belle gueule, gueule d’ange mais gueule de con aussi… Car dans un troquet qui s’respecte, faut de tout et puis com’disait le patron << Le jour où on déclarera faux le bifton des cons alors j’arrêterais de les servir, mais pour l’instant il vaut celui d’un pas con… et pis crois pas, ça court pas les zingues les non-cons ! Et j’sais de quoi je cause, 30 piges que j’fais le con derrière le zingue. >>

Où est-elle la pute du petit matin qui buvait son café crème en début de comptoir ? Toujours près de la porte… Les yeux tirés, le geste las, les pieds gonflés d'avoir trop piétinés. Où est-elle celle qui vendait de la tendresse pour tous ces timides en manque d'amour ? Que sont-ils devenus ces endroits que mes pieds ont foulés, ces visages que mon regard a croisés, de ces filles de joie que j'ai aimées ? Non, pas aimées, respectées... oui c'est ça, Respectées !

Et toi la Myriam que sont devenus tes rêves ? Sur le zingue tu me les étalais, com’on tartine une peine de cœur,  le plaisir tout simplement d’entendre tes propres mots, afin de matérialiser des images dans ta tête, de te rassurer en quelque sorte. Je t’écoutais et j’t’aurais écouté pendant des plombes. << Une p’tite auberge au bord d'une rivière, pour les amoureux de passage… Ouvert seulement le midi, turbinerais plus le soir, le soir sera pour ma pomme !… Je regarderais les étoiles, fini le nez sur le trottoir !… Et puis j’aurais des fleurs, beaucoup d’fleurs, j’aime les fleurs… De temps en temps j’inviterais les copines pour parler du bon vieux temps… ça m’servira à ça les économies, à m’faire du bien… 20 ans que j’tapine alors encore dix et j’mets les voiles mon p’tit père ! T’imagine ta Myriam en pleine cambrousse ? Fini les talons, vive la basket ! >> Qu’elle me disait dans un éclat de rire qui se voulait naturel. Les nuits blanches ne donnent rien de naturel... << Tu viendras la voir ta Myriam, t’auras toujours ta chambre toi et puis ça t’oxygènera la carcasse. >> La Myriam, c’était un p’tit bout d’femme, elle n’était pas d’une grande beauté, non, mais elle avait quelque chose d’indéfinissable qui attirait les mecs. Aujourd’hui je me rends compte que je ne suis jamais monté avec elle… Pourquoi monter quand on a droit à des instants d’intimité au bord d’un zingue ? Quand on a droit à des p’tits gestes tendres, à des baisers sur la joue… La Myriam, c’était un sacré bout d’femme… ouais ! Un sacré p’tit bout…

Dans les murmures de la salle, un vieux juke-box diffusait une chanson qui parlait d'amour et de voyage. Je n'en connaissais ni le titre, ni l'interprète, de toute façon je m'en tapais.... J’ai encore à l’oreille le son de la Myriam, j’ai encore dans la tête ces grands yeux qui me regardaient... Mais c'était un blues, c'est certain ! Cette atmosphère où l'odeur du parfum et de la sueur faisaient un drôle de mélange. Vous allez peut-être trouver ça idiot, mais je n’ai pas le souvenir que ceci m'ait dérangé... au contraire, au p’tit matin ça faisait parti du décor, tout comme le môme qui dormait la tête reposant sur la table, la lumière donnant à sa tignasse des reflets pourpres, une vraie gueule d’ange… après tout, quoi de plus normal que d’avoir cet air là quand les conneries sont au repos. Dans le cendrier sa cigarette se consumait lentement laissant échapper une fumée grisâtre qui semblait danser au rythme du blues… Putain ! J’ai 52 balais au compteur et je n’les ai pas vues filer… Cette drôle d’impression que mes souvenirs ne sortent que d’un rêve… En référence à Bernard Dimey vivant devant l’éternel : Je dirais que j’ai vidé plus de verre en trente ans que mon père à fait de bornes avec son mille-pattes. Aujourd’hui je regarde ma vie comme on regarde la télé, mes amis s’en sont allés, j’en vois parfois dans le petit écran, dans des émissions nostalgique du style des Carpentier… Je ne les ai jamais oubliés. Si j’ai le regard humide parfois, c’est juste qu’une bise venue de je ne sais où est venue me caresser les mirettes… Salut à tous amis de la nuit et paumés du p’tit matin.

  • Nos souvenirs sont un album où les générations futures se doivent de venir le feuilleter de temps en temps. On ne vit pas dans le passé mais il sert pour l'avenir. C'est ce que je pense en tout cas.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Juste le bruit de l eau 54

    Thierry Soria

  • C'était le temps où les gens étaient vivants, je pense comme Nicole, nos échanges se passent par le net, comme maintenant! Mes 66 ans d'existence m'ont permit de vivre de belles années. Notre café, nos grandes discussions où nous refaisions le monde, c'était chez "Jeanne". Je ne suis pas soixante-huitard, car j'avais déjà deux enfants et 21 ans. Maintenant mes petits enfants me parlent par texto, c'est la vie!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Y a pas d'quoi Junon ! Ce sont les être qui font les lieux alors évidemment les temps "évoluent". merci à vous Junon.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Juste le bruit de l eau 54

    Thierry Soria

  • C'est une très jolie chronique du temps perdu...:-) J'ai retrouvé une atmosphère dusparue, mais que j'aimais aussi. Merci...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • Bien sur pourquoi regretter ? Justement c'était bien toute cette promiscuité que nous ne retrouvons plus maintenant ! Les échanges passent par le net, mais il manque la chaleur humaine même si elle passe par le coeur ! Bisous

    · Il y a presque 13 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Oui Nicole comme tu le dis... c'était un temps et je ne regrette rien !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Juste le bruit de l eau 54

    Thierry Soria

  • C'est touchant, remplis d'humanité où les gens se cotoient sans vergogne et a priori ! Bien loin de ces temps présent...

    · Il y a presque 13 ans ·
    Version 4

    nilo

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