Les rêves ont un royaume

Gabriel Meunier

Lettre à mes petits enfants, et bien sûr à tous les enfants

Seuls les enfants et les vieilles personnes le savent.

Cloués par leurs certitudes, englués par leur quête insatiable de confort, de sécurité, les adultes n'imaginent même pas qu'un tel royaume puisse vraiment exister. Si on prend le temps de leur décrire, ils sont même incapables de distinguer ses frontières !

Pour vous, sans parler trop fort, je vais tracer les contours de ce merveilleux domaine, infini, secret et peuplé de sourires. J'ai dit tracer, mais ce peut être aussi retracer, car les adultes ont, en plus des défauts dont on a vu quelques horreurs, les adultes ont la terrible manie d'écraser de plus en plus tôt ces regards enfantins. D'ailleurs, aux formules vieillottes, et finalement presque anodines (« mouche toi et dis bonjour…», « ne marche pas dans l'eau », « dépêche toi »), ont succédé des encouragements  bien plus ravageurs pour « participer » à toutes sortes de jeux concours, de défilés, de « performances » dont les parents sont fiers pour leurs petits singes.


Du Nord au Sud, puis de l'Est à l'Ouest, voici les frontières de ce royaume.


Au Nord, le silence d'un flocon de neige ; au Sud la flamme d'une bougie ; à l'Est le chant d'une mésange au printemps ; enfin l'Ouest est bordé par le murmure d'un ruisseau.

Ce sont là quelques images de ces frontières ; peu à peu vous en trouverez d'autres, bien utiles pour vous ; gardez les secrètes. Ce sont des images, car la réalité de ce royaume est bien plus complexe et changeante ; seuls les enfants et les « vieillards » savent que ce ne sont que des images, des apparences. Pour vous expliquer, faites l'expérience ; une nuit d'hiver, regardez la neige tomber. Et alors, repérez un flocon dans sa chute lente, douce, infiniment douce. Alors, écoutez bien. Le silence s'ouvrira doucement, comme une porte, lentement, sur d'invisibles musiques, des milliers de petites chansons, des murmures pleins de tendresse.


La frontière du Sud est très belle aussi. En fixant la lueur vacillante d'une bougie, laissez-vous fasciner, laissez-vous emporter vers ces élans d'été, de rayons clairs et chauds, ce souffle qui caresse les blés en longues vagues ondulantes.


La troisième, celle de l'Est, celle du matin, est magnifique, envoûtante, et vous ne la franchirez certainement que dans un sens. Lorsqu'un matin vous entendrez, tout près de vous, le chant d'une mésange, votre cœur battra si fort que ce printemps durera toute votre vie.


Enfin la dernière frontière, celle de l'Ouest, du couchant - ou de l'automne – comme on veut, serait mélancolique. Mais n'hésitez pas. Le petit ruisseau qui gazouille sous les pierres et la mousse se laissera franchir sans encombre. De l'autre côté, la douceur infinie des prés.

Des chemins clairs vous conduiront vers ce royaume.


photo G. Meunier ; anthotype au jus d'épinard frais du jardin (!)
réalisé à partir d'un film de J. Meunier de 1920


  • Sublime !
    Et je ne cesse de m'extasier, sans être blasée, devant les merveilleux couchers de soleil que j'admire depuis mes fenêtres. Et pourtant, je suis en région parisienne, mais l'horizon est dégagé devant moi, d'ailleurs je vois même le fanal de la Tour Eiffel - à 25 km - qui me fait de l'œil dès que la nuit tombe. Un de mes fils m'a dit un jour " Tu as toujours le coup de foudre, Maman", presque un reproche. Mais oui, c'est peut-être l'apanage de l'âge alors...Non, je crois que c'est dans ma nature depuis toujours.

    · Il y a presque 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve


  • Comme si, à la couleur des rêves,
    On pouvait donner un titre,
    Décider de clore le chapître
    Et dire que la toile s’achève…

    · Il y a presque 4 ans ·
    Tulip  avr  21  03

    rechab

  • un coup de cœur pour ton royaume !

    · Il y a presque 4 ans ·
    Photo

    Susanne Derève

    • tu mérites le code secret du portail

      · Il y a presque 4 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

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