Les rêveurs
Pierre Magne Comandu
Nous sommes de ceux qui sont des rêveurs ; ceux dont la solitude est le bout du bout des rails, quand ils se terminent, là-bas, dans un grand hangar noir.
Nos lumières, ce sont les nuits noires de l'hiver quand elles entourent les fenêtres de nos maisons et nos sapins de Noël ; les limbes des nuits dans les draps de nos lits trop blancs et les milliers d'idées à la seconde dans la tête, nos ombres.
Derrière les fenêtres du train, les éoliennes au-dessus de la brume dans les champs à l'entrée de Paris sont notre aurore ; les reflets d'argent sur les noms de villes gravés des deux côtés de la gare Montparnasse, notre crépuscule.
Enfants, dans la cour asphaltée de l'école, nous ne voyions pas le ballon de foot aux pieds des copains, Simon ou bien Sylvain ou encore Alex, nous ne nous en souvenons plus vraiment ; adossés au muret devant les fenêtres de la cantine, nous n'entendions pas non plus les histoires des copines, Mathilde, Estelle, et puis peut-être Vic, nous ne nous les rappelons plus vraiment.
Et quand le train arrive sur les rails du terminus, nous ne regardons plus ni l'or du corps des femmes, ni n'écoutons les rires éloignés des enfants quand le vent les emporte, loin, très loin des terres.
Nous sommes les seuls voyageurs de nos trains, ils vont de nos stations natales à nos arrêts de mort ; nous seuls en descendons.
Nous quittons les paysages que seuls nos yeux ont créés, ces terres explorées dans nos rêves sans fin et ces noms murmurés avec nos mots muets : des flots du golfe d'Oran aux soirs bleutés de Cabourg, de la neige d'Ottawa aux cerisiers en fleurs sur le bord de Kyoto.
Nos trains arrivent au terminus et, nos valises derrière nous, nous longeons la longue route, déjà délivrés des veines bleues de nos mains et des battements du sang rouge dans nos cœurs.
Nous regardons l'horizon.
Nous sommes de ceux pour qui l'horizon ne fond pas.
Très joli
· Il y a presque 10 ans ·dreamcatcher
très beau texte, merci. et je ne peux m'empêcher de m'y reconnaître. ainsi qu'une certaine solitude et un sentiment d'inadaptation de ces rêveurs face aux "autres". Est-ce vraiment dans le texte, ou est-ce que je projette ?
· Il y a presque 10 ans ·carouille
Merci ! Avant tout, si vous le voyez, alors c'est dans le texte ! C'est vous, lectrice, qui le créez :)
· Il y a plus de 9 ans ·Je crois que ce sentiment-là d'être différent est à l'origine de chaque rêveur. Ils cherchent à lutter contre ou au contraire à la cultiver, ils en font quelque chose. Ils ont fait le choix de ne pas être comme tout le monde !
Pierre Magne Comandu
Du bon usage de la virgule.
· Il y a presque 10 ans ·J'ai relu plusieurs fois pour bien apprécier cette prose rythmée! On devine un goût pour la musique des mots. Ça s'accorde très bien avec le fond, merci pour le voyage.
austylonoir
le sujet du poème est exploité de façon très original ! La sensation de rêverie se dégage fortement sans que vous ayez recours à des artifices ou des poncifs de la thématique. Bravo !
· Il y a presque 10 ans ·Mathilde Renversade
Oh, merci ! Désolé du temps de réponse à certains commentaires. Je ne sais pas si c'est vraiment un poème, mais je crois qu'il a aidé à l'orientation poétique de futurs textes.
· Il y a plus de 9 ans ·Je crois qu'il faut vite apprendre à éviter les poncifs. La force des mots et des images me semble être dans le détail des choses parfois insignifiantes :)
Pierre Magne Comandu