Les vacances ch 2
divina-bonitas
Parfois nous allions en vacances d'été chez la grande-tante et son mari, à côté du Castellet. Ils avaient dix enfants, mes grands-parents 6, plus ma mère, mon frère et moi, plus l'anglais époux de la fille aînée de la grande-tante, plus le cousin Luc et sa sœur, bébé née prématurée en Afrique et mise en couveuse dans un saladier, plus les pièces rapportées en périodes estivales.
La maison construite sur un plan alambiquée et fichée dans un sol sableux, crachait ses entrailles en continu: on mangeait sable, on dormait sable, on respirait du jaune en poussière fine jour et nuit.
Pas moins de 20 à table, les journées à l'époque du sans congélateur, sans piano de cuisine, sans lave-vaisselle et sans sèche-linge, se résumaient ainsi: wagons de céréales et lait au petit déjeuner, vaisselle, balais sous la grande table aux bancs étroits, courses, repas bricolés dans l'office microscopique, re-vaisselle, re-balais, lessives, étendages, re-courses du soir, re-vaisselle jusqu'au tard de nuit.
Parfois nous allions à la plage pique-niquer. Nous nous entassions dans le break Peugeot à trois banquettes arrières en skaï chaud, fourrant ceux qu'on pouvait - les plus petits - dans le coffre. Mon grand-père embarquait le reste dans la DS. Ma grand-mère avait préparé des pans-bagnats mayo et cousu des cabines de plage en éponge rayée censées préserver notre intimité.
Une fois sur place, les gens nous regardaient s'extraire des véhicules aux pouvoirs magiques de sac de Marry Poppins. Quand il n'y en n'avait plus d'enfants, il y en avait encore qui descendaient des voitures, tête ou fesses la première. Une jambe ou un bras menu giclait inopinément d'une portière ou d'un haillon qu'un adulte attrapait au vol comme on chope un jeune poulet par une aile. Puis on enfilait les maillots, parfois tricotés mains, sous les cabines de plage. 25 personnes sous les sacs rayés amusaient la galerie. Le petit cirque était arrivé. Puis on gonflait les pneus qui nous servaient de bouées, puis on dégustait les pans-bagnats garnis de mayo et de sable, pour un croustillant salé inégalé.
Ma grand-mère détestant ces séances et peu friande de baignades, sanglée dans un maillot pour femmes d'âge mûr, passait la journée sous le parasol dans sa chaise pliante, chapeau sur la tête bien enfoncé, lunettes noires de rigueur. Quand elle n'était pas contente, elle mettait toujours ses lorgnons de soleil, même en plein brouillard. Elle nous surveillait, hurlait de temps en temps "Vous allez trop loin! Revenez! Vous allez vous noyer!".
Et le lendemain tout recommençait: la cuisine, les courses, le balais, le sable dans le moindre interstice de carrelage ou de peau, les draps humides qui grattent la nuit, le linge étendu et séché au sable brûlant...sous le regard absent du grand-oncle. Lui, c'était un philosophe de profession qui s'abstrayait merveilleusement de toute cette agitation des femmes et des enfants, se tenait à bonne distance du balais, de la cuisine, des courses et du linge sale. Il avait bien mieux à faire: lire des pavés en police lilliputienne de 800 pages au fond d'un fauteuil en rotin, pipe vissée au coin des lèvres. Nous ne le dérangions jamais. Un sage pareil cultivant des savoirs transcendantaux faisait notre admiration et notre crainte. Du coup pas d'aspirateur qui aurait fait du barouf. On passait le balais à ses pieds et sous l'assise avec la dévotion qu'ont les idoles pour les grands gourous.
Un beau jour, Barbara sortit L'Aigle Noir. Alors nos corvées s'accompagnèrent de ces mots dont nous ne comprenions pas la teneur. Nous rêvions naïves de nous endormir près de son lac, sans sable ni balais ni pinces à linge, nous imaginions des joyaux bleus scintillant autour de notre cou et des ciels mystérieux.
A 17 ans, lasse de mon prénom composé, je décidai de me faire appeler Barbara.
J'aime ces récits qui nous ramènent à une époque si chargée en émotions et en souvenirs, ceux-là même qui creusent la vie.
· Il y a plus de 5 ans ·Sy Lou
Merci Sy Lou! Quand il n'y avait ni télé ni consoles ni smartphones ni micro-ondes, je crois que du coup l'esprit était prompt à l'observation.
· Il y a plus de 5 ans ·divina-bonitas
Bien sûr… Et aussi à l'émerveillement, ce dont les enfants, et jusqu'aux plus jeunes, semblent en être privés aujourd'hui.
· Il y a plus de 5 ans ·Sy Lou
Peut-être...pas tous j'espère! Mais j'avoue que je ne suis pas fan de l'idée de laisser des enfants de 3 ans ou plus derrière une console...Rousseau le disait bien déjà de son temps, toute l'importance de faire découvrir la nature aux enfants, de les laisser s'y ébattre, observer...
· Il y a plus de 5 ans ·divina-bonitas
Très beau texte plein de vie!
· Il y a plus de 5 ans ·aile68
Merci Aile!
· Il y a plus de 5 ans ·divina-bonitas
Une époque faite de plaisirs simples et qui avait son charme, très joli texte Divina
· Il y a plus de 5 ans ·marielesmots
Merci Marie! Oui enfin plaisirs simples...! Bonjour les corvées domestiques!
· Il y a plus de 5 ans ·divina-bonitas
Ce n'est pas faux :)
· Il y a plus de 5 ans ·marielesmots
oui, tres sympa...! en partie aussi expérimenté... mais ces richesses ne sont pas matérielles... Les prolétaires, les vrais, ne peuvent pas facilement y accèder car la réalité les a laminés depuis longtemps. J'ai connu une femme de ménage qui dépensait de belles sommes en portant son linge au pressing... Elle vivait au jour le jour, sinon d'heure en heure, n'avait pas les moyens d'acheter une machine à laver...et encore moins d'en léguer une à ses enfants ou petits enfants (qu'elle n'eut pas).
· Il y a plus de 5 ans ·Bonne journée à vous
Gabriel Meunier
Longtemps responsable d'une association d'aide aux plus démunis, je comprends très bien ce que vous dîtes, ai connu des ménages en grande précarité qui se ruinaient avant le 10 du mois en surgelés, abonnements TV, accessoires auto, tickets à gratter...
· Il y a plus de 5 ans ·Bonne journée aussi à vous
divina-bonitas