Les vacances ch 3

divina-bonitas

témoignage

Parfois nous allions à la montagne, dans un petit village peu fréquenté des touristes, sis à la frontière italienne. Ma mère, mon frère, mes grands-parents et moi. On louait toujours le même appartement. Au dernier étage d'un petit immeuble au balcon filant et penché, orné de persiennes verdâtres écaillées, on observait les camions en provenance d'Italie passer dans la rue principale. Un jour l'un d'entre eux s'est arrêté sous nos fenêtres dans une grande fumée noire et un bruit de fin du monde. Il n'avait plus de freins après la descente du col.

Parfois un semi-remorque se renversait dans un lacet serré. C'est ainsi qu'on mangea des pêches jaunes et juteuses pendant des semaines sous toutes les formes possibles: en purée, en compote, en confiture, en tranches tièdes, pelées au vin, et même salées avec du lapin.


Parfois nous allions pique-niquer au bord du torrent. Ma grand-mère portait dans un sac à dos une cocotte-minute remplie de ratatouille, des côtelettes d'agneau, du sel, du poivre et des branches de thym. Une fois sur place le grand-père allumait le feu. On calait la cocotte sur des pierres et on taillait des branches pour y poser la viande. L'après-midi on s'asseyait dans ce que les gens de là-bas nous avaient dit être des marmites de sorcières, sorte de trous creusés par l'eau vive et glacée dans la roche grise.


Jusque là, tout allait bien. Le pire consistait en randonnées pédestres qui auraient mieux convenues à des chèvres qu'à de jeunes enfants. Nous partions dès 9 heures en espadrilles et short, sans bob ni crème solaire, sans lunettes de soleil ni gourdes ni sandwichs, marcher. Marcher des heures durant, parfois jusqu'à 21 heures dans des sentiers arides, parfois ombragés et parfois non, des GR raides et étroits censés nous mener vers je ne sais quel refuge imaginaire où des gens bien intentionnés nous serviraient des tartelettes aux myrtilles ou aux framboises. Ma mère babillait pendant des heures. Le grand-père, ancien chasseur alpin, faisait la route avec les chiens, montait avec eux puis redescendait nous chercher en râlant parce que nous ne marchions pas assez vite. On voyait son short beige et sa chemisette à carreaux escalader les rochers, disparaitre puis refaire surface quelques minutes plus tard. Là il se retournait et nous invectivait de loin, bras en l'air: "Allez! Du nerf! Ça va vous faire les mollets!"


Parfois on croisait des cordées d'alpinistes chevronnés, enduits de crème blanche, équipés de tout un tas de cordes, piolets, mousquetons, chaussures montantes, bâtons de marche, lunettes à verres rouges. On les dépassait à l'aller, puis quelques heures plus tard à la redescente. Ils nous regardaient ébahis sauter d'un bord à l'autre du sentier, courir si on le pouvait, eux qui continuaient à monter d'un pas rythmé et nous avaient promis que l'aller-retour était impossible à faire dans la journée. "C'est ce qu'on va voir!" leur avait lancé le Papou, lui le sexagénaire tout sec qui en avait vu d'autres à Narvik pendant la guerre, marché des heures pieds nus dans la neige. Ce n'était pas quelques balades estivales de 12 heures en espadrilles sans eau ni ravitaillement qui lui faisaient peur.


En ce qui me concerne, si j'aime marcher, ces randonnées stakhanovistes n'étaient pas à mon goût. Rapidement j'en ai eu marre de grimper des raidillons caillouteux sous un soleil de plomb, sans autre but que des mirages de tartes aux fruits. Je trouvais vite une méthode: me faire suffisamment mal les premiers jours pour rester peinarde sur le balcon à lire et regarder la montagne changer de couleurs au fil des heures. Donc selon les années, j'optais pour l'insolation, l'entorse du genou ou de la cheville. Même la rebouteuse locale n'en pouvait plus de me voir débarquer régulièrement alors que nous venions à peine d'arriver, une jambe gonflée et de travers. Mais j'avais une pile de bouquins à lire et voulais pouvoir mener mon projet à bien, seule de préférence à l'appart, sans personne pour venir m'enquiquiner. Exceptionnellement mon père nous rejoignait. Comme au cours d'une randonnée en plein soleil très escarpée, il était devenu tout rouge et ne pouvait plus respirer, il restait avec moi. Ensuite ce sont les chiens qui me tinrent compagnie car l'un d'entre eux s'était bloqué les reins durant une autre marche forcée, ce qui avait couté du temps et de l'argent en vétérinaire du fait qu'il n'y en n'avait pas sur place et que, descendre à Chambéry en plein mois d'août pour faire soigner le toutou avait bousillé une journée de vacances.


J'adore toujours cette montagne sauvage et peu fréquentée, j'aime ses fleurs et ses lacs, j'adore regarder la faune avec des jumelles, écouter les marmottes siffler, entendre le chant des clarines à l'aube, j'aime rencontrer les gens et surtout, c'est là-bas que j'écris le mieux, le regard au loin sur les sommets et les glaciers, toute seule tranquille sur un petit bout de balcon. Là-bas j'entre dans le torrent et peux y rester des heures, pieds dans l'eau, à m'emplir du chant de l'eau, des sifflements des aigles, fermer les yeux et me laisser bercer par le vent, me ressourcer complètement.

  • Un coup de coeur avant même de terminer le texte! Un grand merci pour ce texte, impression de paradis...

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

    • Merci Aile! Je t'invite à découvrir ce qui est effectivement un morceau de paradis très protégé...soit la Haute-Maurienne.

      · Il y a plus de 4 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • La montagne ça vous gagne mais ça se mérite ! Très joli texte qui recalera nos smombies à leur bonne place :o)))

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • J'adore moi aussi cette montagne que tu décris parfaitement avec les émotions qu'elle procure. Les marmites de sorcières s'appellent chez moi des marmites de géants. Juste pour ton info et j'aime ces trous d'eau froide où l'imagination n'en finit plus d'inventer des histoires de… sorcières. J'ai connu un membre de ma famille qui nous obligeait à marcher des heures durant en plein soleil d'été, sans eau, pour apporter le matériel nécessaire à son ascension du lendemain. Mulets soumis et dociles que nous étions… Tu as été plus maligne que nous avec tes entorses. Bien que je n'aurais pas eu intérêt à me faire une entorse…
    Merci pour ce très beau texte, sincèrement.

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Pas de quoi Sy Lou, c'est un plaisir de partager l'amour de la montagne!

      · Il y a plus de 4 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • Lanslebourg ?

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

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