Lettre d’adieux à la Mort  

El Mimomandes

Chère Mort,

 

Ça fait maintenant longtemps qu'on se connaît, qu'on se côtoie. Et si je me souviens bien, je t'ai même rencontrée avant de connaître la vie. Oui, rappelle toi, lors de ma naissance ce 20 janvier 1992, lorsqu'avant même que ma mère puisse me serrer dans les bras, tu me tenais déjà dans les tiens. Tu avais essayé de me voler à elle, de t'approprier ma maternité, mais grâce au médecin réanimateur, j'avais pu être ramené à la vie et aux bras musculeux et pourtant toujours pleins de douceur que sont ceux de ma mère.

Pendant une vingtaine d'année, nous n'avons pas eu l'occasion de nous revoir. Tu as visité certains de mes proches, notamment mon arrière grand-mère. Mais ce rendez-vous était comme trop souvent avec toi, un tête-à-tête, grande romantique que tu es. Je trouvais, comme c'est généralement le cas, que tu étais venue trop tôt pour mémé. Mais  le trépas est un rendez-vous dont seule toi veux généralement veiller à la ponctualité.

Puis tu as pris mes deux chiens, et je t'en ai longtemps voulu. Mais tu as bon goût et je comprends que t'aies voulu les récupérer, c'était de bons animaux de compagnie.

 

Puis tu es revenue vers moi dernièrement pour me visiter régulièrement.  Mon amour de la vie a dû susciter ta jalousie pour que tu veuilles me récupérer à elle. T'es venue te jouer de moi, danser une valse morbide, faire de moi un mort-vivant, plus mort que vivant, verser dans mes veines un poison dont on ne peut même pas retrouver de traces dans le sang : la mélancolie.

 

T'as mis un voile sur mes yeux. Un voile sombre. Moi qui aie souvent eu l'occasion d'apprécier la vie en rose, je me suis retrouvé à tout voir en noir et blanc avec en couleur dominante : le noir, bien sûr.

Tout : ma mère, mes amis, l'amour, les contacts, tout est devenu une torture, un sujet de souffrance, d'inquiétude, d'irritation grâce à tes grands talents d'enchanteresse.

Mon élan pour la vie a petit à petit totalement cédé pour ne laisser place qu'à la mort (sociale, psychologique, identitaire). Et tu t'es jouée de moi jusqu'à refuser de me donner le coup de grâce : ma mort physique.

 

J'avais décidé de m'abandonner à toi. Tu étais un monstre contre lequel je n'avais pas la force de lutter. Depuis la nuit des temps, tu avais remporté le combat contre tout le monde. Même Mathusalem avait finalement cédé.

 

Mais je me suis souvenu que tu étais une grande romantique dans l'âme (ne venant aux gens qu'en tête-à-tête, souvent dans la nuit, souvent dans les lits, posant un baiser dont on ne revient jamais sur des lèvres bientôt inanimées). Et j'ai pensé qu'au lieu de lutter contre toi, il était peut-être plus convenable de t'écrire une lettre.

 

J'ai beaucoup entendu parler de ces gens là que tu étais finalement parvenue à dévorer jusqu'au trognon lorsqu'ils avaient sauté dans tes bras, suspendus à une corde. Tu les avais rendus morts intérieurement et, fourbe que tu es, crédules qu'ils étaient, ils avaient imaginé que c'était la vie qui était dure avec eux, la vie qui leur jouait des tours, la vie qu'il fallait fuir. Là où en fait, il ne s'agissait que de toi.

 

La lettre d'adieux qu'ils ont fait à leurs proches en même temps qu'à la vie, moi c'est à toi que je l'adresse. Car mon seul espoir, c'est que la vie m'attende encore quelque part.

J'espère que tu ne m'en veux pas trop de te quitter comme ça après les trois ans qu'on vient de vivre ensemble. L'amour dure trois ans paraît-il et notre histoire touche donc à sa fin. Les ruptures sont toujours difficiles et je me doute que te jouer de moi était une activité de plein-temps que t'avais commencé à apprécier. Pour ne pas te faire souffrir et que tu ne décides de te venger, considère que nous faisons seulement un break (comme les adolescents aujourd'hui qui veulent voir ailleurs tout en sachant qu'il est toujours bon d'avoir une roue de secours dans le coffre). Faisons un break. Deviens ma roue de secours, et quand les routes de la vie auront eu raison de la gomme de mes pneus, je saurai où te trouver cachée sous le plancher de mon coffre. Mort, tu seras toujours en moi, mais là où les autres et moi-même ne te voyons pas. Je saurai faire appel à toi un jour mais laisse moi profiter un peu de mon amour de Vie que je n'ai jamais assez apprécié à mon sens.

 

Merci pour ta compréhension Mort,

Adieu, du moins à dans longtemps, à dans 50, 60, 70 ans…

 

Antoine

 

  • Très ironique, très bien écrit, subtilement très vivant (malgré la Faucheuse...) et puis bien sûr, je m'y retrouve.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Alice Gauguin

  • Très bien écrit. N'hésite pas à lui balancer ta lettre à la gueule...sans remords !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    erge

  • Ou comment repousser les limites de la Camarde en l'affrontant !
    Découverte due au coup de cœur de Arthur Roubignolle. Merci Antoine.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    lyselotte

    • Du coup merci à toi pour apprécier et pour me faire découvrir un nouveau mot avec la "Camarde" et merci à Arthur pour t'avoir amené à lire mon texte.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Autoportrait le dc3a9sespc3a9rc3a9 gustave courbet

      El Mimomandes

    • Georges Brassens parlait de la Camarde et en Bretagne c'est l'Enkou..

      · Il y a presque 9 ans ·
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      lyselotte

  • Très bien ce texte, la lettre d'adieu aux idées morbides.

    · Il y a presque 9 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • oui. tu as bien raison. vaut mieux régler ses comptes avec la mort de son vivant... ;-)

    · Il y a presque 9 ans ·
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    wic

    • Oui bien dit, avant que la mort ne règle définitivement ses comptes avec notre vie.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Autoportrait le dc3a9sespc3a9rc3a9 gustave courbet

      El Mimomandes

  • Goodyear t'en souhaite de nombreuses.

    · Il y a presque 9 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

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