Lettre de démotivation d'une candidate à l'emploi
Lisa Azorin
Pas plus tard qu'il y a deux jours, sur 423 « offres d'emploi » proposées par Profilculture dans le secteur journalisme/édition/communication, 5 étaient des CDI, 11 des CDD, 2 des missions freelance, le reste des stages. Faites la soustraction… voilà ! L'emploi est mort, vive l'emploi ! Le stage donc.
Si on m'avait dit, il y a quelques années, qu'il fallait répondre « stagiaire » à la question : « Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? », j'aurais été bien embêtée. C'est quoi d'ailleurs le cursus pour faire stagiaire ? Il faudrait un bac plus combien ? (A ce propos, si quelqu'un à l'occasion pouvait préciser la règle de calcul, parce qu'il semblerait que certaines formations comptent double, quand d'autres vous valent un zéro pointé…)
Journaliste : c'était ma réponse. Genre Tintin à Libé. Jamais lu Tintin mais j'ai eu Libé : un stage d'observation de trois jours en pleine campagne électorale Sarkozy-Royal à côté duquel je suis complètement passée faute de maturité suffisante. Les suivants, je ne les ai pas manqués en revanche. TSF Jazz, Neuf Mois, Reporters d'Espoirs, Direct Montpellier Plus, Radio Vatican : c'est là, intégrée à ces rédactions toutes plus déroutantes les unes que les autres, que j'ai découvert ce qu'était le journalisme. Elles ont été mon école avant celle, officielle mais non reconnue par la profession, où l'on m'a appris que publier une info un peu vite et pas très juste n'était pas bien grave, pourvu d'être le premier à la démentir. Ah… Mentir comme démentir ne me disant trop rien, pas davantage que retranscrire des dépêches AFP derrière un bureau, le journalisme et moi, on n'a pas fait long feu et l'Argus de la Presse m'a recueillie. Dans veille média, il y avait encore « média »…
Bien avant cela, tandis que j'attendais patiemment de décrocher une licence d'allemand pour pouvoir passer les concours des écoles à Tintin, Benjamin Constant m'avait envoyé ses sbires armés de ses œuvres complètes pour collationnement et correction avant parution. L'homme ayant été prolixe, j'en étais toujours à traquer la virgule en dilettante lorsque la routine de la veille média m'a gagnée. Séduite par l'expérience du travail à domicile, j'ai plaqué conventionnellement journalisme et CDI pour embrasser édition et freelance. Qui dit réorientation dit formation (toujours pas reconnue par la profession), stage à haute valeur formatrice en tant qu'assistante d'édition, puis confrontation à l'implacable réalité : je m'étais reconvertie à un métier de stagiaire. Le code ortho-typo, ça s'apprend vite, la cession de droits étrangers aussi et le stagiaire formera le suivant. Récemment, j'ai même vu une offre encore mieux que « stagiaire dans l'édition » : « stagiaire en charge du recrutement ». J'ai eu affaire à l'une d'elle un jour : elle m'a demandé en quoi consistait le métier de correcteur…
Au chapitre des entretiens sans lendemain, il y a eu…
… le cabinet d'expertise en risques psychosociaux qui m'a attribué puis retiré le poste au motif d'une bisbille entre la responsable RH, qui a nié avoir lancé l'appel à candidature et confié le poste à la fille d'un client, et le recruteur qui ne s'est pas gêné pour récupérer mon numéro de téléphone et me proposer de « me faire plaisir » avec lui…
… l'agence de communication qui m'a fixé un entretien le vendredi pour le lundi puis a souhaité me faire passer un test (simple formalité) en vue d'un début de collaboration à la fin du mois. J'attends toujours le test mais on a dû leur couper le téléphone. Et Internet…
… l'éditeur qui m'a fait passer un premier entretien au cours duquel j'ai décliné la proposition de stage mais signifié mon intérêt pour le CDD de 10 mois, puis qui m'a fait revenir pour un second entretien avec les RH, pour le stage donc...
... celui qui avait besoin d'une convention de stage, pas d'une collaboratrice…
… tous ceux qui n'ont pas même pris la peine de décliner ma candidature.
Le journalisme et l'édition ne sont pas les secteurs les plus porteurs actuellement, c'est vrai. Je n'ai pas emprunté la voie royale, d'accord. L'expérience, c'est bien, mais ça ne fait pas tout, certainement. Mais 405 stages sur 423 offres d'emploi ? Autant jouer au Loto.
Encore plus que journaliste, encore mieux que correctrice freelance, j'aurais voulu être une candidate à l'emploi respectée.
Très intéressant et déprimant... Dire que presque tous les secteurs sont dans ce cas là !!!!
· Il y a environ 10 ans ·Et, combien de jeunes diplômés n'ont pas entendu : on recrute, mais seulement des gens qui ont de l'expérience !
Bref, personne ne recrute plus et on continue de foncer dans le mur !
veroniquethery
Merci pour votre expérience, et si je puis me permettre, puisque vous êtes correctrice, un petit clin d'œil, "m'a faite revenir" : m'a fait revenir ;)
· Il y a environ 10 ans ·Aurélien Loste
J'vais monter une boite dont tous les employés ne seront que des stagiaires, et avec l'argent gagné sur mes stagiaires je fonde un centre de formation pour stagiaires...
· Il y a environ 10 ans ·arthur-roubignolle