Lettre homonyme

yl5

Lettre  homonyme

 « Qui suis-je, où suis-je ?»

Sont mes premiers mots balbutiés à la femme en blanc, découverte après le plafond.

« Ouf ! Vous n’êtes pas devenu comme Artaud fou » me lance-t-elle.

« Je démens, mais  dites» la relançant.

« Une joggeuse vous a retrouvé ce matin, gisant inconscient sur la plage de l’ile de Sein, en tenue d’homme-grenouille, la Divine Comédie dans les mains marquée page 100 d’un texte signé YL5 en caractères Bauhaus police 11 sur une feuille A4 de 80g, maintenant vous êtes à l’hôpital Breton de Rennes chambre 10.»

« Il fait beau, de l’air doux mi-chaud me ferait de bien, puis-je sortir auprès de la fontaine, Madame »

« Non, vous restez en observation jusqu’à demain, vous n’êtes pas sorti du billard, mon gaillard ! Restez au lit.

Je veille et la nuit même, je vais subrepticement à la quête des mes racines sur l’ordinateur en repos du secrétariat médical déserté, j’allume le moteur de recherche pour surfer où les vagues abondent.

Je tape YL5 sans me faire mal, et après de nombreux sites présentant des machines diverses améliorant la circulation sanguine, l’éclairage déviant ou la détection incendie, je tombe page 7 sur un titre qui m’attire : paradoxe 107, welovewords, premier site dans la langue de Molière que je rencontre, je clique et lit une citation tirée par les tresses : « Elle est avare Sophie depuis son départ de la Pologne ». Autres indications sur l’écran : influence Oulipo  et une photo du profil pouvant peut-être, éventuellement, quelque part, me ressembler : de face un homme casqué de vert, le nez rougi avec à ses cotés, une jeune femme aux joues peintes. J’ai déposé sur ce  site 316 textes dont plus de la moitié sont des citations classées en paradoxe et logique, et j’ai 62 amis.

 Par de subtiles manœuvres je découvre sur ce site qui se cache derrière cet YL5.

J’embraye vers un site de généalogie m’indiquant que mon nom  est porté par 2656 personnes à ce jour, et que mon prénom était surtout en vogue dans l’hexagone entre 1930 et 1970.

Ensuite, je saisis mon identité, et en 0.20 seconde l’algoorithme ramène 15 000 résultats.

En première ligne, mon nom apparaît sur le site WWW.123 people, je suis directeur du FRAC de Picardie, ligne suivie d’un autre site où je donne un entretien au sujet d’une exposition d’art contemporain.

Après un autre moi-même apparaît sur le website économique SOCIETE.COM où je suis dirigeant d’une société d’ingénierie du bâtiment  domiciliée dans le sud de la Picardie fondée il y a cinq ans; j’emplois un salarié, mon chiffre d’affaire pour l’année dernière étant de 220 000€ présentant une perte comptable de 12 000€.

Arrivent les copains d’avant avec le parcours scolaire probablement du second, allant de la communale au lycée situé à Chantilly, peu de renseignements à y glaner, sauf les pays lointains qu’il a fréquentés.

Pointe  le réseau social communautaire majoritaire, avec comme seules indications une photo de profil, celle d’un âne roux, et l’adhésion à un groupe autour du palais idéal du facteur Cheval.

Les pages blanches sont les plus instructives avec 19 numéros de téléphone révélant douze homonymes avérés, répartis dans tout l’hexagone, allant de Veules-les-Roses dans la Somme à Contes dans les Alpes-Maritimes sans oublier Saint Loup, Le Vaudreuil, Le Péage-de-Roussillon, Cheviré-le-Rouge, Chantilly, Rouen et ses environs.

En janvier 2006, celui du FRAC est nommé dans l’ordre des Arts et Lettres et fait partie des cinquante qui font bouger Amiens sans baliverne, d’après l’Express.

Tiens plus en relation avec l’YL5 : un jeu de rôle en 2004 baptisé le dieu fou, organisé par Stéphane Barbery,  relayant les sites en sommeil des sabirateurs  et des joutes, où j’y lis stockés  des écrits contraints à l’oulipienne. Un premier lien est établi mais qui ne débouche sur rien.

Après avoir examiné les trente-six premières pages du moteur, il en ressort que les douze mois sont par ordre d’apparition et de présence :

Le directeur  de FRAC d’Amiens, un ingénieur du bâtiment à Chantilly, un éditeur de journaux marginaux à Contes, un archéologue en mission au Soudan signataire d’une pétition contre la construction d’un barrage, un agriculteur à Cheviré-Le-Rouge signataire d’une pétition pour la réparation des digues, un vétérinaire militaire rouennais  partant à la retraite décoré et promu, un ancien mécanicien de la marine de Veules-les-Roses ayant servi sur l’ouragan de 64 à 1967 , un directeur d’usine de saumon fumé ; le vigneron élevant le château Rablay du coteau du Layon ; le secrétaire du club de rugby du Vaudreuil, et deux autres invisibles sur la toile.

Las, je vais dormir sans avoir trouvé exactement qui je cherche, mais avant je fouille les casiers et ouvre la boîte contenant mes effets, j’y retrouve mon livre et le texte d’YL5 commençant par « Qui suis-je….

A suivre car

Cette quête se révélant humiliante pour un égo se voulant normal, j’ai décidé d’éliminer ces intrus pour rester unique.

Je vais engager un tour  de France personnel, où onze victimes porteront la même identité.

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