L'Homme battu
june
Elle s'asseyait le soir, toute ensommeillée, sur le carrelage froid et dur. La veille la rendait consciente des changements s'effectuant tout autour d'elle. Les heures s'écoulaient lentement, au rythme rassurant des aiguilles. Elle ne dormait plus, mais elle comptait inlassablement. Elle comptait, à défaut de pouvoir réellement comprendre ce qu'elle cherchait à fuir. À travers les volets perçaient quelques rayons d'une lumière artificielle, produite par des lampadaires presque brisés, clignotants parfois sans écho de pas. Le souvenir de l'être se greffait à elle, cet être qu'elle avait tant aimé, qu'elle avait vu partir, un matin de Décembre, valise en main, fuyant vers un ailleurs sans brides. Il était grand, et elle se souvenait encore de ses yeux rougis qui n'osaient plus se poser sur elle, tant il avait été blessé. La folie, la folie comme excuse largement insuffisante. Des coups, des coups portés au visage, une fois, et puis cette répétition insupportable, ces hématomes, ces bleus, ces baisers, ces sentiments extrêmes … Elle fumait ces cigarettes en y pensant, piètre consolation. Elle ne portait aucune trace de ces entailles qu'elle lui faisait subir. Jamais, au grand jamais il n'avait répliqué, à son grand dam. Il aurait pu l'amener, il aurait pu lui dire d'aller voir quelqu'un, au lieu de partir. Perles salées au coin des yeux. Réellement, réellement aliénée. De larges cercles brunâtres se formaient autour de ses yeux, témoins de ses nuits rêvées, à regarder le temps droit dans les yeux, dans l'espoir fou qu'il l'engloutisse. Il ne reviendrait plus. Il porterait sans doute les cicatrices, encore. Toujours, à défaut de leur histoire en lambeaux. Il restait les parfums, sur l'étagère. De sublimes fragrances qui donnaient à présent des haut-le-coeur. Il avait laissé des chemises, dans sa hâte de quitter l'enfer. Elle entendait parfois des bruits de pas, et, le cœur battant, regardait par la fenêtre. Simplement des gens, des gens qui passaient et qui portaient leurs visages comme on porte un vêtement : en se grimant. Elle se demandait s'il faisait de même, s'il se cachait sous le masque du bonheur, s'il était anéanti, s'il ne l'était pas, si la police finirait par la trouver, s'il l'aimait encore, et pourquoi, et pourquoi pas. Ils auraient pu vivre, malgré tout, dans ce remous tortueux. Elle se resservait un verre de brandy en sentant des bras autour de sa taille. Elle retrouvait, pour quelques heures, la présence salvatrice. Ensuite, il y avait l'horreur, le visage qui se tuméfiait à mesure qu'elle redevenait sobre, les marques sur les joues, sur les bras, sur la nuque. Il n'était plus ce visage immaculé. Il était blessé,effrayé,apeuré par son amour. Il se voilait la face, persistant à vouloir lui faire recouvrer la raison, en sachant pertinemment qu'elle recommencerait. Elle pleurait, elle pleurait et il la consolait tant bien que mal, tentant de se consoler lui-même par la même occasion.
Bien
· Il y a plus de 6 ans ·unrienlabime
poignant !! et bien écrit,,,;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Patrick Gonzalez
Un texte terrible et beau à la fois !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve