Liaison dangereuse

floriane

Contribution concours

J'avais bien remarqué avec quelle insistance mon prof de français me regardait depuis quelque temps. Il y a des regards qui ne trompent pas, n'est-ce pas ? J'étais plutôt flattée d'être celle qu'on reluque, qu'on contemple. Il me prouvait par ses coups d'œil intéressés que je n'étais plus qu'une simple lycéenne, mais bel et bien une jeune femme qui sortait de sa chrysalide.  De plus, Monsieur Levillain n'était pas vilain du tout ! Jeune trentenaire, brun, grand, des épaules larges sous ses sempiternels polos de marque, il me faisait penser à un sportif de haut niveau plutôt qu'à un mordu de conjugaison, d'orthographe, de métaphores et d'étymologie.

Et puis, un jour, j'ai voulu jouer. J'ai ouvert chaque pore de ma peau pour l'accueillir, pour le sentir, pour l'attirer. Et il est venu… pour le meilleur et pour le pire.

 

                                                   ***

 

Ce jour-là, Monsieur Levillain est assis négligemment sur son bureau, l'air détendu, à nous questionner sur le sujet d'étude du jour. Sur le tableau derrière-lui, l'inscription tracée d'une écriture fluide à la craie : « La femme et le désir d'émancipation ». Femme. Désir. Il ne m'en faut pas davantage pour écouter le mien. Dans mon ventre, c'est le branle-bas de combat ; des papillons qui se cognent contre mes tripes, qui se débattent entre mon estomac et mon pancréas. J'ai chaud.

Je suis hypnotisée par les lèvres pleines de mon professeur. Je le trouve terriblement sexy alors qu'il commente, explique, démontre. C'est beau un homme qui éduque ! S'il pouvait m'éduquer sur autre chose que la langue française, me dis-je, tout en ressentant un soupir intérieur faire dresser mes tétons. Mon Dieu ! J'ai envie de lui !

Son regard s'arrête sur moi. Je mords ma lèvre inférieure, incapable de contenir mes véritables intentions pourtant malsaines. C'est interdit, n'est-ce pas ? Tant pis. Je m'agite sur ma chaise inconfortable. Ma petite culotte semble humidifiée par la sueur de mon excitation.

Comprend ou ne comprend-il pas ?

À cet instant, la sonnerie rébarbative mais libératrice résonne dans le couloir. 18 heures ; fin des cours. Sans plus de considération pour le prof, chacun entreprend de ranger cahiers, livres et trousses dans les sacs, dans un brouhaha heureux.

Je me lève, enfile mon manteau, plaque ma besace contre ma hanche et me dirige vers la porte.

-Laura ?

Je me retourne vers mon professeur, les jambes flageolantes.

-Oui, Monsieur ? j'articule difficilement.

-Attends deux petites minutes, j'ai à te parler.

Mal à l'aise, je regarde mes camarades quitter précipitamment la salle de classe. Qu'est-ce qu'il me veut ?

Enfin seuls, il s'installe derrière son imposant bureau, y pose les coudes puis croise ses mains. Il met un temps fou à me parler. Au lieu de cela, il me dévisage. Que dis-je ? Il me dévore littéralement des yeux. Je me sens, pour la première fois, véritablement femme. J'ai envie d'être comblée comme une femme, d'être remplie de l'homme comme une femme, de subir ses assauts puissants comme une femme…

Toujours sans dire un mot, il se relève, me fait signe de le suivre d'un geste de la main. Comme un toutou derrière un os alléchant, je le suis sans réfléchir. Nous traversons rapidement le long couloir sombre avant d'emprunter un escalier. Il s'arrête devant une porte où un écriteau « réservé au personnel » y est suspendu.

Il sort une clé de la poche de son jean, l'insère, la tourne et ouvre la porte. Il jette un œil à gauche et  à droite avant de m'entraîner à l'intérieur et de refermer immédiatement derrière-lui.  Je ne parviens pas à croire à ce qui m'arrive… Monsieur Levillain et moi… seuls dans une sorte de bureau inoccupé…  je ne peux rêver mieux.

Immobile au milieu de la pièce, le souffle coupé, le cœur excité, je m'impatiente de connaître la teneur de cette entrevue, la suite de cette petite escapade improvisée. Je suis totalement subjuguée par l'homme en face de moi ! J'ai l'impression de me changer en coton, ou en miel, pour mettre un peu de poésie dans cette cocasse situation.

Je suis loin de me douter, à cet instant, que les degrés de mes sensations vont se multiplier par 10, que la petite chaleur que je ressens entre mes cuisses va devenir une fièvre alarmante, que mes seins déjà tendus vont s'étendre encore pour aller à l'encontre du torse parfait de mon professeur.

Car après… après… après, tout n'est que perception et ressenti. Comme la dureté de l'armoire où il me plaque sans ménagement, comme la douceur de ses doigts le long de mon cou, comme la saveur de son écume quand il m'embrasse, comme le froid contre la peau de mes fesses lorsqu'il me déshabille lentement, comme son souffle tiède qui me galvanise alors qu'il chuchote mon prénom à mon oreille, comme la rapidité furieuse de mon sang qui coule, qui bourdonne dans mes veines.

C'est fou ! Intense ! Violent !

-Martial ! je parviens à susurrer entre deux soupirs et grognements.

-Laura ! il répond, juste avant de glisser sa langue dans ma bouche pour me faire taire.

Est-ce l'interdit de notre relation qui la rend si vive, si incroyable ? Je n'ai guère le temps de répondre à cette interrogation puisque, sans prévenir, il vient plaquer sa pique virile contre la moiteur de ma fleur, petit trèfle de féminité. Le peu de raison qui me reste se retrouve sur le carreau, mon cœur au bord de l'extase. Je ne suis plus l'élève, il n'est plus le prof. Je suis une femme, il est un homme. Deux corps vibrants de désir, d'envies, d'appétit.  Deux corps qui répondent à leurs instincts, à  leurs besoins primitifs.

Il me soulève par les hanches. Naturellement, mes jambes s'enroulent autour des siennes. Nous sommes nus au Sud de la ceinture. Au Nord, mon professeur porte encore son polo seyant. Du bout de mon doigt, je dessine les contours du crocodile cousu. D'ailleurs, j'ai l'intime conviction de me muer en reptile ; prête à dévorer la viande et la peau de ma proie serrée, emprisonnée entre mes cuisses.

-Laura !

-Hum…

-Laura !

-Martial…

 

-LAURA ! Tu te sens bien ?

-Quoi ?

Tétanisée, réalisant enfin que je n'ai pas quitté la salle de classe, que je ne suis pas nue, abandonnée dans les bras de mon prof, je sens mes joues viraient du pâle au rouge carmin. Quelle horreur ! Quelle honte !

-Oui, pardon ! Je vous écoute, Mar…, Monsieur. 

-Je voulais juste te rappeler que tu passes à l'oral vendredi, pour ton exposé.

-Oui, oui.

-Sur quel livre tu travailles, déjà ?

J'avale ma salive, honteuse malgré moi.

-« Les liaisons dangereuses », de Pierre Choderlos de Laclos.

-Très bien. Alors, à vendredi !

-À vendredi.

Je quitte précipitamment la salle, après un dernier regard sur le crocodile et sa longue queue. 

2014 © Floriane Aubin

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