La vie est belle

Edgar Fabar

J'ai vu la tristesse, elle était assise en face de moi. Elle m'a demandé de lui céder ma place. Bien sûr que j'ai cédé, car je ne voulais pas la voir de trop prés. A ses côtés gisait un enfant morne, des cernes bleues et des poches lasses, accrochées à de petits yeux perdus. Ceux-là m'ont fendu le coeur et mon armure que je croyais solide a craquelé. Mais je n'ai pas craqué. Mais en vérité que c'est laid. Ces yeux, je les ai regardés une fois encore. Puis les portes du train se sont ouvertes, la sirène s'est éloignée et les couloirs noirs ont recommencé à défiler.

La vie est belle. Le froid court et se faufile. Les couloirs de la vie sont des chemins sans protection. Voici l'oraison des nations qui résonne. Les canons tonnent et les curieux s'étonnent. D'où ce bruit sourd s'échappe-t-il ? Tous entendent cette peur qui est en eux, le tic-tac qui les panique. Fuir avant de frire. La fin de la nuit approche. L'aube verra le soleil, restera-t-il des gens pour voir l'aube ?

J'ai vu la tristesse, j'ai vu des parterres de gens à terre, s'enfonçant toujours plus. Ils tendent la main mais nul magicien ici, juste des souffrants et des anti-douleurs. Je voulais fermer les yeux, c'est la règle d'or je le sais. J'ai grandi le coeur serré, rongé par la réalité, né pour partager cet état de fait et mourir dans un pays sans fée. Amen. Je dois croire à un monde meilleur car c'est partout pareil.

La vie est belle. La mort n'a qu'un principe, la patience et elle nous attend tous. "Tout le monde joue dans un film sans fin" : voilà l'histoire que tout le monde se raconte pour dormir. J'ai vu la tristesse tenter d'habiller une planète entière. Des milliards d'âmes condamnées à vivre à ses crochets. Je l'ai vu, je le savais, dans ma télé, dans ma tête, j'ai vu ces bébés ressemblant à des monstres, nés pour mourir. Parfois je me dis life is beautiful mais il faudrait gommer le monde ou alors se coudre le coeur et les yeux. Tout ceci me pince les nerfs. Mes émotions sont en guerre car je vis au fond d'un cratère peuplé d'insectes suicidaires. Chaque jour je bombarde ces terrains mais rien n'y fait. Je vois la tristesse, cette fille d'Hadès, de la désolation la maîtresse. Alors, je plonge à l'intérieur de mon être, je cherche à disparaître, sous mon regard, sous mes pensées, sous mes mots.

La mort m'est promise, c'est acquis. C'est pour cette raison que je me permets le réconfort. Je sens l'allégresse, sa caresse et son souffle chaud, haut sur ma peau, la sensation de l'étincelle, l'inexprimable de l'indécrit. Car même le cri des arts ignore cela. Aucun oeil ne peut assiéger le mur où se meurent ces murmures, ni le prophète ni l'artiste. 

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