L'impasse du siècle

Le ciel perdait de ses nuages et de sa hauteur. La campagne plate, ondulait dans un lit d'orge mélangé de seigle. La montgolfière filait au vent, laissant l'ombre de son ballon doucement s'étirer dans une direction contraire. Le tableau de vision était prêt. La mallette de peinture s'offrait sur la nappe composée d'herbes folles et de terre rouge concentrée. Le flacon vert émeraude avait percé. La libération d'un baume porté au néant se révélait dans un mouvement élégant. Le chiffon à la térébenthine absorbait rapidement l'incident, laissant sur la toile les traces d'un repentir. Dans cette tache abstraite, opaque au départ, filant dans un effacé de plus en plus aérien, Alinéa venait de matérialiser la scène et le vent tout autour.

Les cloches d'un village lointain se mirent à chanter subitement pour laisser une trace en surface. Comme l'indication d'une pause, d'une dégustation de panier qu'Apostrophe avait confectionné dans son jeu de communauté. 

Oui, et c'était un panier bien garni. Il était venu depuis ses montagnes par la route Napoléon avec de la tomme cerronée des Bauges et une Roussette du coteau d'Ayze, des petites pâtisseries de chez Rigollot et des Roseaux du lac. Il n'avait pas pris le pain, pensant que le transport l'aurait ramolli. C'est vrai qu'il était important de casser la croûte ! Monsieur avait du goût et Mademoiselle avait eu bon nez de confectionner son propre pain très tôt le matin. Aussitôt, elle le prit, le rompit. Bon appétit, merci ! Les oiseaux pouvaient se mettre à chanter maintenant.

Ils venaient de pleins d'horizons divers. De l'ancien au nouveau Monde, du cap de bonne espérance aux steppes d'Asie centrale, du Tatarstan aux grands oiseaux en passant par le Touré Kunda. - Tu as vu celui-là, comme il danse ?

- Encore une merveille rare descendue de ton ciel !

La tentation de se remettre dans le vert émeraude acheva le frisson qui l'avait parcourue jusque dans ses mains. Elle observa de près le tableau que le soleil avait rougi dans un mélange appliqué de saveurs à la hauteur.

Le soleil était en bas, ou peut-être était-ce la représentation de la montgolfière atterrie ? Ils attrapaient en riant, les cordages et la voile de ce bateau céleste, couchés à l'envers dans les blés. Il posait sa main dans une barre d'appui et un baiser sur ses lèvres.

Manifestement leur soleil à répétition proposait un ton audacieux. Une évidence qui soulignait qu'il était temps de se mettre à l'eau. C'est alors que délicatement à leurs pieds, elle déposa en silence un tube tout neuf. Un acrylique bleu phthalo.

Dans un sulfate de cuivre et cyan, il maquillait son désir en lui prenant la jambe. Ses mains tremblaient d'application et de retenue. La couleur débordait un peu comme le fait le ruisseau quand la montagne fond. Sa robe légère à petites fleurs, flottait.

Une sorte de grâce chatouillait les contours. L'autre gambette réclamait la même. Le bien être envahissait l'atmosphère. Puis un déclic de pierres chaudes s'est exposé naturellement sur cette fonte qui manquait de respiration. 

L'eau bouillait de la descente de lave de Sainte-Eutrope. A 13h57, une petite friture de la guinguette, dans une friteuse défectueuse avait rompu l'équilibre de l'écosystème. La fusion avait emporté quelques grenouilles en attente dans un plat inox. Apostrophe l'éloignait du danger, dans ses bras.

À l'arrière du taxi qui galopait en ligne droite, tout redevenait paisible. Plus rien ne pouvait déraper entre eux. Alinéa était vivante. Le chantier reviendrait sûrement dans l'impasse du siècle. Sous une autre forme, un autre lieu d'ici peu, pourquoi pas au Point-Virgule ?…