L’offrande vaudoue du dieu électrique

Guillaume De Chamisso

The Jimi Hendrix Experience, Electric Ladyland, sorti le 25 octobre 1968

Je déteste les albums mythiques. Ils sentent l'encens, comme les objets d'un culte rendu par une armée bigote de critiques. Non, un bon disque, c'est une fornication ininterrompue avec le Malin et ses servantes, des déesses aux seins nus, un torrent de miel chaud traversé de décharges psychotiques. Ce disque-monde, bain délicieux au pied d'un volcan en éruption, c'est Electric Ladyland. Un double voyage qui commence par une orgie des Dieux sur l'Olympe (l'expérimental « … And the Gods Made Love ») et s'achève par un rituel vaudou maléfique (l'indépassable « Voodoo Child (Slight Return) », qui ne peut que conclure). Le bassiste Noel Redding était déjà largué sur cet album tardif du trio, n'apportant guère comme contribution que la pâlotte « Little Miss Strange ». Le reste est à l'avenant d'un Jimi prodigue et omniscient, convoquant à son service une armée de séides, Jack Casady, Steve Winwood, Al Kooper, Buddy Miles pour ne citer qu'eux. Transcendant avec Dave Mason le « All Along the Watchtower » de Dylan dont il grave la version-référence, explorant les racines blues de son art (un peu partout), flirtant avec le funk... Il touche à tout, du génial au dispensable, dieu Shiva, procurant le sentiment bizarre du non-choix et du perfectionnisme mêlés. Normal : il fallait bien les 43 prises de guitare de « Gipsy Eyes » pour sonner avec une si insolente facilité. Encore aujourd'hui, ce temple érigé à son ego diaphane résonne comme le testament ultime d'un talent lysergique.

Signaler ce texte