Love Country

Pauline Doudelet

Love CountrySynopsis :Amélie vient d'avoir vingt-neuf ans. La trentaine approche et lui fait peur : trente ans c'est s'engager, devenir sérieux, se trouver quelqu'un, se marier et avoir beaucoup d'enfants. C'est ce qu'on lui a appris depuis toute petite. Mais ce n'est pas ce qu'elle veut. Elle aime avoir vingt ans, être insouciante, ne jamais rêver d'enfant, de mariage ou de belle robe. Mais autour d'elle, le monde s'emballe : ses collègues se marient, enfantent à tour de bras, s'achètent des maisons à la campagne et partent en club vacances pour l'été. Même sa supérieure et sa cinquantaine rêvent d'avoir un bébé. À tout prix. Un véritable cauchemar car tout son entourage attend la même chose pour elle. Amélie tente de s'en débarrasser en provoquant des intrigues amoureuses et adultères autour d'elle. Et s'amuse à répondre d'une façon totalement indécente aux courriers des lecteurs qu'elle reçoit. De toute manière, personne ne relit jamais sa chronique. Pourquoi s'en priver ?Lors du vernissage de l'exposition de son frère, elle rencontre David un photographe beau comme un acteur hollywoodien. Le courant ne passe pas du tout. Elle le trouve infect et sans talent, lui la méprise et l'humilie d'emblée. Deux grandes gueules qui s'affrontent ça ne peut faire que des étincelles. Ainsi, Amélie va, au premier abord, le détester. Au second également, lorsqu'elle le rencontre à nouveau chez son frère quelques jours plus tard. Là, elle comprend qu'en plus d'être impoli, irrespectueux, c'est un dragueur invétéré, un muffle et un looser. Obligé de se trouver un autre job pour subvenir à ses besoins, car ces photographies d'art ne lui rapportent rien, à peine un succès d'estime auprès de quelques érudits ermites. Rien d'étonnant tant ses œuvres sont banales et sans inspiration. À son travail, Amélie s'ennuie et veut mettre du piment dans la dernière année de vie. Elle l'a décidé, la trentaine ne passerait pas. Plutôt mourir que de rentrer dans le rang. Plutôt mourir que de se retrouver avec un mari collant, des enfants hurleurs et une maison proprette à briquer. Son suicide est déjà programmé : la veille de son trentième anniversaire. Mais avant, elle veut passer une dernière année de folies. Elle cherche à tout prix à voyager, quitter Paris et vivre l'aventure pour la première et dernière fois. Difficile, quand on en a pas les moyens, de partir au bout du monde. Mais un jour, sa supérieure lui propose d'aller faire un reportage en province sur les citadins qui ont quitté la ville pour vivre à la campagne et qui aiment ça. Amélie, excitée à l'idée de quitter Paris, même pour quelques semaines, accepte mais déchante quand elle se rend compte que David a été engagé comme photographe par le magazine et doit l'accompagner.Ils partent tous les deux en voiture. Les conversations sont acerbes, l'entente peu cordiale. Rencontrant des rurbains visiblement ravis d'avoir quitté la capitale, mais totalement perdus dans le monde paysan, Amélie et David se rendent compte qu'ils ne pourraient pas eux-même quitter la ville. Deux véritables citadins, deux parisiens purs jus qui aiment la culture et les sushis. Tout ce qui manque ici. Ce trait les rapproche. Un soir alors qu'ils se voient obligés de dormir dans la même chambre et le même lit, ils couchent ensemble. Au petit matin, même si ils reconnaissent avoir pris du plaisir, chacun préfère fuir pour éviter d'avoir à « subir » des conséquences qu'aucun d'eux ne souhaite. N'osant avouer leur « tare » à ne jamais vouloir devenir sérieux, c'est-à-dire avoir l'ensemble mariage-maison-enfants du la vie parfaitement accomplie, et pour ne pas donner envie à l'autre de s'engager plus avant, David va commencer à devenir insupportable et Amélie à critiquer tout ce qu'il peut faire. Se rendant parfaitement odieux l'un à l'autre.Mais après le retour à Paris, la vie semble plus terne à Amélie. David est toujours aussi infect, mais beaucoup moins enthousiaste au quotidien. Amélie repense à son suicide préparé et commence à envisager d'en avancer la date. Autour d'elle, le monde semble vouloir aller de travers, sa supérieure va avoir un bébé, sa parfaite belle-soeur va demander le divorce, et elle-même déprime à l'idée de finir seule. Finalement, les deux amants se retrouvent et décide de vivre à deux, mais dans deux appartements séparés, de ne jamais se marier et de, surtout, n'avoir jamais d'enfant.Début du Roman :« Oh, ma chère, vous ne trouvez pas que c'est MA-GNI-FI-QUE ? »Une vieille ridée venait de m'agripper le bras en m'attirant un peu plus vers l'écran. Évidemment que c'était magnifique, puisque c'était mon frère qui l'avait tourné ce film. Mais ne la connaissant ni d'Ève ni d'Adam, j'avais juste envie de l'envoyer balader. Nous étions si proche de l'écran désormais qu'elle devait être myope. Je n'y voyais plus rien.« Toutes ces couleurs, ces mouvements ! »Oui, elle était myope et m'avait confondue avec une autre. Me retenir de l'envoyer au diable, pas envie d'avoir Sylvain sur le dos parce que j'ai fait une bourde. Je retirai mon bras avec un sourire poli, en tentant de ne pas renverser ma coupe de champagne sur mes chaussures toutes neuves. Un cadeau. Oui, je m'étais fait ce plaisir, des nouvelles pompes, alors que j'en avais déjà plein mon placard. Parce qu'apprendre que ma superbe soirée d'anniversaire, durant laquelle je souhaitais me saouler correctement et surtout entamer la dernière année de ma vie d'une manière mémorable, cette même soirée, à laquelle je songeais depuis des mois comme la fête ultime, allait se dérouler dans une galerie d'art contemporain, entourée de snobinards pédants et imbus d'eux-même, ça, je ne l'avais pas vraiment accepté. Alors cette paire de Converse fuchsias qui me faisait de l'œil, je l'avais achetée.  Aujourd'hui, j'avais vingt-neuf ans.Sylvain m'avait abandonnée, parti à la recherche de sa renommée et de membres du conseil municipal à courtiser. Vraiment idéale comme soirée d'anniversaire.« Voyez le contraste des couleurs ! Quelle maîtrise de l'objectif ! Et ce sujet, c'est vraiment une influence manifeste de Warhol, une réponse directe à Duane Hanson. Voyez comme cela symbolise la période post-pétrolière et la chute de la société de consommation ! »C'était une photo immense représentant un chariot de supermarché renversé dans un terrain vague. Assez moche. Le type, qui ressemblait à un prof d'université, ne tarissait pas d'éloges. Son verre, encore plein, s'agitant au rythme de son discours emphatique. Le liquide doré essayait, malgré tout, de s'échapper à chaque mouvement de houle pour aller honorer de sa pétillante saveur l'œuvre photographique qui s'illustrait sous nos yeux. Dommage qu'elle soit protégée par une vitre.« Et vous, mademoiselle, qu'en pensez-vous ? » Ma moue goguenarde avait du attirer son attention. Ça m'apprendra à vouloir m'intéresser aux autres, même juste pour me moquer. Surtout pour me moquer.« Rien. C'est moche, c'est tout. »Un rire étouffé parcouru le petit groupe qui s'était formé autour du critique. Je pouvais presque entendre leurs pensées méprisantes. L'orateur lui-même avait un sourire en coin qui n'annonçait pas un intérêt très soutenu sur mon avis.« C'est mal cadré, il n'y a aucune composition. La photo est sous-exposée, mais pour évoquer Warhol, il aurait fallu la sur-exposer, mettre un filtre et accentuer les couleurs. Il n'y a aucune idée nouvelle : un caddie vide pour représenter la fin de la société de consommation ? Mais c'est nul ! Un gamin de trois ans pourrait avoir la même idée sans passer pour un génie. Et puis les immeubles désaffectés au fond, ils représentent quoi ? La fin de la civilisation ? Il n'y a rien d'innovant, ça a déjà été fait... Pas besoin d'être universitaire pour s'en rendre compte. »Leurs yeux ronds ne me quittaient plus. L'auteur du précédent dithyrambe, quant à lui, cherchait quelque chose sur le sol en marmonnant. Non, mais que croyaient-ils tous ? Que, parce que j'étais plus jeune qu'eux et m'habillais d'une manière décontractée, je n'y connaissais rien ? Heureusement que Sylvain m'assommait, depuis des années, avec ses délires sur les créations vidéos. Je leur avais cloué le bec, sans même savoir qui était ce Hanson.Laissant ces vieux chnoques à leur consternation, leur bouches bées et leurs coupes de champagne tiède, j'essayais de retrouver mon frère. Tout sourire, à quelques mètres, il parlait avec un tailleur-jupe d'une quarantaine d'années. L'idée d'en parler à Julie me parut une douce vengeance pour cette soirée ratée.« Vous pensiez sincèrement ce que vous avez dit tout à l'heure ? »Que c'était une exposition assez lamentable, hormis les vidéos de mon frère ? Oui, parfaitement... Tel un  poisson-ventouse sur la vitre de son aquarium, je ne pouvais pas lui répondre. C'était Brad Pitt. Non, plutôt Johnny Depp, il était brun. Un type à tomber.« Vous le pensiez ou pas ? »J'acquiesçais en refermant la bouche. Sans vraiment réfléchir, c'était impossible.« Dommage, tout à l'heure quand vous êtes entrée, vous aviez l'air intelligente... »Quoi ! Mais qui était ce type ? Il était déjà parti.« Hé ! Vous vous prenez pour qui ? Oser m'insulter comme ça ! »Plusieurs personnes me fixèrent. Certaines, même, commençaient à chuchoter entre elles. Le goujat, à quelques pas devant moi, se retourna lentement, comme s'il avait compté sur ma réaction et jouait, là, une véritable pièce de théâtre. Évidemment qu'il jouait, tel un chat avec la pauvre petite souris que j'étais. Mais c'était trop tard pour m'en rendre compte : son sourire apparut aussi sournoisement que celui du chat du Cheshire.« Mais, je suis l'artiste qui a pris ces photos que vous avez insultées. Il ne faut pas donner son avis si l'on est pas capable d'accepter la critique soi-même. »***« Sylvain, je te jure que si tu me refais un coup pareil...- Du calme, Amélie, je suis désolé. Mais ce n'est pas moi qui ait choisi la date du vernissage. Je te promets de me rattraper. Demain soir, tu es libre ? »Évidemment, désespérément libre. Tous les soirs de la semaine même si tu veux. Quelle question idiote, comme si mon cher petit frère n'était pas au courant que j'étais une célibataire sans même un chat pour l'attendre chez elle. Je préférai regarder la route à travers le pare-brise. Il me raccompagnait chez moi.« Enfin, tu as quand même réussi à faire la connaissance de David. Ça faisait un moment que je voulais te le présenter, même si je n'envisageais pas un tel coup de foudre ! »De tonnerre plutôt. À peine m'avait-il, à nouveau, tourné le dos que, furieuse, je m'étais jetée sur lui pour le mordre et lui arracher les cheveux. Rien que d'y repenser, mes joues s'échauffaient. De rage, mais surtout de honte. Mon frère pouvait bien rire, son public se souviendrait longtemps de cette soirée.« Avoue quand même qu'il n'est pas net. »Deux yeux dubitatifs me fixèrent un instant, jusqu'à ce que le feu passe au vert.« En tout cas, il n'a pas beaucoup de talent. Tu es vraiment plus doué que lui.- Merci pour ce compliment. Mais David est doué, tu sais. Le problème, c'est que le thème était imposé. C'est difficile de travailler sur commande. Il a parfois des traits de génie, je t'assure. Et puis, ce n'est pas un mauvais garçon.- Non, c'est un connard. »Son soupir fut suivi d'un silence pesant. Vivement qu'il me dépose devant chez moi, il restait deux ou trois rues avant d'arriver.« Bon, alors, tu veux faire quoi pour ton anniversaire ?- Me saouler...- Amélie, tu vas pas recommencer ? Ce n'est pas si terrible d'avoir trente ans.- Non, c'est vrai. Quand on en a vingt-six, une femme parfaite, un enfant adorable et une belle carrière devant soi, c'est vrai que l'idée d'avoir trente ans, ça doit pas être si terrible.- Amélie, soit positive. C'est ton anniversaire, j'ai envie de te faire plaisir. »

Love Country


Synopsis :


Amélie vient d'avoir vingt-neuf ans. La trentaine approche et lui fait peur : trente ans c'est s'engager, devenir sérieux, se trouver quelqu'un, se marier et avoir beaucoup d'enfants. C'est ce qu'on lui a appris depuis toute petite. Mais ce n'est pas ce qu'elle veut. Elle aime avoir vingt ans, être insouciante, ne jamais rêver d'enfant, de mariage ou de belle maison. Mais autour d'elle, le monde s'emballe : ses collègues du magazine pour lequel elle travaille se marient, enfantent à tour de bras, s'achètent des résidences secondaires et partent en club vacances pour l'été. Même sa supérieure et sa cinquantaine rêvent d'avoir un bébé. À tout prix. Un véritable cauchemar car tout son entourage attend la même chose pour la jeune femme. Amélie tente de s'en débarrasser en provoquant des intrigues amoureuses et adultères autour d'elle. Et s'amuse à répondre d'une façon totalement indécente aux courriers des lecteurs qu'elle reçoit. De toute manière, personne ne relit jamais sa chronique. Pourquoi s'en priver ?

Lors du vernissage de l'exposition de son frère, elle rencontre David, un photographe beau comme un acteur hollywoodien. Le courant ne passe pas du tout. Elle le trouve infect et sans talent, lui la méprise et l'humilie d'emblée. Deux grandes gueules qui s'affrontent ça ne peut faire que des étincelles. Ainsi, Amélie va, au premier abord, le détester. Au second également, lorsqu'elle le rencontre à nouveau chez son frère quelques jours plus tard. Là, elle comprend qu'en plus d'être impoli, irrespectueux, c'est un dragueur invétéré, un mufle et un looser. Obligé de se trouver un autre job pour subvenir à ses besoins, car ses photographies d'art ne lui rapportent rien, à peine un succès d'estime auprès de quelques érudits ermites. Rien d'étonnant tant ses œuvres sont banales et sans inspiration. 

À son travail, Amélie s'ennuie et veut mettre du piment dans la dernière année de vie. Elle l'a décidé, la trentaine ne passerait pas. Plutôt mourir que de rentrer dans le rang. Plutôt mourir que de se retrouver avec un mari collant, des enfants hurleurs et une maison proprette à briquer. Son suicide est déjà programmé : la veille de son trentième anniversaire. Mais avant, elle veut passer une dernière année de folies. Elle cherche à tout prix à voyager, quitter Paris et vivre l'aventure pour la première et dernière fois. Difficile, quand on n'en a pas les moyens, de partir au bout du monde. Mais un jour, sa supérieure lui propose d'aller faire un reportage en province sur les citadins qui ont quitté la ville pour vivre à la campagne et qui aiment ça. Amélie, excitée à l'idée de quitter Paris, même pour quelques semaines, accepte mais déchante quand elle se rend compte que David a été engagé comme photographe par le magazine et doit l'accompagner.

Ils partent tous les deux en voiture. Les conversations sont acerbes, l'entente peu cordiale. Rencontrant des rurbains visiblement ravis d'avoir quitté la capitale, mais totalement perdus dans le monde paysan, Amélie et David se rendent compte qu'ils ne pourraient pas eux-même quitter la ville. Deux véritables citadins, deux parisiens purs jus qui aiment la culture et les sushis. Tout ce qui manque ici. Ce trait les rapproche. Un soir alors qu'ils se voient obligés de dormir dans la même chambre et le même lit, ils couchent ensemble. Au petit matin, même si ils reconnaissent avoir pris du plaisir, chacun préfère fuir pour éviter d'avoir à « subir » des conséquences qu'aucun d'eux ne souhaite. N'osant avouer leur « tare » à ne jamais vouloir devenir sérieux, c'est-à-dire obtenir l'ensemble mariage-maison-enfants de la vie parfaitement accomplie, et pour ne pas donner envie à l'autre de s'engager plus avant, David va commencer à devenir insupportable et Amélie à critiquer tout ce qu'il peut faire. Se rendant parfaitement odieux l'un à l'autre.

Mais après le retour à Paris, la vie semble plus terne à Amélie. David est toujours aussi infect, mais beaucoup moins enthousiaste au quotidien. Amélie repense à son suicide préparé et commence à envisager d'en avancer la date. Autour d'elle, le monde semble vouloir aller de travers, sa supérieure va avoir un bébé, sa parfaite belle-soeur va demander le divorce, et elle-même déprime à l'idée de finir seule. Finalement, les deux amants se retrouvent et décident de vivre à deux, mais dans deux appartements séparés, de ne jamais se marier et de, surtout, n'avoir jamais d'enfant.

Début du Roman :


« Oh, ma chère, vous ne trouvez pas que c'est MA-GNI-FI-QUE ? »

Une vieille ridée venait de m'agripper le bras en m'attirant un peu plus vers l'écran. Évidemment que c'était magnifique, puisque c'était mon frère qui l'avait tourné ce film. Mais ne la connaissant ni d'Ève ni d'Adam, j'avais juste envie de l'envoyer balader. Nous étions si proches de l'écran désormais qu'elle devait être myope. Je n'y voyais plus rien.

« Toutes ces couleurs, ces mouvements ! »

Oui, elle était myope et m'avait confondue avec une autre. Me retenir de l'envoyer au diable, pas envie d'avoir Sylvain sur le dos parce que j'ai fait une bourde. Je retirai mon bras avec un sourire poli, en tentant de ne pas renverser ma coupe de champagne sur mes chaussures toutes neuves. Un cadeau. Oui, je m'étais fait ce plaisir, des nouvelles pompes, alors que j'en avais déjà plein mon placard. Parce qu'apprendre que ma superbe soirée d'anniversaire, durant laquelle je souhaitais me saouler correctement et surtout entamer la dernière année de ma vie d'une manière mémorable, cette même soirée, à laquelle je songeais depuis des mois comme la fête ultime, allait se dérouler dans une galerie d'art contemporain, entourée de snobinards pédants et imbus d'eux-même, ça, je ne l'avais pas vraiment accepté. Alors cette paire de Converse fuchsias qui me faisait de l'œil, je l'avais achetée. Aujourd'hui, j'avais vingt-neuf ans.

Sylvain m'avait abandonnée, parti à la recherche de sa renommée et de membres du conseil municipal à courtiser. Vraiment idéale comme soirée d'anniversaire.

« Voyez le contraste des couleurs ! Quelle maîtrise de l'objectif ! Et ce sujet, c'est vraiment une influence manifeste de Warhol, une réponse directe à Duane Hanson. Voyez comme cela symbolise la période post-pétrolière et la chute de la société de consommation ! »

C'était une photo immense représentant un chariot de supermarché renversé dans un terrain vague. Assez moche. L'orateur, qui ressemblait à un prof d'université, ne tarissait pas d'éloges. Son verre, encore plein, s'agitant au rythme de son discours emphatique. Le liquide doré essayait, malgré tout, de s'échapper à chaque mouvement de houle pour aller honorer de sa pétillante saveur l'œuvre photographique qui s'illustrait sous nos yeux. Dommage qu'elle soit protégée par une vitre.

« Et vous, mademoiselle, qu'en pensez-vous ? » 

Ma moue goguenarde avait du attirer son attention. Ça m'apprendra à vouloir m'intéresser aux autres, même juste pour me moquer. Surtout pour me moquer.

« Rien. C'est moche, c'est tout. »

Un rire étouffé parcouru le petit groupe qui s'était formé autour du critique. Je pouvais presque entendre leurs pensées méprisantes. L'orateur lui-même avait un sourire en coin qui n'annonçait pas un intérêt très soutenu sur mon avis.

« C'est mal cadré, il n'y a aucune composition. La photo est sous-exposée, mais pour évoquer Warhol, il aurait fallu la sur-exposer, mettre un filtre et accentuer les couleurs. Il n'y a aucune idée nouvelle : un caddie vide pour représenter la fin de la société de consommation ? Mais c'est nul ! Un gamin de trois ans pourrait avoir la même idée sans passer pour un génie. Et puis les immeubles désaffectés au fond, ils représentent quoi ? La fin de la civilisation ? Il n'y a rien d'innovant, ça a déjà été fait... Pas besoin d'être universitaire pour s'en rendre compte. »

Leurs yeux ronds ne me quittaient plus. L'auteur du précédent dithyrambe, quant à lui, cherchait quelque chose sur le sol en marmonnant. Non, mais que croyaient-ils tous ? Que parce que j'étais plus jeune qu'eux et m'habillais d'une manière décontractée, je n'y connaissais rien ? Heureusement que Sylvain m'assommait, depuis des années, avec ses délires sur les créations vidéos. Je leur avais cloué le bec, sans même savoir qui était ce Hanson.

Laissant ces vieux chnoques à leur consternation, leur bouches bées et leurs coupes de champagne tiède, j'essayais de retrouver mon frère. Tout sourire, à quelques mètres, il parlait avec un tailleur-jupe d'une quarantaine d'années. L'idée d'en parler à Julie me parut une douce vengeance pour cette soirée ratée.

« Vous pensiez sincèrement ce que vous avez dit tout à l'heure ? »

Que c'était une exposition assez lamentable, hormis les vidéos de mon frère ? Oui, parfaitement... Tel un  poisson-ventouse sur la vitre de son aquarium, je ne pouvais pas lui répondre. C'était Brad Pitt. Non, plutôt Johnny Depp, il était brun. Un type à tomber.

« Vous le pensiez ou pas ? »

J'acquiesçais en refermant la bouche. Sans vraiment réfléchir, c'était impossible.

« Dommage, tout à l'heure quand vous êtes entrée, vous aviez l'air intelligente...»

Quoi ! Mais qui était ce type ? Il était déjà parti.

« Hé ! Vous vous prenez pour qui ? Oser m'insulter comme ça ! »

Plusieurs personnes me fixaient. Certaines, même, commencèrent à chuchoter entre elles. Le goujat, à quelques pas devant moi, se retourna lentement, comme s'il avait compté sur ma réaction et jouait, là, une véritable pièce de théâtre. Évidemment qu'il jouait, tel un chat avec la pauvre petite souris que j'étais. Mais c'était trop tard pour m'en rendre compte : son sourire apparut aussi sournoisement que celui du chat du Cheshire.

« Mais, je suis l'artiste qui a pris ces photos que vous avez insultées. Il ne faut pas donner son avis si l'on est pas capable d'accepter la critique soi-même. »

***


« Sylvain, je te jure que si tu me refais un coup pareil...
- Du calme, Amélie, je suis désolé. Mais ce n'est pas moi qui ait choisi la date du vernissage. Je te promets de me rattraper. Demain soir, tu es libre ? »

Évidemment, désespérément libre. Tous les soirs de la semaine même si tu veux. Quelle question idiote, comme si mon cher petit frère n'était pas au courant que j'étais une célibataire sans même un chat pour l'attendre chez elle. Je préférai regarder la route à travers le pare-brise. Il me raccompagnait chez moi.

« Enfin, tu as quand même réussi à faire la connaissance de David. Ça faisait un moment que je voulais te le présenter, même si je n'envisageais pas un tel coup de foudre ! »

De tonnerre plutôt. À peine m'avait-il, à nouveau, tourné le dos que, furieuse, je m'étais jetée sur lui pour le mordre et lui arracher les cheveux. Rien que d'y repenser, mes joues s'échauffaient. De rage, mais surtout de honte. Mon frère pouvait bien rire, son public se souviendrait longtemps de cette soirée.

« Avoue quand même qu'il n'est pas net. »

Deux yeux dubitatifs me fixèrent un instant, jusqu'à ce que le feu passe au vert.

« En tout cas, il n'a pas beaucoup de talent. Tu es vraiment plus doué que lui.
- Merci pour ce compliment. Mais David est doué, tu sais. Le problème, c'est que le thème était imposé. C'est difficile de travailler sur commande. Il a parfois des traits de génie, je t'assure. Et puis, ce n'est pas un mauvais garçon.
- Non, c'est un connard. »

Son soupir fut suivi d'un silence pesant. Vivement qu'il me dépose devant chez moi, il restait deux ou trois rues avant d'arriver.

« Bon, alors, tu veux faire quoi pour ton anniversaire ?
- Me saouler...
- Amélie, tu vas pas recommencer ? Ce n'est pas si terrible d'avoir trente ans.
- Non, c'est vrai. Quand on en a vingt-six, une femme parfaite, un enfant adorable et une belle carrière devant soi, c'est vrai que l'idée d'avoir trente ans, ça doit pas être si terrible.
- Amélie, sois positive. C'est ton anniversaire, j'ai envie de te faire plaisir. »

  • Sympa ce personnage, je vous souhaite d'aller loin ! Votre ouvrage le mérite, c'est une super idée ! Bien meilleure que la mienne !

    Christophe

    · Il y a environ 13 ans ·
    Bon anniversaire orig

    christophe-prat

  • @Vespa : J'ai tout simplement mis le texte sur mon blog en invitant les gens à venir voter ensuite. Pas besoin de le relire ici donc ! Voilà ;)
    @Léo : Merci pour le compliment. :)

    · Il y a environ 13 ans ·
    Paumadou avatar orig

    Pauline Doudelet

  • Même remarque désintéressée ! Je me demande comment un texte lu 279 fois peut récolter 465 votes. Expliquez-moi!

    · Il y a environ 13 ans ·
    Default user

    vespa

  • J'ai beaucoup aimé ce début qui me semble très prometteur. L'idée d'une année compte à rebours et le ton de la naratrice me plaisent beaucoup. Bravo.

    · Il y a environ 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

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