Ma machine à moi

D'ailleurs, je n'ai aucune idée de l'époque à laquelle je me trouve à présent. Ma bécane vient de caler. C'est normal, elle n'est même pas encore rodée. J'ai bricolé un compteur de bagnole pour mesurer le temps parcouru, il faut juste convertir les kilomètres en années avec un convertisseur que j'ai bricolé également aussi, mais qui est en panne aussi. Ah, comme on dit aussi : « Un malheur n'arrive jamais à pied ». Tant pis, je vais aller risquer un œil circonspect, si j'arrive à retrouver ces putains de clefs pour ouvrir ce putain de sas.

Ma machine s'est matérialisée en pleine campagne, dans un endroit désert, pas de culture, un terrain pauvre et sec. La Nature Sauvage n'est pas un bon indicateur pour la chronologie historique, elle est la même que la  nôtre, elle ne suit pas l'actualité des hommes.

Ah, si je vois au loin des artefacts humains ! Enfin un indice, des croix dressées sur la colline, non, ce ne sont pas des éoliennes ! Des épouvantails y gigotent dessus, ce doit être le vent. De toute façon, ils sont inefficaces, car les corneilles y abondent en se posant même dessus pour leur arracher les boutons qui figurent leurs yeux sur leurs figures. Ah, mais je vois venir sur le chemin des hommes, l'un deux porte une lourde croix en poutres d'arbres sur le dos. Il doit être vraiment costaud, car même aussi malingre, personne d'autre ne l'aide.

Je vais m'approcher pour leur demander à quelle époque ils vivent, en me faisant passer pour un  colporteur historien voyageur itinérant.

-         Excusez-moi, jeune homme de vous déranger dans votre travail harassant, mais pourriez-vous me dire quel temps il est ?-         Il est grand temps de vous en remettre à mon Père en le louant !

-         Non ! Pardon, je parlais de l'époque à laquelle on se situe, j'ai oublié mon smartphone.

-         On est en trente-trois après moi.

-         Vous êtes gentil, mais il me faudrait une date plus précise pour mon rapport et non une date approximative, d'après vous.

-         Bien sûr ! Si vous n'êtes pas moderne, vous pouvez toujours vous référer au calendrier romain, mais là, ne comptez plus sur moi, pour vous renseigner.

-         Et à qui dois-je, donc, demander ?

-         Demandez ça, au grand con qui est en train de se laver les mains, là-bas !

-         Merci, jeune homme et bon courage, vous êtes très brave.

Putain, il s'est mis dans un triste état, le gus, à travailler si dur sous un soleil de plomb. C'est un signe, on est avant la création des syndicats. Bon, l'autre grand con a,  peut être, fini par avoir les mains propres, je vais aller à la pêche aux infos, Ah mais quel métier que celui d'explorateur du passé, c'est vraiment passionnant ! Dommage que j'étais un cancre en histoire à l'école. Remarquez dans les autres matières, pas mieux, mais on s'en fout ! Allez, on y va !

-    Excusez-moi, monsieur de vous déranger dans vos ablations, mais…

-   Que me veux-tu, gueux, manant clochardisé ?

-   J'aurais seulement aimé, sans vouloir vous offenser d'aucune sorte, savoir si vous seriez disposé à me dire à quelle époque nous nous situons, présentement ? S'il vous plait !

-  Gardes ! Crucifiez-moi ce SDF !

-  Doit-on le torturer avant, Préfet ?

- Ne soit pas con, centurion ! Avec tout le retard que l'on a, nous n'avons plus de temps à perdre en respectant les procédures à la lettre. Allez, crucifiez, moi, ça, sur-le-champ !

-   Nous n'avons plus de croix, Préfet !

-  Prenez des Y ! Un peu d'initiatives par Minerve !

- Excusez-moi, messieurs ! Je crains qu'il y ait une erreur, je suis un étranger !

- Ouah, l'autre, le bouffon ! Tu l'entends Ô Préfet ? Il s'en vante !

-  Attendez, messieurs ! Je suis un étranger à votre temps, vous comprenez, non ?

-  NON ! A crucifier, exécution !

***

Dommage, car ma machine aurait eu un succès fou. Elle aurait été une révolution épistémologique dans l'avancée des Sciences et des Techniques… si j'avais survécu.