Ma petite grande soeur

mathyc

Comme beaucoup de petites sœurs, j’avais une admiration sans borne pour mon aînée. C’était mon modèle, mon héroïne, la plus belle de toutes. Un jour, j’ai compris qu’elle était différente. On me l’a fait comprendre.

   -          C’est toi la sœur de la mongolienne ? m’avait demandé un grand dans la cour de récréation.

Je ne savais pas ce que voulait dire « mongolienne », j’avais répondu « oui » dans le doute, puisqu’il valait toujours mieux avouer les choses. C’est ce que Maman disait quand j’avais fait une bêtise et que je m’en mordais les doigts. Faute avouée est à moitié pardonnée. Maman avait toujours un proverbe sur le bout de la langue, prêt à surgir dans n’importe quelle situation. Suite à mon petit « oui », le garçon s’en était allé rejoindre ses copains en rigolant dans sa moustache qui n’avait pas encore poussée. Il avait tapé dans les mains de ses copains, fier de lui. Cette simple question allait changer beaucoup dans ma vie et si peu dans la sienne.

                En rentrant, je jetais mon cartable et ma veste au pied de l’escalier, prête à attaquer le goûter. Maman était dans la cuisine. Ni une, ni deux, je lui demandais :

  -          Maman, c’est quoi une mongolienne ?

  -          Lola, tu ne dois jamais parler de ta sœur comme ça, tu m’entends, jamais !

  -          Mais…

Quand sa colère fut un peu passée elle m’expliqua que ce mot était une insulte horrible et que les gens comme ma sœur on devait les appeler  trisomiques.  « Comme ma sœur », je ne voyais pas bien ce qu’elle entendait par là. Ma sœur était unique et je ne voyais pas pourquoi il fallait l’appeler ainsi alors qu’elle avait un joli prénom. Elle s’appelait Lucie, même si moi je l’appelais toujours Lulu. Elle me dit alors que Lulu était différente. Elle avait un chromosome en plus.  C’était un peu mystérieux cette histoire de chromosome. J’avais toujours pensé que c’était mieux d’avoir un truc en plus, ça la rendait encore plus cool à mes yeux. Apparemment, il y avait des exceptions et, ce truc en plus était considéré comme un handicap. Pourquoi y avait-il toujours des exceptions dans la vie ? En orthographe, il y en avait aussi, beaucoup trop même. J’avais bien retenu que l’on disait un cheval-des chevaux et qu’il fallait dire un carnaval-des carnavals. Il y en avait des tonnes comme ça.

Lulu et moi avions deux ans d’écart. Je faisais tout comme elle, jusqu’au jour où je sus en faire plus et que, ce fut à son tour de tenter de m’imiter, sans pouvoir me suivre. A quatre ans, j’ai su faire du vélo sans petites roues et j’étais très fière. Lulu a gardé les siennes. A l’école, je passais dans la classe supérieure en évitant les pièges comme on avançait sur un plateau de jeu de l’oie. Le dé m’était favorable.  Lulu avait eu du mal à apprendre à écrire son nom. Depuis, elle avait beaucoup progressé. Elle était la tortue de la fable de La Fontaine ; elle avançait doucement mais sûrement. Depuis que j’avais découvert cette drôle d’histoire, je l’appelais Lulu la tortue. Elle aimait bien ça.  

Je n’aimais pas que les gens la regardent lorsque nous étions ensemble dans la rue. Une fois, un garçon d’au moins 16 ans s’était même pris un poteau en la regardant. Ca m’avait beaucoup fait rire et j’avais remercié ce poteau qui avait rendu la monnaie de sa pièce à ce mal élevé.  J’espérais que ça lui servirait de leçon. Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde répétait toujours qu’elle était différente, ni même comment les gens le savaient. Tout le monde est différent, à part les vrais jumeaux et encore, j’arrive bien à distinguer qui est Leïla et qui est Samia, alors que la maîtresse se trompe au moins une fois par jour.  Il y avait des blonds, des bruns, des roux, des noirs, des blancs, des jaunes, des grands, des petits, des chauves, des gros, des maigres. Pourquoi se retournait-on toujours sur ma sœur ?

Lulu était brune aux yeux noirs. On aurait dit qu’elle souriait tout le temps avec ses petits yeux. Parfois, elle boudait mais ça ne durait jamais longtemps, car on lui manquait trop. Elle revenait alors comme si de rien n’était. Je trouvais qu’elle ressemblait à la petite Inuite du livre que Maman nous lisait avant de nous coucher.

  -          J’suis pas une Inuite, j’suis une tortue, avait-elle dit en fronçant les sourcils.

  -          Une tortue inuite ? avait proposé Maman.

  -          Tu dis n’importe quoi. Y a pas de tortue au pôle Nord, d’abord ! avait râlé Lulu.

  -          Si. Et sa carapace est un bloc de neige, comme un igloo avais-je poursuivi.

  -          Allez les filles, on dort maintenant.

Maman remontait nos couvertures et déposait un baiser sur notre front. Lulu s’accrochait au cou de Maman et la serrait de toutes ses forces avant de se retourner d’un bond et de porter son pouce droit à la bouche. Moi, je n’avais plus le droit de sucer mon pouce. On me disait « tu n’es plus un bébé ». Lulu gardait un esprit d’enfant mais on ne lui disait rien. Elle ne savait pas qu’à son âge, normalement, il y avait des choses qu’on ne faisait plus. Ma sœur voulait toujours faire des bisous à tout le monde ou serrer les gens dans ses bras. Un jour, elle avait été mordue par un chien. Elle avait voulu faire un câlin à cette peluche sur pattes qui n’avait pas beaucoup apprécié cet élan d’affection de la part d’une inconnue. Maman était aussi confuse que la propriétaire du chien. Heureusement, il y avait eu bien plus de peur que de mal.

J’avais été gênée quand elle s’était carrément jetée sur mon amoureux secret à une fête d’anniversaire. Elle se moquait des bonnes manières ou de ce que les autres pouvaient bien penser d’elle. Lulu était un vrai clown, elle faisait beaucoup rire mes copines. Elle disait qu’elle voulait être actrice quand elle serait grande. Elle signait des autographes sur des post-it  roses qu’elle collait un peu partout et décollait pour offrir aux invités. Elle en avait même donné un au facteur venu proposer le calendrier que l’on rangeait dans un tiroir et qu’on ne regardait jamais alors qu’on avait mis trois heures à choisir entre le paysage ou les petits chats. Lulu voulait toujours celui avec le paysage et moi avec les animaux. Maman disait que c’était chacune notre tour de choisir mais ça faisait deux fois de suite qu’on avait eu un paysage. Je m’étais encore fait avoir.

Lorsque les gens ne savaient pas quoi dire, ils disaient que Lulu était attachante. Dans ma tête, je pensais qu’elle était parfois attachiante, mais chiante faisait partie de la liste des mots interdits à la maison. S’ils nous échappaient, il fallait mettre une pièce dans une tirelire en forme de boîte aux lettres rouge assortie à la cabine téléphonique que l’on voit dans Harry Potter. Je surveillais ce que je disais, car j’économisais mes sous pour acheter un petit lapin avec des grandes oreilles tombantes. Il allait falloir convaincre Maman, mais en général, elle ne résistait pas longtemps aux talents de comédienne de Lulu et puis moi, je faisais les yeux suppliants du chat potté de Shrek. On avait une technique imparable Lulu et moi.

J’avais demandé à maman pourquoi il n’y avait pas plus de gens comme Lulu. Elle m’avait répondu que c’était compliqué, que les gens ne pouvaient pas toujours assumer d’avoir un enfant trisomique, que je comprendrai quand je serai plus grande. Pour moi, ce qui était rare était précieux et je me trouvais chanceuse d’avoir une sœur comme elle.  Des fois, j’imaginais comment ça aurait été sans Lulu. Je dois quand même avouer que j’aurais bien aimé être enfant unique. J’aurais pu manger les trois Kinder surprise de la boîte, j’aurais eu une chambre à moi toute seule, Papa serait peut être resté avec nous. Mais la vie aurait été moins drôle sans Lulu. Maman m’avait dit que Lucie ça voulait dire « lumière ». Je comprenais bien pourquoi elle lui avait choisi ce prénom. Lucie était notre petite bougie que rien ne pouvait éteindre. Elle était peut être différente mais elle faisait toute la différence.

  • Merci @Wen !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Dsc00843 300

    mathyc

  • Le récit coule tranquille, peinard, cool, ... jusqu'au dernier paragraphe où tu distribues deux trois claques à ton lecteur pour le réveiller au cas où il se serait endormi dans un monde idéal d'enfant.
    Très bien joué.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Merci Choupette ! Ce film de Sandrine Bonnaire sur sa soeur est magnifique.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Dsc00843 300

    mathyc

  • Je l'ai lu comme un reportage , comme celui de l'actrice...qui filme de sa sœur autiste. Ecris avec le cœur, montrant le coté si positif de ce "truc en plus". Magnifique! CDC

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Choupette

  • Merci @woody ! Ca me fait plaisir de lire ça de bon matin. Merci encore de me lire et à bientôt.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Dsc00843 300

    mathyc

  • tendre et tendrement écrit ... j'aime bcp ton humanité et ta façon rieuse de nous faire partager le quotidien de la différence . Ta différence à toi c'est que tu as quelque chose en plus : tu sais peindre les gens et donner de belles couleurs à la vie de tous les jours ...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Img 5684

    woody

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