Ma tête, c'est moi !

Hervé Lénervé

Je n'aime pas parler de moi.

Je remets de temps en temps la photo de ma tête, qui date déjà, maintenant. Car je suis nul en informatique. Pour importer mes tableaux sur mon ordi, je passe par un site de rencontres et j'ai horreur des rencontres non impromptues. Je n'ai pas envie de rencontrer qui que ce soit ou soit que ce qui. Rien à faire, ils veulent toujours me refiler une rencontre au passage.

Bon, une fois, j'ai cédé. Je suis allé à une rencontre du troisième type, mais avec une femme.

Une femme de rencontres arrangées. Une pro dans sa toile d'araignée. Elle savait tout sur le jargon des sites de rencontres. Moi, je ne souriais pas, parce que j'ai les dents noires. Les noirs ont des dents très blanches, moi, je suis blanc et j'ai les dents très noires. Logique ! Par contre, le noir ne sied pas à tout le monde, si on n'a pas le rouge de mes yeux. Bref, on n'est pas là pour parler de moi.

Donc, pendant qu'elle me lapide de questions, moi, je reste stoïque, la bouche fermée.

J'ai tout essayé pour mes dents, la toile émeri, la lime, la râpe, l'acide. Rien n'y fait. Il n'y a que la peinture, mais c'est de l'entretien et ça pourrit le goût.

Bref, on n'est pas là pour parler de moi. Donc, devant mon mutisme, elle dut penser que j'étais sourd et elle s'est mise à gueuler comme une poissonnière dans le café de l'hôtel chic, où nous étions. Evidemment, tout le monde nous regarda d'un œil réprobateur. Evidemment, ils pensèrent que j'agressais cette pauvre femme sans défense. Evidemment, ils avaient vu mes dents noires et m'avaient assimilé à un méchant.

Il y aurait bien eu la dynamite pour mes dents ? Mais il paraît que ça pourrit l'haleine.

De toute façon, on n'est pas là, pour parler de moi.

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