Maison à ventre ?

            Ma maison est ronde. C'est là une excentricité dont on ne m'a pas laissé le choix. Je n'en suis que l'usager, alors bien sûr je n'ai pas mon mot à dire. Toute ronde ! Je l'aime ainsi. Et ma maison bouge. Elle bouge tout le temps, comme si elle abhorrait d'avoir une adresse fixe. Ne m'écrivez pas. Ne m'écrivez jamais. Votre lettre postée, ma maison n'y sera déjà plus. Elle va où elle veut et cela m'importe peu.

Et pourtant, où qu'elle aille, j'ai la conviction que mes voisins sont les mêmes, toujours. Les parois de ma demeure sont si ténues que j'entends tout. Et les voisins sont tellement bruyants. Un couple. La femme a une voix reconnaissable entre toutes. Quelquefois, elle me parle doucement à travers le mur, s'enquiert de ma tranquillité et me promet de m'inviter à manger un jour prochain. L'homme, quant à lui, a une voix puissante et rauque. Lui aussi me parle souvent, et il n'est pas moins tendre que sa compagne, mais ses intonations sont plus élancées et brutales. Il n'est pas toujours là, mais quand ces deux-là discutent il y a un tel tapage que je suis obligé de leur demander de faire moins de bruit. Alors, je frappe le mur. Poings, pieds, je donne tout ce que j'ai pour qu'ils cessent leur vacarme. Et alors quoi ? Je vis seul, mais moi aussi je peux en faire du raffut !

Chez moi, il n'y a qu'une seule pièce. C'est là que je fais tout : manger, dormir... On y est tellement bien ! Vous comprendrez qu'avec si peu de place, je n'invite pas grand monde. Et pour autant, je ne m'y sens jamais seul !
Évidemment, il y a quelques menus désagréments, je ne veux nullement vous les dissimuler. Pas d'installation électrique, donc je suis continuellement dans le noir ; dégâts des eaux importants qui m'ont découragé à entreprendre quelconque réparation. Or, même ces défauts de construction, même ces malfaçons dirimantes n'entachent en rien la perfection de mon logement.
Les aménités de l'habitation compensent totalement ces embêtements. Prenez le chauffage par exemple, la température y est optimale. Jamais de variation importante, pas de courant d'air. C'est bien simple, je n'ai jamais été malade. Et tout y est confortable et hospitalier. Impossible de se cogner chez moi : les murs sont mous et délicats comme des coussins.

Je suis sûr que vous mourrez d'envie d'y habiter ? Je ne peux que vous la recommander, même si, avec la mobilité incessante de ma résidence, il ne vaut mieux pas souffrir du mal de mère. Et ce trouble va de père avec la proximité du voisinage, fort sympathique au demeurant, mais d'une faconde insatiable. On dirait qu'ils parlent à travers une enceinte !
Si je vous dis ça, c'est pour être honnête avec vous et pour ne pas vous faire un enfant dans le dos.

Néanmoins, pour l'heure, cette maison n'est pas à ventre. Et malgré ses défectuosités, elle est loin d'être un bidonville, vous en conviendrez !
Malheureusement pour moi, le bail n'est que de neuf mois. On m'a prévenu qu'il faudrait que je laisse la place à un autre. Je sais bien que je ne suis pas le nombril du monde ; d'autres louent cet endroit et font éloges de la douceur de vivre qui y règne. Le lieu est si serein que je n'ai jamais éprouvé le désir d'en sortir.

Je sais que quand je m'en irai d'ici, la première chose que je ferai c'est pleurer. Á la seconde où j'aurai mis le nez dehors, ma première maison me manquera. Je vais apprendre ce que c'est que de déménager. Oh, je n'ai pas beaucoup d'affaires et de meubles. Pas de carton à faire. Neuf mois, on ne cherche pas à s'établir véritablement, vous comprenez ?

Enfin, tout de même, il y a une chose qui me console : je suis certain que ma maison est encore plus belle vue de l'extérieur.