La Maison

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La maison était petite, à peine sortie de terre. Pas de charme particulier, un outil pratique répondant aux normes oppressées du milieu social : forme cubique « comme on sait faire aujourd'hui », crépi blanc-cassé, un peu de gris dans les lattes de bois apposées sur le pignon ou dans la toiture métallique, un petit carré de pelouse, un garage. Une maisonnette simple et fonctionnelle. Pas besoin de plus...


Intérieur épuré. Peinture blanche, lino gris ardoise, mêmes faïences blanches derrière l'évier de la cuisine et dans la douche à l'étage. Maison neuve et immaculée. Un sanctuaire prêt à être profané par la première tâche, la première griffure, la première fuite d'eau. Impersonnelle à la base, une maison feuille blanche pour un nouveau départ. Tout à écrire.

Petit à petit, elle avait imposé sa patte dans cet espace restreint et stérile, faisant oublier à tous et même à elle-même que la maison était un logement social. Derrière la porte d'entrée, une console ancienne, en chêne, restaurée dans un gris très clair, faussement patiné, presque bleu. Une console qui accueillait la dépose nonchalante et rituelle du trousseau de clefs. Coupe duralex peinte à la bombe en rose poudré concentrait un joyeux foutoir : clefs, stick lèvres au beurre de karité, paire de boucles d'oreille, échantillon de parfum, jetons de caddy. A droite de la porte, un jeu de patères offrait ses grosses boules lustrées et colorées aux cardigan, veste simili-cuir, veste de tailleur, petit blouson taille cinq ans. L'entrée s'ouvrait directement sur un petit salon flanqué d'un canapé de tissu gris anthracite, accolé au mur du fond à gauche. Trois places, large assise moelleuse, nombreux coussins bleus, jaunes, couleurs pastels, dessins géométriques. Un coussin blanc à longues fibres douces et synthétiques tombé au sol. Table basse faite à partir de palettes de bois recyclées, poncées, peintes du même gris que le meuble de l'entrée, montée sur quatre roulettes, une plaque de verre recouvrant le dessus. Bougies. Sur le mur opposé au canapé, une très large télé, écran plat, peut-être pas HD et surtout, encadrant la technologie, des étagères remplies de livres… Non pardon… Un mur de livres entier et au milieu une télé. Près de la minuscule cuisine, vitrine sur pied en verre, vaisselle en porcelaine blanche alignée, motifs oranges et bleus, années 70, tasses, soucoupes, théière surmonté d'une anse en bambou, japonisante, service chiné chez Emmaüs ou néo-vintage acheté sur internet. Cuisine équipée embaumant le thym, le persil, le basilic cultivés dans de petits pots suspendus au plafond. Cagette clouée au mur servant d'étagère, collection de livres de cuisine, vase en verre banc contenant nombreux ustensiles, rappe, louche, pelle à tarte, allume-gaz, cuillères en bois… Estampe japonaise, geisha sur fond vieux-rose, encadrée, accrochée au-dessus de l'évier.

Partout au rez-de-chaussée, un parfum de vanille gourmande, mêlée à celle de petits-beurres, de la confiture de mûres, d'une légère senteur de femme, à la fois fleurie, capiteuse et poudrée. Dior peut-être…


L'étage, je n'avais pas encore eu le droit d'explorer…


D'un regard, j'avais saisi l'âme que cette maison avait prise. J'avais compris comme elle s'était appropriée l'espace et comme elle parvenait à s'y tenir désormais. Elle allait bien avec les murs, les meubles, les objets…

Oui, d'un regard, j'avais embrassé les lieux et je les avais aimés, avant de l'embrasser elle, plaquant son petit corps contre le mur de l'entrée, entre la porte et la console gris-bleu. Les clefs, elle les a faites tomber par terre en passant ses bras autour de mon cou. Sa veste, je l'ai faite glisser le long de ses épaules. Elle s'est échouée doucement à côté des clefs, sur le lino gris.

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