Mamie t'es où?

yoda

- C'est pas possible!

- Mais c'est pas possible!

- Chaque année, c'est la même chose, ras le bol! Et on n'était que trois, là, à six, ça va être l'enfer!

Il ne savait pas à quel point! Pauvre mec, tu aurais dû rester chez toi.

Roland contenait sa colère en maugréant. Il avait beau changer les bagages de place, rien à faire, ça ne rentrait pas. Il tapa une dernière fois sur un sac de voyage et finit pas donner un grand coup de pied dans le récalcitrant sans pour autant le faire bouger d'un iota. Bouillant de rage, il entreprit de sortir tout le contenu du coffre et de recommencer à ranger autrement.

 - Tu parles! Natacha! Qu'est-ce que c'est tout ce bazar! On s'en va 15 jours, pas six mois ! Natacha! Il est déjà 10 heures, on devait décoller à 8! Et en plus, c'est juillet et il fait une chaleur à faire fondre un mammouth! J'en ai marre!

- Pourquoi tu t'énerves! Sur le perron de leur petite résidence, Natacha s'escrimait avec beaucoup de mal à tenir dans ses mains des sacs plastiques remplis de dieu sait quoi encore. Ils faisaient presque le tour de sa taille.

- Non! s'époumona Roland. Trop c'est trop! Qu'est-ce qu'il y a la dedans? Tu crois qu'on va caser tout ça où?

Le bruit de trois portières claquèrent simultanément non loin de l'endroit où leur espace stationnait.

- Voilà Anouk, Ludo et mon petit Louis, s'écria gaiment Natacha.

Anouk était la fille unique du couple. Ils avaient décidé de partir en vacances en famille.

En amenant grand-mère Nelly... S'ils avaient su comment aller tourner leur voyage, ils ne seraient jamais partis.

Originaire d'Auvergne, Roland d'Espeyrou n'était pas ce que l'on peut appeler un modèle de rationalité. Il cherchait midi à quatorze heures pour solutionner un problème. Droit au but, il ne connaissait pas.

Son père, Louis, ébéniste par vocation plus que par nécessité  il fallait quand même gagner sa vie, avait des mains en or et savait d'instinct tirer le meilleur parti d'une planche. Il connaissait toutes les variétés de bois, les précieux surtout et son atelier sentait bon les copeaux fraichement tombés sur le sol. Il avait le défaut d'être assez brouillon dans la tenue de ses comptes et pour tout ce qui était papiers en général. Ce qui lui a valu pendant toute sa vie active bien des déboires. Les gens malhonnêtes ne payaient pas leur facture. Evidemment, Louis ne retrouvait pas l'original signé, cela va s'en dire.

Viviane, sa mère l'avait élevé avec ses quatre frères dans une atmosphère où le théâtre et le cinéma primaient sur tout le reste. Elle jouait un rôle en permanence, même lorsqu'elle cuisinait. Roland et ses frères l'adoraient. Il faut reconnaître que manger une potée en s'imaginant que c'était un plat raffiné, aux chandelles et qui plus est dans un château, pouvait s'avérer hilarant certains jours. D'autres, surtout quand les cinq garnements s'apercevaient qu'ils en avaient oublié de faire leur devoir, étaient moins réjouissants. Le pire c'est quand leur père les attendait pour livrer un meuble et qu'ils devaient l'aider à le soulever pour le mettre sur la carriole, ou encore quand ils devaient ramasser les copeaux pour garnir le poêle qui trônait au milieu de la salle à manger. Roland se souvient parfois des engueulades et particulièrement des dix fesses rougies sur lesquelles maman appliquait un baume de sa fabrication. Cela n'arrivait pas souvent, car la leçon était bien retenue par les garçons. Ils n'avaient surtout plus envie de recevoir une raclée de plus! Chat échaudé... ils connaissaient l'expression!

Pour Natacha, il en allait autrement. Elevée à la ville, Rodez plus exactement, elle avait la rusticité de cette région de causses, aux montagnes pelées, avec pour compenser, un côté racé qu'elle tenait de son aïeule Angèle d'Antraigues. D'après les on dit,  elle aurait été conçue de façon illégitime et le père d'Angèle serait un noble de la région de Touraine. La rumeur...

Son père Henri s'était lancé dans le transport. Sérieux, son entreprise s'était rapidement développée et au moment de partir en retraite, son parc se montait à une vingtaine de camions. Il embauchait à tout va, la crise, il connaissait pas, ce qui lui a permis, insensiblement d'abandonner la route tout en dirigeant la boîte et de rester plus souvent près de sa femme Nelly.

Ah sa Nelly, comme elle était belle et ses petits plats mijotés étaient un appel pour rentrer à la maison chaque jour un peu plus tôt. Il ne se lassait pas de parcourir des yeux ses aquarelles qui tapissaient les murs de la salle à manger. Il y en avait même dans les couloirs et dans leur chambre, plus intimes...  Elle était douée, ça c'est sûr et pour bien d'autres activités artistiques! Les passants s'arrêtaient pour admirer ses mosaïques sur les murs extérieurs de la maison. Sa passion la plus grande Nelly l'avait pour son jardin. Des fleurs aux noms savants, des plantes à consonances latines, des cactus et des essences d'arbres. Ceux qui n'y entendaient rien pensaient que la parcelle était plantée n'importe comment, mais le connaisseur, lui, comprenait l'agencement savant de chaque variété...

Henri avait toujours eu un doute. Il ne voulait pas trop réfléchir, il était si heureux, mais il se demandait souvent pourquoi il n'arrivait pas à accrocher le regard de sa femme. Dans ses yeux, il y avait parfois comme une lueur de démence... Il l'attribuait à sa créativité, à l'accroche d'un reflet de soleil dans sa pupille... Bref il ne voulait pas savoir!

Dieu merci, quand leur petite fille est née, elle semblait normale. Henri plongea dans son regard, mais rien... et le temps passait..

Roland et Natacha s'étaient rencontrés un jour où une livraison importante de meubles devait être livrée à Rodez. Deux caractères opposés. Pourtant Natacha avait su déceler la meilleure part à l'intérieur de ce râleur qu'était Roland.

D'ailleurs, elle le regardait avec tendresse fourrager dans le coffre de la voiture, une expression butée sur son visage. Elle réprima un sourire pour ne pas le vexer et s'approcha pour lui donner un coup de main.

Anouk et Ludovic arrivèrent à la rescousse et en moins de deux temps trois mouvements, le coffre était fermé. Prévoyants, ils étaient venus la veille apporter leurs affaires pour ne pas se précipiter le lendemain. P'tit Louis les regardait faire, les yeux plissés à cause du soleil, une glace déjà bien entamée dans la main.

- Nat, tu as pensé à prévenir les voisins pour Cacahuette? S'inquiéta Roland

- C'est fait, Alain et Delphine ont une provision de croquettes et de boîtes pour chats. Les gamelles sont sous l'auvent et j'en ai rempli une plus grande d'eau fraîche. Les voisins la changeront tous les jours.

- Bon alors, on part! Tout le monde à bord. Allez, p'tit Louis, arrête de léchouiller Cacahuette, on embarque.

- Tu es sûre que tu n'as rien oublié?

- Ma mère!

- la vieille Nelly était depuis un bon moment sur son fauteuil en haut des escaliers, la rambarde la cachait aux yeux de tous et comme elle ne parlait jamais...

- Tu aurais dû la fermer mec! - C'est bizarre cette voix se dit Roland en aparté, il me semble avoir entendu cette réplique... dans un film je parie...

A l'arrière de l'espace, Anouk et Ludo se disputaient le côté de la portière. Ni l'un ni l'autre ne voulait s'asseoir à côté de Nelly. Anouk gagna et s'installa confortablement, Ludo et p'tit Louis sur les genoux se retrouva au milieu, la vieille à ses côtés. Il poussa un soupir de contrariété et se tourna vers sa femme.

- Au premier arrêt, on change de place!

Une famille française normale quoi!

Natacha distribua des bouteilles d'eau à chacun, gardant la sienne et celle de Roland sous le vide poche, tandis qu'Anouk et Ludo casaient leur fils avec beaucoup de difficultés entre eux. Cinq minutes après, Louis jouait sur le tapis de sol. Il avait emporté un camion chargé d'une vingtaine de petites voitures. Le tapis, aux profondes rainures argent et bleu faisait office de routes. Vroum, vroum, vroum...

- Plus doucement Louis, tu énerves tout le monde.

Roland regarda son petit-fils dans le rétroviseur et aperçut l'espace d'un instant le regard de la mère de Natacha. D'ordinaire terne, il brillait d'un éclat malsain. Une impression fugace qui mit Roland mal à l'aise. Il jeta à nouveau un rapide coup d'oeil dans le rétro. Nelly avait les yeux mi-clos. J'ai dû rêver pensa Roland. Il secoua la tête dans tous les sens pour se remettre les idées en place. Bon sang, je ne peux pas avoir encore de coup de pompe, ça fait à peine un quart d'heure que je conduis!.

 - Passe-moi la bouteille d'eau Nat.

Roland but une longue gorgée puis se versa un peu de liquide sur la tête.

- Qu'est-ce que tu fabriques? Lui demanda sa femme

- Je me rafraîchis les idées. J'ai le droit non

Natacha décida de le laisser tranquille, elle n'avait pas envie qu'il se mette en colère, sinon il en avait pour vingt minutes  au moins à vider son sac!

Le ronronnement du moteur, si faible soit-il, invitait à la somnolence. Elle fit le tour de la maison en pensée pour vérifier virtuellement si tout était en ordre. Le gaz, fermé, le frigo, vidé et entrouvert, sinon, gare aux mauvaises odeurs. Les chambres?  Les lits refaits, s'ils revenaient tard, ce serait une corvée de moins, le nécessaire pour Nelly, les changes, parfait... Sa tête dodelinait dans tous les sens et Nat finit par s'endormir sans avoir inspecté toutes les pièces. Elle aurait le temps d'y repenser, quoique...

Roland suivait la route des yeux. Large et pratiquement en ligne droite, ajouté à cela le long défilement de la bande blanche au milieu et la douceur des suspensions refaites de neuf, il y avait de quoi piquer du nez aussi. Confortablement assis, il résistait à la léthargie qui l'envahissait. Heureusement, il apercevait au loin les panneaux bleus annonçant l'accès à l'autoroute des Deux Mers. Finalement, ils avaient bien roulé depuis Aragon. Les virages jusqu'à l'accès à la nationale n'étaient que sur une portion de huit kilomètres. Il enclencha le bouton qui lui délivrerait le passe pour l'A61. Avoir l'oeil, car de Carcassonne, un embranchement partait sur Toulouse, l'autre sur Narbonne, la direction qu'ils devaient prendre. Roland aurait bien voulu faire un détour pour admirer la Cité Médiévale, seulement, avec le retard qu'ls avaient pris, ce n'était plus possible. Et puis Louis s'était niché contre les jambes de sa mère pour un petit somme, alors...

Anouk, elle aussi, faisait le tour de sa maison, comme sa propre mère, c'est un peu le rôle des femmes de s'inquiéter de tout et de rien, enfin... Une responsabilité quand même. Peut-être, songeait-elle, que si on changeait la donne, les hommes prendraient le relai. Utopie. Un sourire étirait le coin de sa bouche. Elle semblait heureuse entourée de sa famille. Leurs toutes premières vacances ensemble depuis qu'elle s'était mariée, les dernières qu'elle avait passées avec ses parents, c'est quand elle était encore jeune fille. Pourquoi chercher la petite bête. Elle avait décidé de se laisser porter par les événements.

Ludovic n'était pas un personnage compliqué. Contrairement à son beau-père, il prenait les choses comme elles venaient. C'était le facteur d'Aragon. Tout le village le trouvait sympathique. Toujours prévenant, même envers sa femme, il était le charme incarné. Une seconde nature, une seconde peau qu'il avait enfilée au gré du temps, métier oblige, et qui sait, sous cette carapace  se terrait une autre personnalité? Jusqu'à présent, rien ne justifiait le fait d'avoir à percer cette cuirasse pour voir ce qui pouvait se trouver à l'intérieur. Avec les événements qui s'annonçaient... comment allait-il réagir ?

Et Louis? Il a ouvert les yeux sur le monde le 1er janvier 2006. Pas de complications majeures pendant sa petite enfance. Très joueur, il se montrait habile de ses doigts pour des puzzles en bois  fabriqués par son grand-père, le bricolage était la passion de Roland, faut pas rêver, il perdait patience quand une pièce lui résistait et les voisins proches de l'atelier en prenaient plein les oreilles, ou encore s'amuser avec les legos.  Ludovic voyait déjà en lui un futur mathématicien, sa mère , pragmatique, attendait qu'il grandisse. Son parcours scolaire lui en dirait plus qu'une simple constatation d'emboîtage de cubes ou autres figures géométriques. P'tit Louis allait rentrer  au CP en septembre. Déjà! Mais le petit bonhomme savait lire et écrire depuis quelques mois. Anouk appréhendait la méthode appliquée à l'école. Elle lui avait appris à sa façon qui ne serait peut-être pas la même... Bof! Les soucis et les inquiétudes, à la porte! Et vive les vacances.

Le ticket rangé sous le pare soleil, Roland enclencha la première, après avoir programmé le GPS., il avait oublié de le faire le matin. Non, il n'en avait pas eu le temps avec tous ces bagages dans les jambes, il ne savait plus où donner de la tête. Tous les passagers s'étaient réveillés et avalaient de longues gorgées d'eau. Il faisait si chaud! La clim ne fonctionnait pas à plein régime. Dehors, le soleil tapait fort. La météo avait annoncé des températures élevées au dessus de la normale. Quand même! En y réfléchissant Roland avait du mal à admettre cette torpeur qui les avait envahis en n'ayant roulé que pendant quinze kilomètres. Ce n'était pas normal! L'envie de rouspéter ne l'effleurait même pas! Il n'avait plus de forces. Il appréciait de rouler sur le revêtement lisse de l'autoroute. Je n'ai pas intérêt à m'endormir. Si j'ouvre la fenêtre l'air chaud qui entrera dans l'habitacle, ce sera pire!

  

- Monte la clim lui suggéra Natacha, comme si elle lisait dans ses pensées

Roland lui jeta un coup d'oeil surpris et tourna le bouton. Tant qu'il y était il augmenta la ventilation. C'était bien mieux. Il dirigea le volet d'aération vers lui et poussa un soupir d'aise quand l'air frais caressa son visage.

- Ne te mets pas à ronronner lui dit en riant Natacha

- J'espère que Cacahuette ne languira pas trop, pauvre matou, tout seul pendant quinze jours! Anouk l'adorait et le mot ronronner le rappela à son souvenir. Il ressemblait à une panthère avec son pelage moucheté. Il en avait l'élégance et un gout prononcé pour la chasse. Mais surtout, c'était le dernier de la portée de Gragnotte, la petite chatte de son enfance. Comment, dans ces conditions ne pas aimer son chaton.

 - Louis? Tu es bien sage, on ne t'entend pas.

- Ze lis répondit le petit garçon à sa grand-mère

- Et tu lis quoi?

- Brumus! C'est l'histoire d'un petit ourson maladroit, il est marrant, il fait plein de bêtises

- Pas comme toi

- Ben non! Ze suis sage!

- Continue, le voyage ne fait que commencer

- Oui mamie

Tout était calme dans l'Espace. Nelly avait les yeux encore entrouverts, apparemment il lui était impossible de les fermer. Ludovic feuilletait un catalogue de trains, la Vie du rail, allez savoir pourquoi, une passion cachée, une frustration d'enfance ou un rêve de collectionneur?

Roland avala une rasade de flotte tiède son nez plissé exprimant le côté désagréable de la chose...

- Tu aurais pu amener la glacière!

Natacha lui répondit du tac au tac,.

- Tu n'avais qu'à y penser toi même, non mais, toujours à râler!

Tu vois, mec, une famille française normale, que veux-tu qu'il arrive avec tant de banalité dans vos rapports, tout est normal, NORMAL, t'as compris!

- Hein? Qui a dit ça?

- Quoi? Personne n'a parlé, tu entends des voix maintenant? Pauvre titi

- Arrête de m'appeler comme ça, c'est nul.

Natacha se cala dans son siège et fit mine de dormir.

Elle sursauta quand Roland freina brusquement.

- Tu l'as fait exprès s'insurgea Nat. Petit esprit!

- Ouais na! Mais non, regarde!

Ludo qui n'avait pas ouvert encore la bouche les pria de ne pas se disputer

- Cool, on est en vacances!

- Je voudrais bien rester cool, mais il va falloir s'armer de patience, vu le spectacle!

 - Waouh, le bouchon! Louis étira son cou en écarquillant les yeux. Toutes ces bagnoles! Au loin, les voitures étaient dans tous les sens.

- On dirait qu'elles sont garées sur un parking, dis donc!

- Il a dû y avoir un accident.

Roland augmenta le volume de la radio pour savoir de quoi il retournait.

 Cinq minutes après, le journal annonçait un terrible carambolage sur l'A61, entre Carcassonne et Narbonne, au niveau de Villedaigne. Les commentateurs ne se prononçaient pas encore sur le nombre des victimes. Le reste de l'actualité présenté, l'accident revenait au premier plan. Après une heure d'attente, les passagers de l'Espace eurent une bonne surprise. Les équipes de surveillances des autoroutes et les policiers ouvraient une brèche dans les glissières de sécurité pour permettre aux automobilistes d'emprunter un petit chemin qui les amènerait à la D 6113, direction Narbonne.

Les passagers retrouvèrent leur place dans le van avec soulagement. Ils avaient pris beaucoup de retard, mais surtout ils dégoulinaient de sueur tellement la chaleur était intenable. La clim était la bienvenue et les bouteilles d'eau descendues en un rien de temps, même tiède. Nat fit boire Nelly.

 - Narbonne, tout le monde descend!

- Ludo! On est en ville, pas à la gare!

- Pour une fois que je plaisantais! puisque c'est ça, je ne décrocherai plus un mot jusqu'au prochain arrêt... buffet!

Il éclata de rire et tout le monde l'imita, sauf la vieille qui semblait dormir, la bouche ouverte et les yeux mi-clos, comme d'hab, pensa Roland.

- Tu sais qu'à l'époque des Romains, Narbonne était un port? 

- Non papy. La mer arrivait là où on est en ce moment?

- Et oui. Aux prochaines vacances, on prendra le temps de visiter. Tu verras la belle architecture de la cathédrale St Just, du palais des archevêques, la mairie actuelle, le...

- Tu vas rater la bretelle! Le coupa Natacha

- Oups!

Roland tourna le volant à droite. Dans la bonne direction. Quand il baissa la vitre, au péage, pour prendre un nouvea ticket, un air lourd et chargé d'humidité lui sauta au visage.

- Il va pleuvoir!

De gros cumulonimbus bourgeonnaient dans le ciel. Poussés par le vent qui venait de se lever, ils viraient au noir. Les éclairs déchiraient le ciel, sinueux. Des grondements sourds roulaient sous les nuages. Une déflagration violente fit sursauter la famille qui s'était calfeutrée dans la voiture, veillant à ne rien toucher, surtout pas les parties métalliques. Roland avait garé la voiture sur le bas côté après le péage et coupé le contact. La foudre tomba à quelques mètres d'eux. Louis qui se cachait entre ses parents, tremblait de peur, mais, curieux, il gardait un oeil ouvert. Il vit une boule orangée passer près de la portière où était assise Nelly. La main gauche de la vieille femme s'était retournée et reposait recroquevillée sur la porte. Il n'en dit rien. Il croyait qu'on ne le croirait pas, ce serait un secret qu'il enfouirait dans sa mémoire, jusqu'à ce que...

Des rafales de vent ballotaient le véhicule. De grosses gouttes s'écrasèrent sur le pare-brise mélangées à du sable. Roland mit l'essuie glace en route. Geste inutile! Une pluie drue se mit à tomber à verse balayant le sable. L'intensité de l'orage redoubla de force. Personne ne bougeait. Le paysage était lugubre, comme dans une scène de film d'épouvante.

Et puis, un doux crépitement sur le toit donna le signal du départ. Finie la tourmente. Les vitres étaient embuées. Elles s'ouvrirent toutes à la fois comme par magie. Un petit air frais rentra dans l'habitacle. Il embaumait des senteurs de la garrigue. Roland en respira de grandes goulées. La fatigue le quitta et c'est de bonne humeur, une fois n'est pas coutume qu'il remit le contact.

- On a encore plus d'une heure de trajet avant de s'arrêter. Si quelqu'un a faim, qu'il grignote un gâteau! On ne mangera pas de sitôt.

Il ne croyait pas si bien dire!

Les éléments s'étaient calmés. Un silence palpable environnait les lieux. Une trouée dans les nuages dégagea un coin de ciel d'un bleu profond. Un rayon de soleil frappa de plein fouet une flaque qui se trouvait à droite du véhicule. Roland, qui prenait soin de ne pas rouler sur un nid de poules, la violence de la pluie en avait creusé pas mals sur le bas côté, fut ébloui par cet éclat soudain. Il chaussa ses lunettes teintées sur le nez et resta bouche-bée.

L'impression de bien-être s'estompa rapidement. Le dos du conducteur se contracta en même temps que ses mains se crispaient sur le volant.

Dans le reflet de l'eau, une inscription, ETUOROTUA 999?

- Ah!

Surpris, il se mit à réfléchir rationnellement.

Il y a un projet de dédoublement de l'A9, donc ce sera l'autoroute A99... Mais il y a également un autre plan de prévu, à savoir une ligne ferroviaire  pour TGV en parallèle. Euréka! C'est ça et on aura l'A999. C'est Ludo qui va être content avec ses trains... Un détail le chiffonnait ; le reflet ne restituait pas le mot autoroute comme il aurait dû... Bof, quelle importance après tout!

C'est alors qu'il leva les yeux. Sur le panneau au dessus de la nappe, il lut AUTOROUTE 666!

Roland cligna des yeux plusieurs fois, les frotta vigoureusement... toujours le même panneau. Du coin de l'oeil, il comprend que les autres n'ont rien vu, sinon ils auraient poussé un cri de surprise. Ou alors, il n'y a rien à voir, seulement le panneau A9. Alors il se tait. Je rêve! ce n'est pas une hallucination quand même!

- C'est pas possible, je deviens fou!

Derrière lui, il entend un ricanement asthmatique, à peine perceptible. Dans le rétro, il voit Nelly les yeux luisants d'une haine qu'il n'avait jamais perçue chez cette femme si gentille lorsqu'il avait rencontré Annouk.

P'tit Louis perçut aussi ce rire sardonique, même si la vieille le faisait en sourdine!

Puis plus rien.

Sauf une sorte de brouillard qui s'élevait de la route, comme les volutes sur le cratère d'un volcan, devenant une nappe qui s'élevait lentement, légère comme de la ouate. Entre les arbres, des portions de ciel couleur gris anthracite ajoutaient de l'étrange à ce départ en vacances.

Je t'avais dit de ne pas partir, mec, tu viens de t'engager sur un chemin dont on ne revient pas.

Ta gueule! Hurla Roland.  

Articulation

Episode 1

Un départ en vacances sur les chapeaux de roue pour Roland et Natacha ! Anouk, leur fille, son mari Ludovic et p’tit Louis sont du voyage. L’énigmatique Nelly, la mère de Natacha les accompagne. Elle n’a pas le choix, étant donné qu’elle ne peut pas se débrouiller toute seule. Toute la famille a décidé de partir pour l’Aveyron, leur région natale. Arrivés au péage de l’A9, un gros orage déclenche des anomalies dans le comportement de quelques membres de cette famille. Le plus perturbé est Roland. Sans savoir comment il se retrouve sur l’autoroute A666…

Episode 2

Roland n’a rien dit aux passagers qui semblent ne s’être rendus compte de rien. Il continue sa route. Une angoisse sourde lui noue l’estomac. Pas commode du tout, cette situation fait ressortir son côté coléreux qu’il réfrène tant bien que mal. Par un curieux hasard, alors qu’il aurait dû bifurquer à Montpellier pour prendre l’A75, direction Millau, il s’aperçoit qu’il est dans le Gard. Il est 14 heures, tout le monde a faim et Roland décide de s’arrêter sur l’aire de Tavel.

Episode 3

Ils se restaurent. Louis qui veut se dégourdir les jambes sort du relais… il disparaît. La frayeur de la famille est remplacée par le soulagement lorsqu’ils retrouvent le petit garçon endormi sous un pin. La nef solaire aux 5 cadrans suscite leur intérêt. Pour mieux en faire le tour et ne pas laisser Nelly dans la voiture sur laquelle le soleil cogne, ils la mettent à l’abri sous une des arches du cadran solaire. Au moment de repartir, plus de Nelly !

Episode 4

Inutile de l’appeler, la vieille dame ne leur répondra pas, et pour cause… Elle ne parle pas ? Ils cherchent jusqu’à la tombée de la nuit, reviennent à la nef… Appellent la police… Les investigations ne donnent rien. Les chiens policiers reniflent autour du cadran solaire mais ne s’en éloignent pas. La gendarmerie a plusieurs dossiers de disparitions à Tavel. Une énigme que tente de résoudre un homme de la région. Alan !

Episode 5

Alan, le provençal qui  connaît la géographie du sud de la France comme sa poche, dans laquelle un pendule en laiton ne le quitte jamais, entreprend ses propres recherches. Sous terre, il y a des grottes… de l’une d’elles part un souterrain…

Episode 6

Sur les instances d’Alan, et en accord avec la police, Roland et les autres membres de la famille partent en direction de Vauvert, ce qui les rapprochera de leur destination. Ils font demi-tour et s’arrêtent non loin du village. Ils ont faim, ils sont fatigués et ils doivent attendre  dans l’Espace qu’on leur donne des nouvelles. Un orage éclate à nouveau. Roland s’est garé sur les costières. Il n’est pas au courant que lorsque les pluies sont diluviennes, comme c’est le cas ce jour là, le ruissellement entraîne les galets jusque dans les rues de la ville…

Episode 7

Le véhicule roule sur les cailloux lisses comme des billes. Ce qui devait arriver, arriva. L’Espace se retourne. Heureusement, la pente n’était pas trop raide au début et toute la famille peut descendre sans difficulté. Ils regardent ébahis la voiture faire des loopings avant de prendre de la vitesse et de s’arrêter, enfin, contre une capitelle… Dessous, mais ils ne le savent pas, une galerie qui part de Tavel… En plus de la faim, de la fatigue, les voilà dégoulinants d’eau de pluie.

Episode  8

Les habitants de Vauvert, habitués à ces dégringolades sont indulgents. Un dépanneur arrive et sur un coup de téléphone de la gendarmerie les touristes peuvent repartir. En fait, ils ne veulent pas qu’ils soient présents lorsqu’ils investiront les lieux. Ils sont inquiets de ce qu’ils pourraient découvrir.

Episode 9

Les voilà à présent non loin de Vauvert, au Cailar plus précisément où des fouilles archéologiques sur le site dit « des clochettes » ont mis à jour du matériel préhistorique. Des vestiges grecs et celtiques ont été découverts, près du castellum, un château fort de l’époque médiévale. Il faut savoir que comme Narbonne, il y a des siècles, c’était un port. Alan use toujours de son pendule. Il cherche.

 Episode 10

Roland se réveille en nage. Il ne comprend pas. Il est dans son lit. Natacha lui crie que le café est prêt. A moitié sonné, il descend lentement, marche après marche les escaliers qui vont le conduire à la cuisine. Toujours endormi, il s’assied. A côté du bol fumant, le journal. Le gros titre à la une le réveille complètement.

- Mais c’est pas possible ! Hurle Roland

Alors mec, tu crois que ce n’est qu’un rêve ? Ou bien tu rêves que tu rêves. Lis, ça va être ton cauchemar…

Signaler ce texte