Mens sana in corpore sano

matt-anasazi

MENS SANA IN CORPORE SANO

Sur les rails supraconducteurs, les métros aériens du Manhattan bridge vrombissaient en survolant la baie de l’Hudson. Puis en se rapprochant de la station, de puissants électroaimants freinaient puis stoppaient en une milliseconde les bolides profilés.

« Maman, tu vois la fusée ?

- C’est le métro ; il flotte au-dessus des rails. Tu sais, quand j’avais ton âge, il roulait…

- Comme mes jouets ? » Le regard incrédule, le garçonnet de cinq ans cherchait en esprit une représentation du métro décrit par sa mère. Sa moue témoigna de ses efforts infructueux ; aussi se replongea-t-il plus volontiers dans la contemplation du  va-et-vient des rames.

Dans le ciel, un dirigeable effectuait sa manœuvre d’approche pour La Guardia. Ses flancs recouverts de LED photovoltaïques diffusaient en permanence des slogans publicitaires. Avant de sortir du champ de vision du petit garçon, une banderole lumineuse scintilla : « Nakajima Zaïbatsu, rendre votre corps vif en harmonie avec votre esprit. Swift body, clever mind[1]. »

Un homme assis non loin de la scène ne partageait pas la douceur de ce moment familial. Il scrutait les rames passant avec une fixité quasi-inhumaine. Ses yeux étrécis en un coup de serpe demeuraient immobiles alors que ses pupilles dilatées bougeaient à une vitesse vertigineuse de droite à gauche. Un éclair minuscule trahit le manège imperceptible de son sharp eye, le dernier cri en matière d’implant oculaire cybernétique. L’ombre balayait du regard toutes les rames entrant et sortant de la station. Il cherchait quelque chose ou quelqu’un.

Il était tellement absorbé dans sa tâche qu’il ne ressentit pas l’alerte ultrasonique de ses capteurs de mouvement. En un instant, un mur se dressa devant lui. Il eut juste le temps de voir un flash puis il sombra dans l’inconscience.

Dans la salle d’attente de la salle d’holoconférence, Andrew Stanton savourait son dernier succès. Mission remplie comme d’hab’ !, se contentait de noter Sallie, sa secrétaire virtuelle mais il en savourait chaque instant, le rush terminé. Son plan avait une fois de plus été infaillible : se rapprocher lentement puis frapper. Les pseudo-espions avaient une confiance tellement aveugle dans leurs systèmes de surveillance et leurs capteurs de mouvement qu’ils en oubliaient la règle première, la surveillance.

Il avait d’abord fouillé le passé de sa cible : contacts, relations, échanges de contrebande, appels téléphoniques, tout était méticuleusement passé au peigne fin. Ainsi, il avait compris le stratagème de Stan Wolfman pour faire sortir les informations sensibles de son bureau : il fragmentait tous ses dossiers en minuscules fichiers insignifiants cryptés qu’il ajoutait à tous ses envois mail et appels. La société Nakajima lui fut déjà reconnaissante d’avoir débusqué la taupe mais encore fallait-il le piéger et le mettre hors d’état de nuire.

L’espion amateur cherchait à revendre ses fichiers ; Stanton envoya un ensemble de mails cryptés pour le lancer sur la piste de plusieurs acheteurs potentiels. Le but de la manœuvre : l’obliger à se découvrir par l’envoi d’éléments de données cryptées pour remonter la source. Malheureusement, il manipulait si bien le data-clouding que retrouver les fichiers et les recomposer intégralement serait une gageure. Seule solution : l’interception des données lors d’un transfert.

Il avait préparé une rencontre avec un Doppel synthorg[2] moulé pour ressembler à un cadre de Fukiya Zaibatsu. Peau identique, empreinte rétinienne identique, esprit cybernétique : le jumeau parfait et modelable à loisir. Il devait arriver par le métro de Brooklyn Bridge et recevoir en débarquant le flot de données durant l’identification biométrique et génétique.

Stanton attendait dans l’ombre, pénétrant de moments en moments le cercle de capteurs biométriques de Wolfman. Il allait, venait en mimant à la perfection l’amoureux impatient tout en guettant la réception de messages du data-clouding transfer. Aussitôt que son incom l’avertit, il bondit sur Wolfman : son black out glove sur le visage de sa cible, il court-circuita tous ses implants nanotechnologiques et l’assomma d’un atémi plus classique. Wolfman s’abattit comme un sac de son dans ses bras.

« Matsushita-sama est prêt à vous parler, Stanton-san ! »

Il s’inclina et entra dans la salle. Aussitôt, il s’agenouilla, poings au sol, yeux baissés, corps replié sur les talons. Hormis le décor, on aurait cru un samouraï devant son seigneur.

La salle se remplit d’un halo bleuté puis la silhouette fantomatique de Toshio Matsushita, président du groupe Nakajima, apparut.

« Stanton-san, omédéto gosaïmasu. Votre mission a été un franc succès.

- Arigato, Matsushita-sama. Je n’ai fait que mon devoir envers Nakajima zaibatsu. Je ne suis que la barrière empêchant des traîtres de voler notre entreprise.

- À propos de trahison, une affaire d’importance requiert votre intervention, Stanton-san. Un membre des laboratoires de pointe de notre succursale sud-coréenne se livre à des manœuvres déshonorantes, tant pour lui-même que pour notre zaibatsu. Il se livre à un trafic de pièces détachées qu’il vole à nos équipes de recherche et revend au marché noir.

- Un mot de vous, et son nom même disparaitra, Matsushita-sama.

- Vous avez carte blanche. Nous avons toujours compté sur votre loyauté et votre honneur de zaïnoki[3]. Bonne chance, Stanton-san. »

[1] Un corps vif, un esprit intelligent.

[2]  Synthetic organism : robot recouvert de tissus humains.

[3]  Zaïbatsu no killa : tueur au service d'une grande entreprise japonaise pour les missions peu honorables.

  • Whhouaa ! Merci de me comparer a M. Philip K. Dick. même si je suis très loin d'être à son niveau de complexité scénaristique !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • J'aime bien cette nouvelle, un univers digne de Philip K Dick. Très bien écrit !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Ciel %c3%a9toiles2

    bella-leff

  • Je n'ai pas de mérite : ce sont des nouvelles que j'ai déjà écrites et que je saucissonne pour les besoin de lecture

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Rédhibitoire, c'est pas le mot, c'est juste moi qui suis une parfaite inculte dans ce domaine ! En tout cas je lirai la suite avec grand plaisir !

    C'est bien de se donner un rythme et de s'y tenir c'est plus difficile, si tu y arrives alors chapeau ! :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Merci d'avoir adhéré malgré les éléments rédhibitoires. Je vais m'empresser de poster la suite... même si je sens que tout ne va pas plaire ! Mon projet avance bien, merci ! Je suis lancé un timing serré que je respecte plutôt bien.Je vous tiens au courant. Bye !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Je n'ai aucune connaissance en SF, et pas non plus de références japonaises mais si je m'attache au noyau de l'histoire, j'aime beaucoup. Je pense qu'on va avoir beaucoup de belles surprises... Et ce que j'apprécie c'est aussi ces petits moments de nostalgie du "passé" avec le passage du métro.
    Comme Athénaïs je commence tout juste à m'intéresser à la SF, et ton histoire donne envie d'en lire plus !

    J'espère que ton projet se porte bien :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • non, projet plus sentimental ! La SF, c'est plus un dada !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • C'est celui là ton projet qui te tient en haleine ?

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Merci à toi, Octobell ! J'espère que la suite va continuer à te plaire !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Merci Athénaïs ! Conseil de lecture de SF suite, on m'a conseillé Globalia de Ruffin (auteur à vérfier, j'ai un doute !) et dans la suite de la Guerredes mondes, une fresque "historique" de SF Le grand silence de Silverberg

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Ahah, le tueur à gages du futur !
    Je suis vraiment pas assez calée en SF pour avoir tout compris du premier coup (il m'a fallu deux lectures, la honte !). Mais je pourrais le relire 50 fois tant l'écriture est impeccable ! Mention particulière pour la phrase: "Ses yeux étrécis en un coup de serpe", j'adore l'image !!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Moi qui me mets tout juste a aimé la science fiction, ça m'a plu (en plus y mélanger des choses japonaises, c'est top). Si jamais tu as envie de lire de la SF pour cet été, et que tu as aimé Le meilleur des mondes, je te conseille Le soupir de l'immortel d'Antoine Buéno :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    20141112 173659

    alcestelechat

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