Mens sana in corpore sano (2)

Les docks en ruine témoignaient d’un passé maritime à jamais révolu. L’avion avait supplanté le bateau pour le transport de courrier, puis avait réduit le transport maritime au seul fret, qui plus est de fort tonnage. Le dirigeable solaire, révolution du XXIe siècle, avait aboli ce temps, laissant à l’abandon les carcasses des porte-containers aux rats, aux squatteurs et aux repris de justice.

Les lampes restantes jetaient une lumière blafarde et sale sur les allées envahies d’herbes folles. Seul le souffle du vent faisait encore bouger leurs brins. Ou peut-être aussi quatre véhicules, phares éteints, sans signal radio et marque d’identification.

Un homme de l’ombre, sans doute. En tous cas, précautionneux. Il donna l’ordre de déploiement de forces de protection et ce fut fait. En quelques instants, un périmètre de sécurité fut dressé par des drones de surveillance et des synthorgs paramilitaires surarmés encerclèrent les deux parties de cette « réunion au sommet ». Pour donner rendez-vous dans un tel lieu avec de tels moyens, la mafia recherchait la discrétion absolue et les meilleurs produits de contrebande possibles.

Il fut accueilli par une silhouette courte et râblée, vêtue d'un justaucorps noir à plaques de vitrokevlar. Son visage disparaissait derrière des lunettes profilées. Ses mouvements  rapides et précis indiquaient son besoin de contrôler la situation et d'impressionner son interlocuteur.

Les drones se mirent à tournoyer en tous sens en émettant la fréquence d'alerte ultrasonique. Ils repérèrent une menace, invisible aux yeux humains. Puis ils se mirent à faire feu en pilonnant les lisières du champ de protection. La manœuvre d'échappement commença : les synthorgs firent embarquer leur patron dans les véhicules et démarrèrent en trombe. Un projectile traversa l'air et se ficha dans le 4x4 de tête et un halo d'énergie explosa en un soleil bleuâtre. Les SUV blindés s'immobilisèrent. La mini-IEM émise par la grenade à impulsion électromagnétique avait grillé en une seconde toute l’informatique des engins. Ils venaient de se changer en cercueils de métal.

Sans cible, ni ordre, les drones tournaient sur eux-mêmes, inutiles pantins de silicium.

Le contrebandier comprit à ce moment précis qu'il venait d'être pris en chasse : il aperçut une ombre tenant le lance-grenades encore fumant. Il commença à courir vers l'entrepôt le plus proche, poursuivi par des détonations de plus en plus proches. De longues minutes, il se perdit dans le dédale des couloirs encombrés de débris. Il tendit l'oreille : le silence s'était abattu sur les murs délabrés. Sa respiration se fit plus tranquille et il activa sa vision nocturne. Un sourire carnassier prit place sur ses lèvres : les rôles prédateur/proie étaient inversés. Il sortit de son abri pour reprendre la chasse.  

« Tu ne pourras pas m’échapper : j’ai le corps parfait. » Il sortit son pistolet-mitrailleur. Il repéra une silhouette grâce au night-shot eye et lâcha une rafale. Une gerbe de brindilles de bois s’envola. Raté, inadmissible ! Il devait le tuer : son corps était l’arme la plus efficace, la plus affutée dont il avait pu rêver. Il traversa la salle en un coup de vent. Exosquelette décuplant la vitesse. Son regard balaya la pièce sur toutes les fréquences du spectre lumineux. Sharp eye system couplé à une vision nocturne. Il pérorait sur ses capacités hors normes quand ses sens explosèrent. Deux nouvelles grenades fendirent l'air : l'IEM paralysa ses fonctions cybernétiques pendant que la grenade « flash bang » le rendit aveugle et sourd.

L'ancien chercheur rampait quand ses mains tâtèrent la botte du zaïnoki. La terreur créée par la cécité, la pire des infirmités, le rendit insensible à la douleur du coup de katana qui trancha sa main cybernétique.

« Kim Kae Yun, vous avez été reconnu coupable de vol, de trafic et de contrebande de secrets industriels. Qu'avez-vous à répondre pour votre défense ?

-      Goménasaï, Zaïnoki-sama. Je devais absolument être le meilleur, le plus performant pour l'entreprise. Quand je suis tombé malade il y a deux ans, j'ai obtenu une greffe de reins et l'implant d'une pompe sanguine. Je ne m’étais jamais senti aussi vivant. J'ai revécu et je voulais à tout prix augmenter encore mes capacités. J'ai cherché à acheter légalement des greffes et des implants mais je n'avais pas assez de ressources : j'ai dû me résoudre au vol et à la contrebande. Mais je ne voulais aucun mal à notre zaïbatsu. Je voulais être meilleur, que mon corps soit optimal, que ma santé soit inaltérable. Vous ne pouvez pas comprendre mon malheur : votre corps est devenu parfait par les implants successifs mais nous autres, mortels, nous devons nous battre pour améliorer nos facultés. Ayez pitié d'un homme qui ne veut qu'une chose : avoir un corps parfait...

-      Pourquoi ne pas en avoir informé vos supérieurs ? Tous les employés ont droit à des implants de Nakajima zaïbatsu !

-      Mais je voulais toujours le dernier cri, zaïnoki-sama ! Quand la simple vision nocturne est sortie, je voulais la version intégrant tout le spectre lumineux. Quand les implants de régénération sont apparus, il me fallait ceux permettant le rendement d’un sportif olympique. C’était un besoin insatiable : toujours plus moderne, toujours plus performant !

-      Kim Kae Yun, vous avez trahi votre zaïbatsu : votre châtiment sera la mort. » Son katana appliqua la sentence.

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La structure ovoïde s'ouvrit en élytres, révélant un emplacement affectant une forme humaine, aux proportions exactes d'Andrew Stanton. Ce dernier sortit de son « œuf ». Régulièrement, il s'isolait dans la salle de surveillance des implants. Chaque zaïnoki était suivi médicalement mais il avait obtenu la faveur d'avoir un module de contrôle des implants placé dans la dernière salle de son appartement.

Il revêtit sa robe de chambre, épongea les dernières traces du mucus de stase et passa commande des derniers implants à se faire poser. Il ne jeta pas un regard à l'écran de contrôle dont l'image tridimensionnelle tournoyait en rougissant. Il n'écouta pas Sallie lui faire des recommandations de prise de rendez-vous. Il savait ce qu'il avait à faire : il était un zaïnoki.

Avec la prochaine commande, il aurait un répit de trois mois face au cancer nanotechnologique dû aux implants.