Mercredi 26 janvier 2005 – 11h

caza

Toutes les histoires ne commencent pas forcément par "il était une fois" car elles ne sont pas forcément toutes des contes de fées

Au portail, c'est la même comédie, tous les jours, je réclame un baiser et il fait durer le plaisir de me le refuser, bougonnant, mais comme je ne lâche pas, je finis toujours par l'avoir.

Et comme tous les jours, je lui explique qu'avec la route qui m'attend, c'est peut-être le dernier, qu'il faut en profiter….

Je viens d'arriver à Lavaur, je me gare pas loin de l'agence immobilière où je dois prendre la permanence téléphonique et passer le reste de la journée, je n'ai pas de rendez-vous de prévu, sauf demain matin, une re visite avec un acheteur potentiel, une belle maison sur les hauteurs.

Je finis à peine le créneau que mon téléphone sonne, numéro masqué, la maison ?

Oui, c'est lui « j'ai une grosse douleur dans la poitrine, vite, appelle un cardiologue, je ne me sens pas très bien ».

J'arrive à l'agence, je jette mon sac sur le bureau du fond, je n'ai pas quitté mon manteau, je me jette sur internet pour trouver un cardiologue, il y en a deux référencés à Gaillac, plouf, plouf, je prends…. Celui-là, docteur L…. et j'appelle.

Entretien surréaliste s'il en est : « bonjour, je vous appelle, j'habite à côté de Gaillac, pourriez-vous vous déplacer à mon domicile en urgence, mon mari se plaint d'une grosse douleur dans la poitrine, il ne peut pas se déplacer et dans ses antécédents familiaux, il faut savoir que son père est mort d'un arrêt cardiaque ??

- Ah, ben, là vous me dérangez, j'allais partir pour l'hôpital, il a quel âge votre mari ?

- 43 ans

- Oh, ben non, à cet âge, ça ne doit pas être bien grave, vous ne pouvez pas me l'amener ?

- Ben non, je suis à Lavaur, je travaille, j'en ai pour plus de 30 minutes pour remonter, il faut faire vite quand même.

- Ah, d'accord, mais vous n'avez personne d'autre à embêter ?

- Si, si, laissez tomber, je vais me débrouiller ». et je raccroche.

 

Les termes de cette conversation surréaliste sont gravés en lettre de feu dans ma mémoire, tout comme le nom du médecin, qui se retrouvera sur ma route quelques mois plus tard……

J'appelle donc les pompiers, qui, eux, se déplacent, et je plante tout à Lavaur, je remonte à la maison.

Lorsque j'arrive, les pompiers sont en train de faire monter Baptiste, qui marche, soutenu par deux pompiers, dans leur camion, je crois l'entendre dire qu'il ne sent plus sa jambe.

En chemin, on s'arrête pour faire la jonction avec un médecin urgentiste, le temps me paraît avancer comme une tortue, je sais que le temps presse en matière cardiaque et la patience n'est pas mon fort dans un cas pareil, je bous littéralement.

Encore des tergiversations, on me demande si je préfère qu'on soit transportés à l'hôpital ou à la clinique Claude Bernard, j'opte pour la clinique, elle a bonne réputation, ce qui n'est pas le cas de l'hôpital public.

 

On nous isole dans un box et l'attente commence.

 

On vient le chercher pour faire des examens, et là, je perds toute notion du temps, il doit être aux environs de 15 heures, j'ai faim, je suis fatiguée et angoissée, je m'endors dans la salle d'attente.

Des cris me réveillent en sursaut « monsieur, réveillez-vous, allez ! » et je ne réalise pas qu'ils viennent de la salle d'examen où Baptiste est enfermé.

Puis on vient me chercher pour me ramener auprès de lui.

Je ne le sais pas encore, mais je vais assister en direct à la dissection aortique.

 

Les veines sont composées de plusieurs couches qui assurent leur parfaite étanchéité et leur résistance à la pression sanguine, la plus grosse et la plus importante étant l'aorte qui part du cœur et traverse tout le corps, en se subdivisant, pour apporter le sang aux organes nobles.

La nature étant bien faite, toute la veine ne s'ouvre pas en deux, mais il y a un trou dans la crosse et cela endommage plusieurs couches de tissus dans cette aorte qui vont s'ouvrir tout du long, créant des douleurs atroces et dont je vais pouvoir suivre la progression en direct.


Baptiste est blanc, et me dit d'abord avoir mal au cœur, puis dans le dos, puis il ressent une grande envie d'uriner mais n'y arrive pas, la dissection est alors arrivée aux reins, et cela continue jusqu'à la jambe gauche, il ne la sent plus.

Un médecin vient me demander de le suivre, hors de la chambre et il m'assène : « urgence vitale, l'aorte est touchée, il faut l'opérer rapidement, c'est trop gros pour nous comme opération, on cherche un hélicoptère pour le transporter à Rangueil, on les a appelés, ils vous attendent ».

Et il disparaît, me laissant le soin d'aller expliquer ça à mon conjoint qui fait ce qu'il peut pour ne pas m'inquiéter, mais je vois bien qu'il se tord de douleurs, il est en sueurs.

Je prends à ce moment-là la décision de lui expliquer la situation telle qu'elle est, ce que je referai à chaque fois, je ne lui ai jamais menti, estimant qu'il est en droit de savoir contre quoi il se bat.

Ne trouvant aucun hélicoptère de disponible, c'est une ambulance qui va l'emporter, je les suivrai, enfin, les suivre est un bien grand mot, je n'ai jamais réussi à les rejoindre, lorsque je suis arrivée à Rangueil, ils avaient déjà déposé Baptiste, et, le temps de m'indiquer dans quel bâtiment et à quel étage, ils étaient repartis !

Le chirurgien qui m'accueille a les yeux bleus glacier, un visage taillé à la serpe et je sens qu'il est fébrile.

Il m'explique que Baptiste fait une dissection aortique massive, que les gens normaux ont 50 % de chance de s'en sortir, mais que, vu qu'il est en surpoids, « il a 75 % de chance d'y rester ce soir, allez lui dire au revoir ».

 

Je sais, vous avez bien lu, je vous vois sursauter.

 

Ne le prenez pas mal, il a bien agi, il ne m'a bercé d'aucune illusion malsaine, les chiffres sont là, ils sont posés, sur la table, je sais où l'on va.

Alors, cela ne fait même pas mal, je le prends en pleine tête, je ne sais même pas comment réagir, je suis abasourdie, j'ai compris, j'ai entendu, mais je ne réalise pas tout à fait ce que cela recouvre.

Il me tend un téléphone et me dit que je peux appeler qui je veux, ce que je fais alors prouve bien que je suis sous le choc car je prends mon téléphone portable pour vérifier le numéro de nos voisins et amis anglais et j'appelle avec le fixe……

Puis je vais le voir, on est en train de le préparer pour le bloc, on le badigeonne de teinture d'iode et je vois que ses lèvres commencent à devenir bleues, signe d'un manque évident d'oxygène dû à la perte massive de sang qui doit s'écouler du trou dans l'aorte…

Je vais pour lui expliquer ce qui va se passer, mais il me coupe la parole, il n'a jamais été opéré en étant endormi complètement, il ne veut pas savoir.

Je n'ai donc pas le temps de lui dire tout ce que je voudrais, et notamment au revoir, je lui dis juste que je serai là quand il se réveillera, et on l'emporte au bloc…..


J'ignore à ce moment-là qu'il ne se réveillera que dans 3 mois et demi et que son, notre, avenir vient de basculer.

  • Combien je comprends...Ce ne sont pas tous les médecins qui ont suivi les cours de sciences humaines...tristement. On a annoncé dans un couloir à une de mes amies enceinte que son mari n'en n'avait plus pour longtemps. Un chirurgien a proposé de m'enlever le sein en 20 minutes, entre Noël et le jour de l'an..."y en n'a pas pour longtemps; je devrais bien arriver à vous passer entre deux..."

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    divina-bonitas

    • Oh mon dieu, un tel manque d'humanité me laissera toujours sans voix....

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

    • Moi pas. Maintenant je m'insurge et hurle!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

    • Je comprends, j'ai passé 13 ans à m'insurger et à hurler ! L'évocation seule de mon nom dans tous les hôpitaux et cliniques de la région suffit à faire trembler, tel le croquemitaine, et je vous promets que je ne suis pas mytho, le respect est à ce prix et je l'ai gagné de haute lutte

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

  • Ah ! C'est terrible. mais il n'y a pas de mots pour consoler, et pourtant je voudrais en trouver.
    Je comprends et j'ai connu cela malheureusement....
    Et tellement choquant la réaction de ce cardiologue ! J'ai connu cela lorsque j'ai appelé le SAMU, pour ma mère en 2007. J'ai eu le malheur de signaler qu'elle était atteinte de la maladie d'Alzheimer, alors que c'était les premiers gros troubles de démence sénile qui guette les gens âgés. Le type au tél. m'a rabroué : "Vous ne pouviez pas vous en être inquiété avant ! " Cela a été violent pour moi qui était si désemparée, et je n'ai pas pu répondre que cela était arrivé soudainement, même si elle avait eu auparavant quelques troubles de mémoire. D'ailleurs, même son médecin traitant m'a expliqué par la suite qu'il n'avait pas osé lui dire qu'elle commençait à avoir un problème. Donc, la personne du Samu a été très désagréable pensant que j'avais été négligente depuis très longtemps, et m'a répondu vertement : "Vous attendrez, etc..." J'ai juste remercié, car j'ai eu peur que cet imbécile n'envoie personne. Ce n'est pas le Samu qui est venu (longtemps après) mais un médecin, et nous avons dû l'emmener aux urgences nous-mêmes. Evidement, on a attendu très longtemps jusqu'au moment où j'ai forcé un passage interdit à l'hôpital, pour avoir un médecin. Je me suis encore fait rabrouer mais j'ai eu gain de cause, car on s'est enfin occupé de ma maman qui était sur un brancard, comme inconsciente, le visage très jaune. Elle est décédée quelques temps après...
    Bon courage à vous...amicalement.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • C'est violent ce que vous avez vécu, je suis désolée de le lire. Je sais ce que c'est que de se battre contre le corps médical. Merci pour vos mots, amicalement

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

    • Merci à vous caza.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • C'est terrible, j'espère que votre vie à tous les deux est moins difficile à présent ?

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Ne vous faites aucune illusion, après bien des hauts et des bas, il est parti dans un monde meilleur

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

  • Au vu du texte précédent, les suites , je pense qu'elles furent dramatiques ...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

    • Oui, mais il s'est passé tellement de choses entre, il y a beaucoup à dire encore

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

    • J'imagine ...

      · Il y a plus de 5 ans ·
      W

      marielesmots

  • Un moment de vie que l'on ne souhaite à personne avec souvent des suites dramatiques ou pas...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

    • Oui, en effet. On verra où ça nous mène....

      · Il y a plus de 5 ans ·
      20180820 215246

      caza

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