Mes grand-mères

veroniquethery

Je lui ressemble, paraît-il, beaucoup...


Dans mon imaginaire, aucune grand-mère ne peut surpasser la mienne : ma petite Mémé chérie, comme je l'appelais. Même en cherchant bien dans la catégorie des images d'Epinal des mamies gâteau, aucune qui puisse lui arriver à la cheville.

Je ferme les yeux et je revois son petit appartement à Armentières, situé non loin de l'étang du Bizet, où nous aimions nous promener et jeter du pain aux canards, quand nous ne nous réfugions pas sur la petite île, où nous imaginions être les reines de ce monde végétal. Son studio plutôt, au papier peint orangé, sur lequel trônaient un peu partout des photos de moi : Véronique en pull et pantalon rouges, coiffée à la Stone ; Véronique en communiante les mains jointes ; Véronique au visage appliqué sur une photo jaunie prise par un journaliste lors de mon premier concert de piano ; Véronique en maillot de bain, hilare sur un pédalo, les cheveux longs emportés par le vent... Autant que je m'en souvienne, j'étais partout et d'abord dans toutes ses pensées.

De son passé, on trouvait pourtant quelques traces : la photo de son père, Marcel, mort à Verdun, la rose des sables ramenée par mon oncle de la guerre d'Algérie... Pas de vieux poste, mais un appareil à cassettes à la pointe de la modernité que je lui avais acheté et sur lequel nous écoutions les vieux titres de Tino Rossi, de Fréhel ou les dernières chansons de Dalida. Combien de fois n'avons-nous pas chanté toutes les deux ? J'entends encore sa voix interprétant « Marinella ». Avouerais-je qu'en ce moment même, j'écoute cette chanson, émue aux larmes par les souvenirs associés ?

Je n'avais aucun effort à faire pour l'imaginer enfant, pupille de la nation élevée par une mère autoritaire. Ou jeune femme amoureuse et trahie luttant seule pour élever son fils, reniée par les siens, cette famille puritaine qui se croyait supérieure à elle, cette divorcée. Et, j'arrivais à comprendre sa force et sa fragilité mêlées, quand elle me racontait qu'ouvrière, elle avait fait grève en 36 pour les congés payés et qu'elle y avait rencontré son futur mari, mon grand-père. J'aimais les imaginer tous deux, partant en vadrouille en moto ; refaisant le monde avec leur ami Jojo, tandis que son petit singe faisait des grimaces sur son épaule et que ma mère, petite, riait en le voyant.

Et comme elle était gentille ! Jamais je n'aurais pu en profiter. Elle me passait tous mes caprices ou plus exactement les devançait. Quand j'allais en vacances chez elle, elle m'avait fabriqué pour chaque repas un Menu intitulé « Hôtel chez Mémé ». Nous passions des journées entières à l'étang ou aux Prés du Hem, pique-niquant dans les petites cabanes de bois. Le soir, le film terminé, nous jouions aux cartes durant des heures : les sept familles, le mille bornes ou le puant... Combien de fois n'ai-je pas triché pour pouvoir récupérer la famille Poule au Pot, parce que je trouvais le barbu séduisant ? Quand je l'accompagnais pour faire les courses, j'étais certaine qu'elle m'achèterait le dernier numéro de Pif le chien, du journal de Mickey ou n'importe quelle babiole, qui semblait m'avoir tapé dans l'œil.

Cette grand-mère, c'était la maman de ma maman. L'autre se souciait de moi comme d'une guigne. Mes cousins avaient pris toute la place dans son cœur et j'étais trop fière pour avoir envie d'essayer de sauter sur ses genoux.

Ma petite Mémé nous a quittés un premier janvier. La veille, au téléphone, elle avait voulu me souhaiter une bonne année. J'avais refusé de l'écouter, lui rappelant qu'elle était en avance et que ça n'avait pas de sens. Ce qui n'avait pas de sens, c'était mon obstination. Cet entêtement qui m'empêchait de comprendre que c'était important pour elle de le dire ce jour-là, parce qu'elle savait qu'elle ne serait plus le lendemain...

A chaque Nouvel An, vers 11h, je pleure, seule, dans mon coin, en me rappelant cette sonnerie de téléphone, qui allait m'annoncer qu'elle ne serait plus jamais là.


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