Métaphore Obsessionnelle Compulsive

Fanny Chouette

Les trois seuls mots sortis de la bouche déprimante de perfection du type à blouse blanche dont le nombre d'années d'études pousse au vouvoiement.
La veille, en relisant les nombreuses pages torturées des très nombreux carnets tortueux qui habillent mon esprit on ne peut plus torturant, je sautai sur le téléphone en quête d'un rendez-vous. C'est urgent. 
Oui c'est urgent Madame, casez-moi tout de suite, un petit créneau ce sera pas long ... Mais Madame c'est tout à fait différent ! Je ne viens pas pour un renouvellement d'anti-dépresseurs ou un vaccin contre le mal de vivre, je souffre de quelque chose de sérieux, et dont le distributeur d'ordonnances qui vous sert de patron est le seul à connaître la teneur. Alors inscrivez mon nom entre deux gastro et une bronchite, qu'on en finisse.

La salle d'attente est pleine à craquer. Installée entre une migraineuse chronique s'inventant un corps idéal dans les pages de Voici et un constipé des grands jours, je liste le nombre de saloperies que mon organisme aura le temps de me faire attraper avant que ne vienne mon tour. Il est fondamental d'être au contact d'un mesclun d'autres maladies lorsqu'on vient consulter son médecin. Voir votre voisine de droite se tordre de douleur sur sa chaise, relire trois fois l'édito de Paris Match parce que déconcentré par les quintes de toux du type en face, parier sur le temps que le gamin au doigt qui pendouille va mettre avant de tourner de l'œil. Tout ça donne du crédit à vos propres maux. Surtout dans un espace confiné. Et tout en engageant mentalement mon pronostic vital, je sens peser sur moi les regards méprisants de l'assistance fiévreuse. Je dérange. Quand un malade fait son entrée dans ladite salle, rien n'est plus jubilatoire que de deviner au premier coup d'œil la raison de sa venue. Or chez moi, rien n'est visible. J'affiche même un sourire de jour de paie. Comment ose-je cette démonstration grotesque de mon enthousiasme à donner un énième coup de pelle dans le trou de la Sécu ! 

Trois Closer et un Elle Décoration plus tard, je serre enfin la main du docteur. Tout en fulminant encore sur la laideur d'une lampe à huile au design nordique improbable exposée en page 37, je justifie ma présence en énumérant mes symptômes à cet homme assis sur fond de gros livres et de photos de famille transpirant l'encaustique et le parfum d'ambiance à la vanille des îles. Puis, comme pour honorer la teneur névrosée de ma tirade, il laisse planer quelques secondes muettes dans cet air qui sent déjà bon le diagnostic grassement remboursé.
MOC. Métaphore obsessionnelle compulsive. Alors c'est donc ça ? Trois petits mots qui se permettent de résumer arbitrairement des pages entières de descriptions alambiquées ? J'ai signé le chèque, jeté un dernier coup d'œil à sa famille figée sur papier glacé, merci Docteur.

J'écris des dessins, le voilà donc mon truc. Dans mes lignes pullulent des images, des clins d'œils, des allusions. Je ne peux m'en empêcher. J'ai un besoin maladif de donner du relief aux phrases. Avoir grandi entre volcans et montagnes me prédestinerait-il à bannir de mon environnement tout ce qui est de l'ordre du plat - pour me jeter sur le dessert ? Vouloir par tous les moyens me cacher un morceau d'horizon pour mieux le deviner. La recherche avance et la science se veut rassurante, rien ici n'est alarmant, ça se soigne très bien vous verrez. 

Alors pour patienter, je poursuis d'affubler une Terre bien ronde de défilés de métaphores filées dans tous les coins.
Et qu'importe l'ulcère infligé aux puristes des pampa syntaxiques.
Je m'en MOC. 


(c) 2012.
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