Métro tard

Archange Flippé

Sa cicatrice, ride monstrueuse parmi celles qui labourent son visage, rougit sous l’effort. Assis au sol, tête renversée, il ingurgite à même la bouteille le poison qui le ronge depuis si longtemps. Un filet sombre s’échappe de ses lèvres avides, roule sur son menton pour ruisseler sur ses haillons, diluant l’espace d’un instant la crasse qui les pare. Allongé sur l’inconfortable banquette, son voisin est parvenu à s’endormir. Ses chaussures fatiguées se trouvent à terre, semblant guetter la manne d’un improbable Père Noël. À bonne distance, forcément, quelques silhouettes figées dans un garde-à-vous sinistre, attendent elles aussi. Un convoi arrive enfin, dans un grondement sourd qui s’achève dans un soupir tonitruant. La dernière rame absorbe ces êtres désabusés qu’elle rejettera dédaigneusement pour qu’ils achèvent leurs obscurs périples.
Sur le quai ne restent que les deux exclus.

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