Peut-être qu'un jour...

blandyne

Le logement de mes rêves - écolo, beau, bien placé.

J'ai la chair de poule.

Pas par peur, non, c'est juste qu'il fait frisquet. Le vent dessine des points sur ma peau, qui se gonflent autour des poils comme des îlots minuscules. L'herbe frissonne, elle aussi. Elle ourle de son duvet soyeux une butte qui s'élève à quatre ou cinq mètres au dessus de moi, une statue de vague. Enchâssée dans ce sursaut de relief, une maison expose sa face pâle – la seule qui soit visible. Elle a la majesté d'une princesse égyptienne coiffée de sa perruque.

De grandes baies vitrées font disparaître ses traits sous un teint translucide, bleuâtre, qui semble refléter le bassin étendu paisiblement à ses pieds. Une fenêtre est entrouverte, l'air bat à travers et flanque les rideaux contre son flanc. Il s'en dégage une sorte d'effluve, chaleur et parfums mêlés – une odeur tiède qui m'attire irrésistiblement.

J'avance pas à pas, hésitant à faire craquer le parquet qui borde la piscine, survolant les dalles qui picorent le gazon jusqu'à la terrasse. Plus je m'approche et plus je perçois distinctement la mélodie d'un violon, qui coule d'en haut. J'inspire jusqu'à mes poumons, comme lorsque je fume, pour m'enivrer des senteurs des fleurs qui joncent la devanture. Le froid reprend le dessus, et je me précipite à l'intérieur. Pour ressentir au plus vite le changement de température, je m'empresse de refermer la porte-fenêtre. Je suis vite satisfaite ; grâce à l'isolation géothermique, la chaleur ne quitte pas le logis au moindre courant d'air. Au contraire, elle se diffuse avec l'ampleur discrète d'un bâton d'encens, et transforme l'intérieur en un confortable nid d'oiseau tout brûlant encore du sein maternel.


Contemplation

Je me laisse tomber sur un canapé, d'où j'ai une vision quasi complète du cocon ; l'étage n'occupe que la moitié de la surface du rez-de-chaussée, ce qui rend le plafond commun très haut et procure une sensation d'espace. Des ouvertures percent le haut d'un triple puit de lumière. Je sais que de l'autre côté, sur le toit naturel que forme la terre, on pourrait marcher dessus ; et qu'elles sont alternées avec des panneaux solaire, l'ensemble ressemblant au lointain à un clavier de piano, qui brille ou blanchit selon l'intensité du jour. Je suis ébahie par l'architecture des parois, qui semblent creusées en arrière telles celles d'une grotte. Mais leur toucher est lisse, parfaitement poli. La transition avec la voûte est naturelle, douce, sans angles. Le secret de cet esthétique saisissant tient tant à sa régularité mathématique qu'à la rondeur des formes qui la cache.

Les meubles, sur mesure, épousent parfaitement ces courbes splendides. Ils sont sculptés comme des statues, pour faire disparaître la rigidité de leur matière première sous un élan de vie. Incisé de motifs si l'on observe de plus près, leur bois semble une peau qui s'étire sur leurs membres gracieux. Ils ont tous le même teint mâte, ce qui donne une unité à la pièce par rapport au camaïeu bouillonnant qui tapisse les murs et le plafond. En effet, une fresque y étale ses charmes, d'un bout à l'autre de la demeure, qui s'en trouve métamorphosée en tanière féerique – une caverne aux merveilles qui en met plein les yeux !

Où que l'on pose son regard, une émotion apparaît. La palette de l'artiste a posé une constellation d'éléments qui se mêlent, du plus sombre au plus limpide. Des paysages moulent une perspective par endroits, tandis qu'ailleurs des abstractions tatouent leurs fantasmes. Je suis frappée par certaines visions : une charogne qui dore sous un soleil de bronze, des lignes de poésie souillées par les larmes d'un être qui pleure, une maison en chocolat, un nu laiteux et tendre, le visage fortement réaliste d'un paysan qui remue les foins, des spirales presque psychédéliques, des divinités asiatiques et des lumières spirituelles… Toutes ces images, si différentes les unes des autres, ne jurent pas entre elle ; la virtuosité du peintre a consisté à amasser tous ces morceaux de puzzle, et à en faire un ensemble homogène qui semble couler de source. Je pourrais passer l'éternité à contempler cette œuvre, à en dénicher sans cesse de nouveaux détails, à les réinterpréter.


Mouvements

Je me relève. Je veux embrasser la totalité de ce décor, tout voir, tout toucher. La cuisine est mignonne, un peu plus sobre car les vapeurs des plats et les tâches n'auraient pas permis une bonne conservation des pigments. Elle est carrelée d'une mosaïque splendide, dont je retrouve les motifs dans la salle de bain. Tout est spacieux, arrondi, presque vivant. J'emprunte un escalier un peu étroit, en spirale, pour monter sur la mezzanine. Je constate avec amusement un système de poulies en parallèle, avec un panier tressé accroché à une corde blonde, pour transporter des objets de bas en haut et de haut en bas sans avoir à se déplacer soi-même. Il me semble que je suis guidée, presque transportée par la musique dont je m'approche de plus en plus… J'identifie enfin sa source. Ce sont deux grandes enceintes, imbriquées dans les murs à hauteur de mes yeux, mais au dessus du vide, à l'opposé en face moi. Le violon y joue ses notes discrètement. Je tombe sur un appareil, lui aussi emboîté dans l'architecture ; je peux augmenter le son, changer de CD, me connecter en bluetooth. Prise par l'envie de briser la tranquillité des lieux, je mets Nirvana en route, et le plus fort possible. C'est à ce moment que je me rappelle à quel point la musique influence sur notre perception de l'environnement : je me mets à danser, à faire de grands pas, à sauter sur les lits immenses, à ouvrir les placards avec des gestes théâtraux ! J'embrasse l'image d'un homme poisson, je pose une trace de rouge à lèvres sur un miroir élancé, dont les rebords sinuent comme une rivière, et j'écris des mots fous, des mots stupides. Je gigote tellement partout que j'aurais bien failli tomber de l'étage si une barrière de style gothique ne m'avait retenue. Cette petite frayeur demande compensation ; je redescends et cours ouvrir le frigo, dont je retire un délicieux smoothie où je fais plonger des glaçons en appuyant sur un bouton. Tous ces mouvements m'ont donné chaud. Je me renfonce dans le canapé, et fait apparaître d'un clic un grand écran camouflé par un faux pan de décor. Je remarque seulement maintenant la présence toute proche d'un chat, qui vient de se réveiller et étire vers moi ses pattes de velours. Allez, un bon petit film d'amour ne fera pas de mal… La nuit tombe sur la colline où je suis si bien lotie, au dessus d'une vallée urbaine que je peux rejoindre en un rien de temps. Je finis par m'endormir, bercée par les ronronnements de la boule de poils et le générique.


J'ouvre les yeux dans un lit normal, dans une chambre normale, d'une maison normale. Tout cela n'était qu'un rêve, un songe qui laisse sur la langue un joli goût de miel. Dommage.  Mais peut-être qu'un jour...

  • Il est très beau ton rêve. Et je vote pour les deux versions ..la longue parce que j'adore cet l'état des lieux et la courte pour que tu montes sur le podium du concours.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • ohh merciii !! :)))

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

  • Maison à la fois moderne, originale et mystérieuse ...j'aime bien la mezzanine. Maison de rêve et puis il y a ce beau chat ...Chacun a sa maison de rêve dans sa tête !
    Très beau texte !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci beaucoup !! :D

      · Il y a presque 9 ans ·
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      blandyne

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