Modestie

Maud Garnier

Le pire jour de sa vie fut notre rencontre, paradoxalement ce fut le meilleur de la mienne !

La journée avait démarré sur les chapeaux de roues ; après  une douche énergique, bichonnée, je brillais de mille feux, au maximum de ma séduction, je me sentais belle, irrésistible, conquérante, certaine de surclasser mes concurrentes. D'ailleurs, plusieurs n'avaient aucune classe, à la limite de la vulgarité, toutes plus banales les unes que les autres, je sortais incontestablement du lot !

Alors que je sortais de mon domicile, fière de mon allure, je n'imaginais pas notre rencontre prochaine, pourtant  à peine avancée il me fit du "rentre-dedans", il était plutôt petit, râblé avec une allure vintage décadent. Je l'aurais jugé inintéressant  sans son arrivée fracassante. Alors que j'étais pressée il me stoppa net dans mon élan ; Imaginez ma surprise, une telle outrecuidance à mon encontre relevait  d'un comportement de canaille sans le moindre doute. Ne m'avait-il pas repéré ?  guetté ? épié ? espionné ? afin de favoriser cette approche, ou bien encore était-il missionné par l'une de mes concurrentes moins bien moins loties au niveau de ses attributs  qui avait besoin d'éliminer une adversaire de qualité, moi !.. Ceci afin d'augmenter ses chances de repartir avec le trophée convoité ? Mille questions m'assaillaient.

Spontanément,  un attroupement commençait à se former autour de nous, la circulation était coupée, et des klaxons  laissaient entendre l'exaspération  croissante des conducteurs excédés. Ma modestie m'interdit de dire que je ne déteste pas attirer l'attention sur moi, mon apparence et ma beauté !  Mais le concours attendait ma présence et cette rencontre arrivait au mauvais moment.

Je voyais sa mine renfrognée, il avait l'air fâché, après tout  je ne lui avais rien demandé, c'est lui qui m'avait imposé ce rapprochement. J'étais robuste toutefois et intacte, assez pour me sortir de ce mauvais pas, mais il bloquait ma rue, fallait-il que ce roquet soit rosse !

Alors qu'il se délestait de ses ailes en les laissant choir sur l'asphalte, je devais appeler à l'aide. Il fumait et fulminait comme si j'étais la fautive, quel culot ! Avant que je n'appelle qui que ce soit, la maréchaussée arriva sur les lieux pour les constatations  d'usage et les contestations de mon vis-à-vis avaient peu de poids étant donné qu'il avait répondu sur la chaussée des parties de son anatomie, preuve sans nul doute de la violence de ce fortuit télescopage.

Un camion, civière de fortune, fut diligenté pour emporter vers un funeste futur le non plus vaillant véhicule de livraison qui avait voulu forcer le passage, quitte à m'emboutir il fut emporté vers la destruction dans une casse, le pire jour de sa vie…

Quant à moi, j'ai pu rejoindre le concours de voitures d'exception où je reçu, comme une évidence le prix d'excellence, ma carrosserie en a rougit de plaisir, ce fut le plus beau jour de ma vie !...

Signaler ce texte