Moi, l’Aventurier !

-         Je n'ai pas dormi de la nuit, je l'ai passé sur le siège des toilettes.

-         Tu avais la diarrhée ?

-         Pas du tout ! C'est parce que je suis un Aventurier ! J'aime bien rompre avec la monotonie des habitudes coutumières quotidiennes.

-         D'accord, tu es un aventurier, alors tu passes la nuit sur tes chiottes. Oui, c'est logique ! Et tu as pensé à consulter au cas où ?

-         Tu ne comprends pas la démarche. Toujours dormir dans un lit douillet à l'abri de tous les dangers, hormis celui d'une explosion de gaz par la désespérée du troisième. Très peu pour moi ! Je veux vibrer, ressentir le frisson glacé de la Grande Peur, la GP comme on l'appelle entre nous, les Aventuriers. Jouer ma vie à pile ou face comme si elle en dépendait.

-         Je te comprends très bien… donc, tu vas dormir sur tes chiottes, cool !

-         Ok, il n'y a pas un réel danger, je te le concède, mais il faut rester vigilant nonobstant, cependant, redondant, car si tu t'endors, tu vas tomber et en tombant tu vas chuter et en ayant chu, tu peux te fracasser la tête sur le carrelage ennemi. Maintenant, j'avais pris la précaution de mettre un oreiller, on ne sait jamais, l'Aventure, ce n'est pas le grand n'importe quoi, non plus !

-         Bien sûr, il faut être prudent avec l'aventure, il y a des équipements spéciaux pour passer la nuit sur les chiottes.

-         Rien du tout ! Tu y vas, tel que tu es. Tu peux même pratiquer cette Aventure à poil, si tu en as envie.

-         Remarque, c'est mieux, s'il te prenait une envie subite dans la nuit, comme au nourrisson à qui, il prend une envie subite de mort subite, tu n'aurais même pas besoin de sortir de ton abri pour les faire tes besoins. Pratique, l'aventure.

-         Je te sens narquois, limite sarcastique, mais il n'y a pas que les toilettes dans mes Aventures.

-         Je préfère, en commençait à s'emmerder.

-         J'ai aussi dormi dans l'évier. Mal dormi, pas dormi du tout d'ailleurs, à cause du robinet coincé dans mon dos et qui coulait en goutte à goutte. J'ai contracté un lumbago et évité une grippe des reins, de rien.

-         Mon Dieu, t'es un ouf, toi ! !

-         Ça c'est tout moi, ça, oui, un fou d'Aventures.

-         Non ! Je parlais plutôt de la psychiatrie, tu vois-tu ? J'ai un pote qui est fou à lier, je le noterai dans mes mémoires.

-         Tu plaisantes, ok, c'est normal, mais la plus grande Aventure, elle se fait dans la tête.

-         Ah, tu n'es plus dans les chiottes, alors ?

-         L'imagination ! Voilà le ressort de l'Aventure. Une vieille philosophie, le solipsisme, prétendait que la pensée était la seule réalité fiable, le reste, le Monde, la réalité n'était qu'une construction psychologique via le sensible. Que nos sens pour capter l'extérieur étaient déjà spécifiquement nous et sinon qu'ils le devenaient irrémédiablement dans le traitement des stimuli par le cerveau adaptatif.

-         Laisse tomber tes philos de bazar et redescend sur Terre. Si tu te fais écraser par un bus, tout irréel fut-il, tu seras tout plat comme une crêpe, du moins ainsi aurait-elle été, si tu lui avais accordée une existence intrinsèque. Ça c'est un principe de réalité ! La réalité existe car tu te cognes dedans, elle est prégnante, contraignante et manifeste. Tes recherches ontologiques, c'est autre chose et là, ok tu peux rester coincé dans le monde de la pensée jusqu'à en devenir fou, remarque, toi tu l'es déjà, donc tu ne risques plus grand-chose. Tu es l'aventurier le plus minable qu'il m'ait été donné de connaître et crois-moi, j'en n'ai connu aucun, car ils ne courent pas les rues, mais plutôt les grandes étendues hostiles et autrement dangereuses que de dormir dans le frigo.

-         Tient ! C'est vrai, je n'ai pas encore essayé le frigo. Tu ne pourrais pas prendre mes aliments pour les mettre chez toi.

-         Mieux ! Le mien est vide comme un œuf, tu n'as qu'à venir dormir à la maison !

-         Ça ne va pas, non ? Je n'ai pas exploré assez ton intérieur pour me l'intérioriser complètement.

-         Tu sais, Vé ! Je vais te laisser à tes aventures passionnantes et trépidantes pour aller faire des courses à l'Hypermarché. Tu sais, acheter les trucs que tu te mets dans ta bouche pour faire fonctionner ton métabolisme.

-         Tu pourrais me ramener du beurre salé, une demi-livre, de la marque « Ça glisse tout seul » je n'en ai plus pour mes tartines substantives.

-         Pas de problème ! Donne-moi juste, tu sais, l'espèce de papier qui sert aux échanges, au troc, quoi.

-         Non, je ne vois pas ?

-         Bon, ok, alors je résume ! Tu es un aventurier poltron et radin, c'est ça ?

-         En quelque sorte, oui, sans enter dans des nuances spécieuses, sans chipoter, en somme, ce serait comme un peu ça !