Moi, le goujat !

Hervé Lénervé

Nous sortions.

Ma femme était très belle, elle avait mis une jupe noire droite classique, au-dessus du genou, un chemisier blanc ajusté, mais pas trop, qui suggérait un buste parfait.  Avant de sortir, elle enfila une petite veste noire, très sage, d'une bonne coupe, des escarpins noirs à talons raisonnables avant de faire pétasse, finissaient le tableau, hormis les accessoires boucles d'oreilles, discret collier, enfin tous les trucs des filles. Donc, ma femme était très belle, elle avait tout fait pour. Un après-midi à se laver sous tous les côtés, un avant-midi pour choisir la tenue, enfin des trucs de filles, quoi !

Moi, j'étais comme d'hab, jean, teeshirt, enfin la tenue des séniors qui ne fréquentent plus l'Entreprise. Un peu de laisser aller, pour dire, c'est vrai !

Dans la voiture, une Jaguar, quand même, tant qu'à faire, il faut ce qu'il faut ! Bref, je voulus faire de l'humour et je dis avec morgue, mépris et condescendance.

-         Je ne pensais pas sortir avec ma secrétaire, ce soir !

Un regard en coin m'apprit que j'avais merdé grave ! Au resto l'ambiance était banquise sous tempête d'igloos, pingouins en frise. Les seuls mots que dit ma chérie furent destinés au serveur pour commander son plat, qui, selon son regard lubrique, le serveur pas le plat, semblait la trouver fort à son goût, la secrétaire pas le plat.

Ok, j'avais merdé, je devais me rattraper au plus vite. Faire des excuses sincères et attendrissantes était la seule solution honorable pour une sortie de crise en limitant la casse. Mais comme j'avais forcé sur l'apéro et le millésimé pour me réchauffer, il caille dur au pôle Nord. Je lui susurrai avec toujours cette putain de dérision cynique.

-         J'crois que tu as une touche avec le serveur, normal vous avez le même uniforme.

Contrairement, au masque offusqué et froid qu'elle arborait dans le luxe odorant des fauteuils en cuir beige de la caisse, je la vis rosir légèrement. Oh, mon Dieu, comme elle était Belle, ainsi !

Elle se leva sans un regard sur moi, ni sur le serveur d'ailleurs qui vit s'envoler ses rêves de « j'enlève la princesse à l'autre connard, ce soir » et de sa démarche souple et son port de reine, elle traversa la salle et sortit sans se retourner.

Je ne devais plus jamais la revoir.

Même si je trouve cela un peu excessif, il faut bien reconnaître que la connerie des hommes dépasse les limites des galaxies de l'imagination. Enfin pour les hommes, je ne sais pas trop, mais pour moi, c'est certain !

Voilà j'ai perdu la femme de ma vie, mais en compensation on peut dire que je l'ai bien mérité. M'en fous, il n'est pas un jour depuis, où je n'ai pas une pensée amourachée pour elle et quand je dis une, c'est pour faire court… je sais que le temps presse et nous est compté à la compresse près.

Signaler ce texte