Moi sans toi

klimt-eastwood

C'est toujours la même chose. Une odeur, un cheveu, une image qui s'agite et qui s'invente à la fois dans mon esprit que la douleur rend flou. Ça commence par une remarque qui se veut légère et se sait violente, des mots mis sur une blessure, c'est toujours violent. Et puis c'est l'escalade. L'incompréhension, la réponse, toujours mauvaise, ou le silence, toujours coupable. Tout est déjà joué d'avance, parce que c'est moi, et parce que c'est toi, ce doit être ça la fatalité moderne. Pourquoi tout ça? Parce que j'ai placé une bien trop grande partie de moi en toi pour risquer qu'elle ne m'échappe, une sorte de délire égocentrique en somme. Je m'aime à travers toi, parce que tu me montres à voir qu'il est possible de m'aimer. Tu es mon accès direct à moi-même, et c'est là tout le problème. Si tu ne m'aimes plus, comment vais-je m'aimer, on en revient toujours à ça. Et puis même si tu m'aimes. A quoi bon si je dois te partager avec le reste du monde, si tu ne m'aimes que parmi d'autres, parmi les autres ? Ils m'effraient, les autres, et m'écrasent en même temps. C'est ce qu'ils représentent. Tout ce que je fais mal, tout ce que je ne fais pas, tout ce que je ne suis pas, et qui pourrait te plaire. C'est horrible les autres, tous les autres. Tous sauf toi, mais toi, c'est pire. Oui, c'est bien pire, puisque tu es trop de moi pour être autre, mais toujours et irrémédiablement trop autre pour être moi, et ça me tue. Et puis tu crois que ça me fait plaisir, à moi qu'on se déchire ? Chaque dispute me rapproche du vide, du moi sans toi. Le néant absolu, si tu veux mon avis. Alors, c'est chaque fois plus fort, plus violent, tu sais j'ai de plus en plus peur. Et je sais déjà que ce soir, à nouveau, je vais serrer les dents, et mon cœur va se crisper, quand l'amour sera devenu trop insupportable, et que la haine prendra le dessus. Et puis tu vas crier, me haïr et pleurer, et demain, tu cacheras de maquillage ces bleus qui ne sont que les stigmates hideux de ma solitude et des plaies de mon cœur. Je sais qu'un jour, comme ça, comme tu aurais pu le faire depuis si longtemps déjà, tu vas partir, et je ne te reverrai plus. Alors je serre mes pauvres paumes sur ce qui me semble déjà être ton ombre. Qu'est-ce que je peux être con. Bien sûr que je te blesse en les serrant si fort contre toi. Bien sûr, je me déteste, mais c'est déjà trop tard, et tu le sais bien.

La clef dans la serrure. La porte s'ouvre. Elle entre, dépose son manteau, et croise son regard flou, il l'attendait. La voilà la tragédie moderne.

  • Magnifique texte, replet des contradictions amoureuses d'où naît la jalousie. C'est un vrai plaisir de vous découvrir à travers cette nouvelle où les mots, bien choisis à chaque fois, se juxtaposent. Tout en finesse et en subtilité, en nostalgie et en mélancolie aussi, il me semble.

    · Il y a environ 10 ans ·
    1769087351450 iaymvv16 l

    luz-and-melancholy

    • Merci beaucoup! Heureuse que mes mots que j'ai voulu les plus sincères possibles vous aient parlé comme on a toujours peur qu'ils ne le fassent pas!

      · Il y a environ 10 ans ·
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      klimt-eastwood

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