Mon amour pour la harpe

J'ai toujours un doute: est-ce la harpe qui m'a choisie ou ma petite conscience d'enfant de 5 ans, tombée sous le charme de cet instrument en écoutant le seul disque que je possédais, Piccolo Saxo et Cie?

Ma grand-mère travaillant chez un célèbre fabricant de tourne-disques lyonnais, elle m'avait offert une petite valise blanche compacte qui dévoilait en l'ouvrant, un côté où poser un disque et de l'autre, des hauts parleurs. Avec ce cadeau de Noël, ce seul disque faisant découvrir les instruments. Je le passais en boucle, fermant les écoutilles lors du passage de la flute traversière et du basson, attendant le moment de la "vieille demoiselle harpe" se manifestant par un glissendo. Moi j'entendais couler un ruisseau, de l'eau vive et fraiche, douce et revigorante, purifiante et onirique.

Alors je décidai qu'un jour, je jouerai de la harpe. Dur dur dans une famille qui n'écoute que les infos et les jeux à la radio. Plus tard mon père acheta une chaine hifi dernier cri, une Continental Edison ultra design posée sur un pied tulipe assorti à celui de la table Knoll. Mais le tout n'est pas d'avoir l'outil, encore faut-il avoir des disques à mettre dedans. Or le choix était limité: un de trompette gagné lors d'un voyage, un autre de flute de pan acquis dans des circonstances similaires, le Concerto d'Aranjuez, le Boléro de Ravel, un de Ferrat chantant Aragon. Base musicale éclectique et maigre.

Mes parents firent de leur mieux pour me faire renoncer à ma passion: la harpe c'était encombrant et hyper onéreux, la harpe ça ne s'emporte pas sur la plage, la harpe ce n'est pas pop comme instrument..."Pourquoi tu ne choisis pas la flute ou l'harmonica? Ce serait quand même plus facile à transporter! Et puis tu as vu le prix d'une harpe?"

Je fis donc de la flute pour montrer ma motivation, du piano chez ma grand-mère, du solfège pour apprendre les bases, fus même nommée premier clairon d'une troupe bretonne mêlant majorettes et fanfare. Et pendant ce temps, j'entendais la vieille demoiselle harpe égrener ses arpèges d'eau douce. Jusqu'au jour où je franchis les portes du Conservatoire pour m'inscrire au concours d'entrée. J'avais 2 mois pour intégrer la classe, 2 mois à me rendre tous les jours au CNR pour faire mes gammes et m'entrainer sur leur instrument, du fait que je n'en n'avais pas, à poser mes doigts sur les cordes dans la petite salle du fond du couloir, seule et super peinarde. Et j'intégrai la classe de harpe à l'issue d'une audition qui se déroula sans encombres. L'année suivante, on me fit sauter une classe et je continuai mon chemin jusqu'au bac et un déménagement qui me contraignit à ranger à nouveau ma passion au placard. Avec ma première paye, je louai une harpe d'étude. Plus tard, j'achetai une antique dame Erard en piteux état que je cordai à neuf et restaurai. Puis un jour, j'entendis une harpiste baroque à l'opéra jouer sur une harpe étonnante, une œuvre d'art légère de couleur crème, au son étonnamment puissant. Je me renseignai, cassai ma tirelire et passai commande auprès d'un luthier extraordinaire, qui mit un an à me faire une harpe rien que pour moi, équipée de cordes en fibre de carbone, une merveille de douceur, de féminité et de subtilité, procurant une facilité de jeu incomparable.

Et c'est toujours le bonheur à n'importe quel moment de m'assoir, prendre ma harpe tout contre moi et laisser mon âme et mes doigts glisser le long des cordes.

C'était simplement pour dire: à chacun son instrument. Je rencontre nombre de jeunes qui veulent absolument jouer d'un instrument tandis que les parents essayent de les initier à un autre en râlant que ça ne marche pas. Normal! Sur mes quatre enfants, deux choisirent le chant, un le clavecin et l'autre la guitare. Ils firent leur choix très tôt sans que ça ne m'étonne. Les enfants chanteurs sont souvent des rossignols dès leur plus jeune âge. Celui qui opta pour le clavecin commença à un an à faire des gammes debout, nez au ras du clavier, sur un antique piano qu'on m'avait donné. Le dernier entendit un soir un homme jouer de la guitare. Il avait 3 ans. A quatre et devant son insistance, je lui trouvai un professeur. A 6 ans il entra au conservatoire. Et ce qui est formidable est bien de les entendre jouer et chanter, seuls ou ensemble. C'est une joie pour moi sans équivalent.

Chacun son tempérament et chacun son instrument!