Mon mariage, de l’esclavage à la liberté

Franck Demaury

Je me souviens de ce jour où il me rappela que j’avais oublié de remplacer le papier essuie-tout dans la cuisine. Cela peut paraître banal sauf que nous nous sommes rencontrés à l’âge de 15 ans et qu’il était mon professeur de tennis. Mon père me poussait à jouer tous les jours jusqu’au moment ou, par dégoût, je me suis cassé le poignet volontairement. Dans la cuisine, devant le rouleau de papier, je revoyais tous les souvenirs de nos quinze années passées ensemble.

Au début, il était légèrement plus vieux que moi et je ne voulais pas l’aimer. Cet homme était grand, beau et viril. Sa carrure de sportif m’impressionnait et faisait de lui mon protecteur. Il avait une petite amie et moi, le mien. J’avais alors 18 ans quand nous nous sommes revus. Il m’avait recherché et un soir, nous nous sommes embrassés.

C’était bien l’une des premières et dernières qu’il faisait d’ailleurs. La vie se déroulait sans problème sauf lorsqu’il faisait ses petites crises, qu’il me quittait et qu’il revenait après m’avoir promis qu’il m’aimerait à jamais. J’en avais fini avec le tennis et les compétitions insupportables. Ma dernière opération du talon d’Achille avait sonné le coup de grâce à cette épreuve mentale et physique que mes parents m’infligeaient depuis mon enfance. Ses blessures mentales m’emmenèrent dans la folie de l’anorexie. Je mangeais et partais me faire vomir discrètement dans les toilettes, à l’abri des regards. Je perdais du poids à vu d’œil et ma faiblesse était cachée par quelques couches de vêtements que j’enfilais, comme pour cacher ma détresse. Quand je repense à cette époque, nous ne faisions pas l’amour ou très peu. Mon fiancé n’aimait pas embrasser. Il vivait de sa passion et me construisait une belle maison.

Proche de chez mes parents en région Parisienne, cet abri a souvent été le théâtre de mes maux et mes malaises. Seule dans cette vie sans but, je déprimais à vue d’œil. Mon homme était insociable et n’aimait que ses amis. Les miens n’étaient pas assez bien pour lui et très vite, mon portable a cessé de sonner lorsqu’ils ont compris  le peu d’estime qu’ils avaient auprès de mon fiancé. Par amour, j’ai accepté qu’il me fasse l’amour même si certains soirs, son corps me dégoûtait. Et puis, un soir, je suis partie. Loin, très loin mais cette solitude me troublait et mes parents me manquaient. Après quelques mois, il est venu me chercher. Se faisant pardonner, je suis rentrée dans la maison qu’il nous faisait construire afin d’élever nos enfants.

Quand nous sommes rentrés, son amour avait changé notre vie. L’anorexie était toujours dans ma vie, mais j’arrivais à contrôler ces troubles qui pourrissaient mon quotidien. Un an de bonheur suivirent cette période douloureuse et la vie reprenait un cours normal. On se voyait très peu en fait. Son travail lui prenait beaucoup de temps et les entraînements firent passés cette année à une vitesse folle. Tous les soirs, je lui préparais ses petits plats et l’attendais patiemment. Un jour, il a fait sa demande en mariage. Bien sûr, je l’ai acceptée.

Je me souviens aussi de ce grand jour, nous étions réunis dans cette chapelle de Seine et Marne. Il faisait beau et le prête a prononcé les mots « Je vous déclare mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée ». Il m’a embrassé, je vous le garantis. Il a tout d’abord soulevé le voile, mis sa main imposante sur le côté de mon visage et posé délicatement ses lèvres sur ma joue. A cet instant, ma vie avait à nouveau basculé.

Notre voyage de noce se déroulait à Los Angeles. L’anorexie était aussi dans mes valises. Pendant que mon mari visitait les lieux connus d’Hollywood, moi je voyageais dans les toilettes pour me faire vomir et rompre avec la vie. On admirait les paysages, enfin lui. Moi, je servais de traductrice malgré le fait qu’il ait un diplôme en Anglais. Lors des derniers jours, j’étais à bout. Une réflexion mal placée et mon manque de force ont eu raison de mes nerfs. Même si nous faisions peu de fois l’amour, j’ai appris quelques semaines plus tard, que j’étais enceinte. Toute la famille était contente et ma maladie était mise de côté après cette thérapie que j’ai suivie toute seule.

Le petit est né. Le grand jour était arrivé et le papa allait se transformer. Eh bien non, pas du tout. Fidèle à lui-même, il ne s’occupait guère de l’enfant et ne s’intéressait même pas à lui d’ailleurs. Chaque nuit, je veillais sur le bébé. Chaque nuit, je le nourrissais et je l’endormais. Le bébé pleurait et lui râlait. Au bout d’un mois, il ne se donnait même plus la peine de présenter l’enfant à nos amis.

L’enfant grandissait. Petite bouille d’amour, je faisais tout pour lui. Depuis longtemps, mon mari ne me regardait plus, ne me touchait plus, seuls ses cours et ses entraînements l’intéressaient. Je lui préparais ses repas, repassais son linge et m’occupais de mon enfant. Nous sortions très peu ensemble et lorsque c’était le cas, il me demandait de marcher quelques mètres en arrière. Jamais à l’avant, j’aurais pu lui faire de l’ombre avec mon état lamentable.

Avant, nous marchions tous les deux. Cette fois-là, j’étais trois pas en arrière lorsqu’il m’annonça qu’il partirait seul en vacance cette année.

Après ça, nous fêtions les deux ans de notre fils. Ce jour-là, il fêtait sa victoire pour un match que son équipe venait de gagner. Mes parents étaient chez nous et lorsqu’ils partirent, mon mari arriva. Son dîner était prêt et moi, je suis montée me coucher.

Quelques jours plus tard, j’ai décidé de travailler. J’ai reçu une lettre et j’ai été embauchée dans une grande entreprise internationale. A son arrivée, je lui ai annoncé que j’avais trouvé un travail. La seule chose qu’il a su me dire était « Super et qui gardera l’enfant ? ». Ma mère ! À partir de ce moment, j’ai repris ma vie en main. Nouveau travail, un fils adorable, je me sentais libre. Enfin,  presque libre !

Je travaillais de 9h00 à 19h00 et lorsqu’il rentrait, son dîner devait être prêt et tout le monde lavé pour nous asseoir à ses côtés afin de regarder le programme qu’il avait choisi. Evidemment, il ne parlait pas et mon petit ne faisait que courir. Pendant cette période, j’en ai vu des choses stupides.

Bien sûr, aucune de nos deux familles n’ont jamais vu tout ça. Mes amis me demandaient souvent pourquoi mon mari n’était pas là et je leurs répondais qu’il avait beaucoup de travail. Il était en fait dans son bureau pour ne pas les voir. J’ai souvent essayé de sauver notre vie de couple pour notre fils.

Pour ça, je marchais nue, j’achetais de la lingerie sexy mais il me demandait surtout de bouger, car je le dérangeais pendant son match de foot. Nous ne faisions plus l’amour depuis la naissance de mon petit cœur. Je ne sais pas si le pire était l’ignorance envers son fils et moi ou ses petits désirs à assurer.

La vie a continué ainsi pendant deux ans. Après ce temps, j’ai obtenu une promotion. Mes parents m’ont félicité, les siens m’ont ignoré tout comme leur fils d’ailleurs. Après tout, à quoi devais-je m’attendre ? Un jour, il m’a dit qu’il allait à une soirée entre amis. Puis, une deuxième, une troisième jusqu’au jour où j’ai compris qu’il passait ses soirées avec une amie. C’était sa maîtresse. Alors, j’ai décidé de le quitter. Mon père insistait pour que nous restions ensemble. Qui aurait pu rester avec ça ? J’ai quand même essayé. Nous avons refait l’amour mais, rien ne s’est passé en moi. Je me sentais presque violée. Pendant cette épreuve, il ne m’embrassait évidemment pas.

Le soir du nouvel an, mon fils était à l’hôpital. Mon mari était contrarié, car il avait une soirée, alors il est parti retrouver sa maîtresse. Cette soirée m’a aussi rappelé le jour ou j’ai accouché. Alors que je perdais les eaux, mon mari se faisait beau. Je perdais le placenta ce qui pouvait conduire à ma mort et celle de mon bébé, mais il n’avait pas encore fini et il s’est enfin décidé. Après l’accouchement, il avait un tournoi alors il est parti rejoindre ses amis. Cette nuit était le coup fatal à notre couple. Le lendemain, il est arrivé, m’a dit «  bonne année » et je lui ai annoncé que j’allais divorcer.

Aujourd’hui, les années ont passé. Il est parti et m’a laissé la maison et surtout mon fils. Je me sens sale, blessée mais j’ai enfin le plaisir de retrouver ma liberté. Dans la rue, j’ai retrouvé mon ami, nous marchons main dans la main, il m’embrasse et me dis « je t’aime ». Aujourd’hui, je suis libre.

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