Le crime parfait n'existe pas.

vincb

 Je suis homme tout ce qu'il y a d'ordinaire, un type banal. J'ai une vie simple mais qui me plait. J'ai une femme que j'aime et deux magnifiques enfants. Un grand couillon d'adolescent qui fait des conneries d'adolescent, et une fillette de huit ans qui est un vrai sourire.

Nous avons choisi de nous installer à la campagne pour vivre heureux et nous sommes parfaitement heureux. J'ai presque fini de retaper la vieille bicoque que nous avons achetée. C'est une petite maison qui ne paie pas de mine, mais nous l'aimons beaucoup parce qu'elle reflète ce que nous sommes : des gens simples et heureux.

Le soir quand il fait beau, je vais m'asseoir sur la terrasse pour fumer une cigarette et boire un coup. Personne ne m'empêchera jamais de boire du vin et personne ne m'empêchera jamais de fumer. Chez moi je fais ce que je veux, comme je le veux et quand je le veux. C'est ma définition d'un homme libre !

Nous avons un gros molosse de chien. Un morfal de Terre neuve d'une soixantaine de kilos. Un bon gros chien qui a de quoi impressionner le moindre rôdeur ! Un homme libre comme moi n'aime pas trop se faire emmerder. Surtout lorsqu'il est chez lui ! A bon entendeur...

Quand je suis sur ma terrasse et que je contemple la voie lactée, le chien vient s'asseoir à côté de moi. Nous regardons le ciel ensemble tandis que je lui flatte sa grosse tête de nounours à poil dense. Il est malin ce chien, il connait mes heures. D'habitude il attend que je sois installé pour débarquer nonchalamment en trainant les pattes. J'aime bien son côté lymphatique, ça colle bien avec notre famille. Non pas qu'il n'abatte pas sa tâche ! Mais il est comme moi : lorsqu'il estime être quitte de ses obligations, son naturel reprend le dessus et il se laisse vivre... En tout cas, il ne fait pas semblant.

L'autre soir, il a tardé à venir. Je ne me suis pas inquiété outre mesure. J'ai allumé ma clope, j'ai tiré dessus et j'ai rejeté la première bouffée qui s'est envolée vers les étoiles. Ensuite, j'ai trempé les lèvres dans mon verre et j'ai savouré ce petit pinard, dont je viens de commander deux caisses. Ce n'est pas un grand vin, mais je ne suis pas un grand homme. C'est ma cuvée d'homme libre.

Je suis resté un temps comme ça, songeant à l'humanité qui part en vrille, à tous ces cons qui courent sans savoir pourquoi ils courent. Moi, cela fait bien longtemps que j'ai cessé de courir... que j'ai refusé de courir ! Plus vite on court, plus vite on s'approche du précipice. Même si l'on court dans le sens opposé, on se rapproche quand même d'un précipice. Dans la vie, il y a des précipices partout. C'est pour cela, que j'ai décidé de faire du sur place.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi et ça n'a pas d'importance. Je sais juste qu'à un moment, j'ai entendu le chien arriver. Tiré de ma rêverie, j'ai levé la tête et je l'ai regardé avancer. J'aime bien le regarder, avec sa carcasse massive et son pelage épais, on dirait un monstre préhistorique.

Toujours aussi nonchalant, il s'est approché de moi. Dans la pénombre, j'ai à peine remarqué qu'il tenait quelque chose dans sa grosse gueule. Ça aurait pu être n'importe quoi : un os, sa balle ou un rondin de bois.

Ce n'est que lorsqu'il s'est planté face à moi avec l'air penaud que j'ai compris ce qu'il tenait prisonnier entre ses mâchoires : Il s'agissait de Youki, le caniche des voisins... Molosse mon énorme Terre neuve, tenait la tête du minuscule clébard d'à coté enfermée dans sa gueule, si bien qu'on ne voyait que son petit corps pendouillant et sans vie.

Il a posé le cadavre à mes pieds, s'est assis face à moi et m'a regardé d'un air embarrassé. Je l'étais également. En fait, je ne comprenais pas. D'habitude, ils s'entendaient plutôt bien. En tout cas, ils savaient faire preuve de relations de bon voisinage, tout comme nous nous efforçons de le faire entre humains.

Nous sommes restés un certain temps ainsi, à regarder cette petite chose qui gisait inanimée devant nous. D'habitude tout blanc, plein de vie et con comme un caniche, Youki la teigne avait piètre allure. Son poil n'était pas brossé et il était couvert de terre. Absolument dégueulasse !

J'ai regardé mon chien droit dans les yeux et d'un ton ferme, je lui ai demandé : « Molosse ! Mais qu'est-ce que t'as fait ? ». En guise de réponse, Molosse s'est couché à plat ventre et a fait disparaître son museau sous ses grosses pattes, en poussant un petit gémissement aigu qui semblait dire qu'il était désolé. A aucun moment d'ailleurs, je n'ai pensé qu'il ait pu sciemment faire du mal à son pote. Aussi j'ai rapidement conclu qu'ils devaient jouer ensemble et que mon puissant toutou ne maîtrisant pas sa force, a brisé la nuque du petit chien sans le vouloir.

A voir son air dépité, j'ai même décidé de le couvrir, j'ai accepté de devenir complice. J'ai ramassé la dépouille du chien et me suis dirigé vers l'évier du garage. Là, j'ai foutu Youki dedans et je l'ai lessivé à grande eau. Ensuite, avec un sèche cheveux et quelques bigoudis, je lui ai fait un rapide toilettage, histoire de lui redonner un peu de sa prestance. Puis, je me suis rendu discrètement dans le jardin des voisins et j'ai déposé un beau Youki tout neuf - mais toujours aussi mort - dans sa niche. Je me suis dit que mes voisins prendraient ça pour une mort naturelle, que moi j'allais pouvoir tirer un trait sur cette sombre affaire, et que nous n'entendrions plus jamais parler de ce con de caniche.

Mais ça ne c'est pas passé comme ça. Le lendemain, Gérard, mon voisin, a sonné chez moi. Il était paniqué et livide. Il semblait effrayé. Sans même dire bonjour, il a commencé à me raconter. Il avait besoin de se confier à quelqu'un : « Tu sais ce qui m'arrive ? Tu sais Youki, le con de caniche à ma femme... ben il est mort hier ! Et je l'ai enterré dans le jardin... et tu sais quoi ? Je viens de le retrouver dans sa niche... et tu sais quoi ? Ben... il était tout propre ! Je crois que quelqu'un m'en veut ! ».

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