Mon pépé de Saint-é

Ce matin je me suis surpris à ouvrir le journal, comme pépé Saturnin le faisait les dimanches, juste après son tiercé, laissant sur la table de la cuisine, les confettis de sa pince d'oblitération à sa femme. Marthe, son épouse, tenait quant à elle, toujours ses deux mains sur ses cheveux dans un plastique formidable et révolutionnairement étanche. Chaque semaine ils visaient ce même rituel: Marthe tirait sur sa mise en plis, tandis que Saturnin foutait d'office tous ses tickets de courses à la poubelle. Ben oui, faut dire que pépé il jouait toujours les même numéros à la tombola des chevaux. Il disait: - Que de toutes façons, même avec un canasson de Bahreïn et un pronostic d' André Théron, l'oseille il va dans la poche du voyou, pas dans la tienne !

Pépé était comme ça, défaitiste à souhait, à faire se pendre un chat noir par les dents, à laisser brûler la courge dans l'autocuiseur sans lever la soupape !

C'est en page 8, que je tombais sur un article, retraçant l'épopée de la soudure à l'étain chez Christofle, le petit cousin à Guy Degrenne, et leur terrible ascension dans le monde de la fourchette qui commençait à devenir tout contemporain, et pas que pour chez Gagnaire.

Pépé quant à lui, avait une entreprise de ferblanterie. Il fabriquait pour le compte de Manufrance, des enfumoirs pour les apiculteurs, pour le monde d'autour de lui-même, une sorte d'arrosoir- pistolet en métal, pour endormir les abeilles. Il faisait selon lui, aussi bien dans l'orfèvrerie que les petits filous de Paris, 'Et tout fait main mon p'tit', ce qui entre-nous et aujourd'hui, semblerait paraître comme une vulgaire petite boite de petits pois surmontée d'un soufflet mécano-soudée, made in China.

L'époque ne tenait pas encore à l'indice Big-Mac, mais plutôt à celui de la poule aux œufs d'or. Cette poule là, se prénommait Mathilde, taillée comme une guêpe et amoureuse de mon pépé. Mathilde savait sentir les affaires et s'habiller de dessous chics, pour les faire rentrer... ben, les affaires !

Pépé se promenait régulièrement dans sa Peugeot 204 décapotable, avec sa poule, son petit fils et son chien en laisse, sur le boulevard de la Grand'Rue. J'aimais quand il klaxonnait pour aller plus vite, et quand il disait, pousse toi de là, toi, petit moustique !

Un jour, les abeilles sont devenues de plus en plus rare, et l'objet du catalogue, retiré.

J'aime encore sentir ce doux mélange de miel et d'étaing, même s'il y a du plomb dedans.