Mon procès

Hervé Lénervé

Palais de Justice de Bobigny.

Mon avocat a fini sa plaidoirie. Je l'ai trouvé bon ! Par moment, j'en avais la larme à l'œil, la goutte au nez, la crotte aux fesses (non ! Je raye la crotte aux fesses, ce n'est pas très glamour pour mon image)  et je n'arrivais pas à croire que ce type qu'il avait décrit avec brio, comme un brave type dépassé par des circonstances dépassantes, c'était bien moi !

Mais maintenant, le président, la présidente peut-être, puisque c'est objectivement une femme et subjectivement une très belle femme, s'adresse à moi.

-        Accusé ! Avez-vous un fait à ajouter pour votre défense, avant que le jury ne sorte pour délibérer ?

-        Pour ma part, ils peuvent rester ici pour délibérer, je n'ai rien à leur cacher, moi, ma présidente !

-        Trêve d'ironie, accusé ! Voulez-vous, vous exprimez ?

-        Oui ! Madame, le président… monsieur la présidente… votre Honneur… votre Magnificence… votre Splendeur… votre Célébrissime Sérénissime !

-        Trêve de flagornerie ! Venez-en au fait, accusé !

-        Certainement, ma Chérie ! Mesdames, messieurs les jurés ! Si je suis ici, aujourd'hui, devant vous, réunis pour la triste circonstance, c'est pour répondre de mes actes abjects devant la justice des hommes puis devant celle divine du Créateur. Oui ! J'ai tué ! Oui ! J'ai violé ! Oui ! j'ai fait tout cela et des fois même dans le désordre, je l'avoue ! Mais ma faute avouée n'est qu'à demi punie. Oui ! Je ne suis plus digne de figurer parmi mes alter- gogos. Oui ! Je suis indigne d'appartenir à cette grande confrérie de la nature fraternelle de l'universalité pensante à travers la Galaxie et peut-être l'Univers en son entier numérique indéfinissable.

Madame la procureuse réclame une peine de quinze ans incompressibles ! C'est incompréhensible ! Les tortures immondes, infâmes que j'ai infligées à ces femmes, ne méritent-elles que si peu de compensation, si peu de compassion de la part d'une Société aveugle à la souffrance des êtres humains qui braillent (c'est pour « aveugle ») leurs terreurs ? C'est scandaleux pour ces familles anéanties, déchirées à jamais, laissées à errer sans but, sans vie, ainsi dans leurs vies dévitalisées, jusqu'à ce que, que la mort leur prenne le peu de vie qu'ils leur restaient encore au corps. Je m'insurge ! C'est un scandale ! Le plus gros scandale dont la justice sera entachée pour le restant de son éternité judiciaire. C'est un véritable scandale ! Dis-je ! Mesdames, messieurs, n'écoutez pas madame la procoureuse de dot et de clémence !

J'ACCUSE !

J'ACCUSE… la Justice de n'être qu'une parodie de Justice ! Rendez à ces familles désemparées une justice digne de ce nom en m'infligeant la peine maximale, puisque malheureusement la peine capitale a été injustement, pour mon cas du moins, supprimée.

Et là, je me lève pour faire des effets de manches, mais comme je suis en teeshirt, ça le fait moins bien. La présidente intervient !

Accusé restez assis les bras croisés, les mains sur la tête, les pieds dans les poches et abrégez votre laïus ! Soyez bref, puisque vous ne savez être bon ! Cesse donc, ta grandiloquence mon grand couillon !

-         Oui ! Madame mon Amour, Vous, qui incarnez la plus haute figure de nos institutions. Vous, qui incarnez le corps au pied de toute une génération. Laissez-moi oser vous dire, vous signifier, laissez-moi, oser vous avouer, osons Joséphine (oui ! Elle s'appelle Joséphine, vous n'aimez pas ?)…

-         Trêve de pusillinamité… de pusallimité… enfin un truc comme ça ! Poursuit, bordel !

-        Oui ! Madame, mon Adorée, j'y viens, j'en termine ! Mesdames, messieurs, n'écoutez que votre cœur ! N'avez-vous pas d'enfant ! Pas de gamines, pas de chieuses ! N'avez-vous pas de fille dans cette similitude de jeunesse, pas de jouvencelles dans cette ressemblance de beauté ? Pas de pucelles dans cette magie de la grâce ? Pas de chiante rebelle adolescente, à la maison, pour rester si insensibles à une réparation décente ? Je vous le demande, je vous le réclame, je vous l'ordonne, votez en votre âme et confiture, la perpétuité sans concession, sans remise, sans les soldes ! Condamnez-moi ! faites votre devoir ! Soyez grand ! au moins une fois dans votre pauvre vie ! C'est votre jour, ne le ratez pas, ne ratez pas ce jour-là ! Vous n'en aurez aucun autre ! Merci, mesdames, messieurs ! J'ai confiance en vous, en votre jugement, en votre clairvoyance, en votre équité, au prix qu'ont coûté à vos parents vos cours de chevaux ! Je sais que sous vos apparences frustres de petits fonctionnaires, de petites vendeuses, de minables ordinaires, de paumés patentés, de pauvres ères égarées dans ce Monde de loups psychopathes, vous êtes Bons et Justes ! Faites votre devoir ! Je vous le demande, je ne demande que cela ! Ce n'est quand même pas la mort à boire que de me condamner à la peine maximale ! qu'aurais-je l'air en prison avec mes quinze ans à déclarer à mes coreligionnaires ! Ridicule ! Je serais ridicule, tout simplement. On me rira au nez, je ne serais jamais pris au sérieux. Je serais battu et violé à mon tour ! Ne perpétrez pas l'ignominie en perpétuant la sauvagerie dont j'ai fait preuve moi-même. Soyez meilleurs que moi ! Arrêtez ce cycle infernal !

Voilà, j'en ai terminé, mon Honneur, je me rends à votre bras séculier et inflexible, mais jolie, quand même. Faites, maintenant de moi, ce qu'il vous semblera bon de faire à aucun autre. Faites de moi l'exception qui infirmera la règle. Je m'en remets à votre discernement. Jurés perturbés et malades, condamnez-moi au pire pour le meilleur de votre civilisation. Madame la Présidente, je me rends à vous, à vingt-deux heures précises dans votre lit, comme convenu. Merci, mesdames, messieurs, de m'avoir écouté, espérons que vous m'ayez entendu ! Que la paix soit avec vous pour les siècles des siècles restants !

Bisous à tous ! Amen !

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